Données alarmantes sur les perspectives d’emploi des étudiants de maîtrise et de doctorat en histoire*

Publié le 19 août 2011

Olivier Côté

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Dans un article paru dans le Bulletin de la Société historique du Canada, intitulé « Des chiffres et des lettres (ces dernières sont le M, A, P, H et D) » (vol. 35, no2), Jean-François Lozier s’inquiétait du sort de tous ces nouveaux détenteurs d’une maîtrise et d’un doctorat en histoire – il en dénombrait 423 à la maîtrise et 81 au doctorat pour la seule année 2005 — qui étaient à la recherche d’un emploi. Et pour cause : il constatait que le nombre d’étudiants de deuxième et troisième cycles en histoire était en constante augmentation, cela malgré une légère diminution pendant la deuxième moitié des années 1990. Cela, c’est sans compter sur le fait que plus de la moitié des étudiants au doctorat n’avaient toujours pas complété leur formation après 10 ans, ce qui laisse présumer un nombre élevé d’abandons et de doctorants en histoire sur le marché du travail. Du même souffle, Lozier faisait état de son impossibilité à colliger des statistiques sur le taux d’emploi des détenteurs d’une maîtrise et d’un doctorat. Je me propose ici de faire œuvre utile en faisant la recension des statistiques en matière d’emploi colligées par une variété d’agences gouvernementales.

Au premier chef, Statistique Canada a recensé certaines statistiques révélatrices sur les étudiants détenteurs d’un doctorat en sciences humaines, deux ans après leur diplomation. Les diplômés de 2005 étaient, en 2007, travailleurs salariés dans une proportion de 72 %, travailleurs autonomes (6 %), sans emploi (15 %), inactifs (5 %) et aux études (2 %). Le taux d’emploi à temps partiel se situait à 18 %, le taux le plus élevé parmi tous les domaines d’études. Cette enquête nous apprend par ailleurs que les diplômés universitaires en sciences humaines exerçaient une profession dans le domaine de l’enseignement dans une proportion de 77 % et dans les services professionnelles et scientifiques, dans une proportion de 4 %, entre autres domaines. Au moment de mettre sous presse, aucune statistique n’était toutefois disponible sur le taux d’emploi des détenteurs d’une maîtrise et d’un doctorat en histoire à l’échelle canadienne.

Il faut donc s’en remettre aux enquêtes provinciales sur le sujet. Le Conseil des universités de l’Ontario compile des statistiques exclusivement sur les étudiants nouvellement diplômés du baccalauréat en histoire dans la grande catégorie des humanités (« Humanities »). Dans son enquête « BC University Survey of Graduates from Masters and Doctorate Programs », The University Presidents’ Council of British Columbia propose des données sur le degré de satisfaction de l’ensemble des détenteurs d’une maîtrise et d’un doctorat pour leur formation universitaire et sur la manière dont ils mettent en valeur leurs compétences sur le marché du travail. Les « Alberta Graduate Outcomes Surveys » font état du taux de placement des étudiants issus de programmes universitaires albertains et de leur taux de satisfaction vis-à-vis de leur formation. Ces données ne sont pas ventilées par programme d’études, ce qui les rendent inutilisables. Le nombre d’étudiants aux études supérieures en histoire dans les provinces de Saskatchewan, du Manitoba, du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, de l’Île-du-Prince-Édouard et de Terre-Neuve est, quant à lui, trop faible pour tirer des constats généraux et pour garantir la confidentialité des données.

Fait rare : au Québec, le ministère de l’Éducation a réalisé une série d’enquêtes approfondies sur les détenteurs d’une maîtrise et d’un doctorat en histoire parmi une variété d’autres disciplines. En attendant la réalisation d’enquêtes du même type pour l’ensemble des provinces canadiennes, cet exemple peut servir de révélateur de tendances qui se remarquent ailleurs. Plusieurs éléments sont toutefois susceptibles de limiter la typicité canadienne de cet exemple : la variation des salaires d’une province à l’autre; les fluctuations du taux de chômage; l’étendue des institutions culturelles, la taille de la fonction publique et du réseau d’emplois potentiels pour une province donnée; les clivages entre la ville et la campagne.

Taux d’emploi des détenteurs d’une maîtrise en histoire au Québec, deux ans après l’obtention de leur diplôme (1999-2009)
Catégories statistiques 1999 2001 2003 2005 2007 2009
En emploi (%) 57,4 58,7 66,7 53,1 59,6 64,7
— À temps plein (%) 75,4 81,1 83,3 88,2 82,4 80
— Emploi en lien avec la formation (%) 45,5 40 35 46,7 60,7 72,7
À la recherche d’un emploi (%) 12,2 3,2 5,6 7,8 1,8 3,5
Aux études (%) 24,5 33,3 26,4 35,9 35,1 30,6
Personnes inactives (%) 5,9 4,8 1,4 3,1 3,5 1,2
Taux de chômage (%) 17,5 5,1 7,7 12,8 2,9 5,2
Salaire hebdomadaire brut moyen ($) 723 613 708 725 760 876

Les six enquêtes consacrées aux détenteurs d’une maîtrise en histoire, interrogés deux ans après l’obtention de leur diplôme, nous permettent de retracer l’évolution de l’emploi de 1999 à 2009. Avant toute chose, il faut savoir que le nombre d’étudiants ayant obtenu une maîtrise en histoire au Québec a connu une croissance significative, passant de 95 (1999, 2001), à 96 (2003), à 92 (2005), pour atteindre 98 étudiants (2007) et 130 étudiants en 2009. À la lecture du présent tableau, un constat s’impose : le taux d’emploi demeure sensiblement stable, avec une moyenne de 60 % des étudiants en emploi et un sommet en 2003 à 66,7 %. Ces taux correspondent aux personnes qui ont dit travailler à leur compte ou pour autrui durant les semaines de référence de l’enquête, que ce soit à temps plein (plus de 30 heures) ou à temps partiel. Le haut taux d’étudiants aux études (moyenne : 30,1 %) explique pour une grande part la faiblesse de ces taux. Fait positif : on remarque une amélioration constante du taux des détenteurs d’une maîtrise en histoire qui possèdent un emploi à temps plein en lien avec leur formation, le taux passant de 19,69 % (1999) à 37,73 % (2009). La moyenne sur 11 ans se situe quant à elle à 24,6 %.

Les personnes qui n’ont pas d’emploi et qui ne sont pas aux études, combinaison des catégories « À la recherche d’un emploi » et « Personnes inactives », demeurent aussi relativement faibles: 8 % (2001), 7 % (2003), 10,9 % (2005), 5,3 % (2007) et 4,7 % (2009). La seule exception à cette tendance, l’année 1999, où pas moins de 18,1 % des détenteurs d’une maîtrise n’avaient pas d’emploi et n’étaient pas aux études. Le taux de chômage pour les détenteurs d’une maîtrise était, pour cette année précise, de 17,5 %. Le chômage atteindra un nouveau sommet en 2005, avec 12,8 %. Je laisse le soin à d’autres chercheurs d’examiner les causes profondes de cette situation.

Il semble bien que la progression du salaire hebdomadaire obtenu par les détenteurs d’une maîtrise en histoire en emploi à temps plein ne suive pas le coût de la vie. Pour preuve, sur 11 ans, leur salaire n’a augmenté que de 21,2 %, passant de 723 $ (1999) à 876 $ (2009), taux en deçà de l’inflation nationale (23,1 %). L’extrême volatilité des salaires d’une année à l’autre est sans doute le reflet d’une certaine précarité en matière d’emploi.

Taux d’emploi des docteurs en histoire au Québec, deux ans après l’obtention de leur diplôme (2001-2010)
Catégories statistiques 2001 2005 2010
En emploi (%) 88,2 81,3 71,4
— À temps plein (%) 73,3 69,2 60
— En lien avec la formation (%) 90,9 88,9 66,7
À la recherche d’un emploi (%) 0 12,5 7,1
Aux études (%) 5,9 0 0
Stagiaires postdoctoraux (%) ** 0 7,1
Personnes inactives (%) 5,9 6,3 14,3
Taux de chômage (%) 0 13,3 9,1
Salaire hebdomadaire brut moyen ($) 948 1063 1140

Les statistiques sur les détenteurs d’un doctorat sont beaucoup plus alarmantes. Les enquêtes recensées révèlent une décroissance marquée sur 10 ans des docteurs en histoire en emploi deux ans après l’obtention de leur diplôme, malgré que leur nombre ait été relativement stable (2001, 2005: 21; 2010: 23). Le taux passe ainsi de 88,2 % (2001) à 71,4 % (2010), perte qui n’est pas compensée par la présence de docteurs en histoire qui effectuent des stages postdoctoraux (7,1 %). De ce nombre, en 2010, 60 % ont dit travailler à plein temps, baisse considérable par rapport à 2005 (69,2 %) et 2001 (73,3 %). Ceux-ci gagnaient un salaire hebdomadaire brut de 1140 $ en 2010 (salaire annuel : 59 280 $), comparativement à 1063 $ en 2005 (55 276 $) et 948 $ en 2001 (49 296 $), ce qui suit sensiblement l’augmentation du coût de la vie (18,6 % d’augmentation de 2001 à 2010). Ces chiffres concordent pour une large part avec ceux de Statistique Canada sur le salaire annuel médian des détenteurs canadiens d’un doctorat en sciences humaines en 2007, deux ans après l’obtention de leur diplôme, qu’elle situe à 60 000 $. Une autre étude indique que 34,8 % des détenteurs d’un doctorat en sciences humaines possédaient un salaire de 55 000 $ par année après leur diplomation, comparativement à 54,7 % des diplômés en sciences sociales.

Parmi ceux qui possèdent un emploi à temps plein, 66,7 % disaient en 2010 exercer un emploi en lien avec leur formation, une autre baisse significative par rapport à 2005 (88,9 %) et 2001 (90,9 %). C’est dire que, pour l’ensemble de l’échantillon, deux ans après leur diplomation, seulement 28,6 % des docteurs en histoire de la promotion de 2008 exerçaient un emploi à temps plein en lien avec leur formation, comparativement à 50 % pour ceux de 2003 et 58,8 % pour ceux de 1999, cela même si le nombre de docteurs en histoire est demeuré stable.

Un autre chiffre inquiétant est celui du taux de personnes inactives, c’est-à-dire des personnes ayant déclaré ne pas avoir d’emploi, ne pas en chercher un et ne pas être aux études. Ce taux a bondi de 5,9 % (2001) à 14,3 % (2010), chiffres astronomiques si on les compare à l’ensemble des détenteurs d’un doctorat au Québec (2001 : 3,7 %; 2005 : 2,9 %; 2010 : 4,4 %). Parallèlement, le nombre d’étudiants à la recherche d’un emploi est passé de 0 % (2001), puis de 12,5 % (2005) à 7,1 % (2010). Aucun étudiant recensé n’était aux études dans les enquêtes de 2005 et 2010 : après tant d’années de dur labeur, on peut les comprendre! Au final, les personnes qui n’ont pas d’emploi et qui ne sont pas aux études postdoctorales ou autre se situaient à 5,9 % en 2001, à 18,8 % en 2005 et se situe maintenant à 21,4 % (2010).

Statistique encourageante, toutefois, le taux de chômage, soit le rapport, exprimé en pourcentage, entre le nombre de personnes diplômées en histoire à la recherche d’un emploi et l’ensemble de la population active (personnes en emploi et personnes à la recherche d’un emploi), est passé de 13,3 % (2005) à 9,1 (2010). Pour mettre les chiffres sur le chômage de 2010 en perspective, il faut savoir que le taux de chômage pour l’ensemble de la population active québécoise de janvier se situait à 8 %, et que celui des étudiants ayant terminé des études de doctorat, tous programmes confondus, correspondait à 5,2 %. C’est tout de même loin du taux de chômage des détenteurs d’un doctorat en histoire de 2001 (0 %), chiffre qui se compare avantageusement au taux de chômage non désaisonné de l’ensemble de la population québécoise (9,6 %).

Comment expliquer cette baisse du taux d’emploi chez les docteurs en histoire et, plus particulièrement, celui de la rareté soudaine des emplois en histoire? Serait-ce que le ralentissement économique suscite des compressions budgétaires dans les universités canadiennes, compressions qui provoquent une plus grande rareté de l’embauche de nouveaux professeurs? Cette situation pourrait-elle s’expliquer par les pressions constantes exercées par les gouvernements favorisant le non-remplacement des employés nouvellement retraités dans les fonctions publiques provinciales et fédérale, de même que dans les organismes publics et parapublics (à Parcs Canada, entre autres)? Ou serait-ce plutôt que l’effet cumulé de nouvelles cohortes de détenteurs d’une maîtrise et d’un doctorat, qui peinent à se trouver un emploi — à tout le moins au Québec —, contribue à aggraver la situation?

Nul ne peut répondre affirmativement à ces hypothèses. Une chose demeure, toutefois : la situation est plus critique que jamais. Il est primordial que les départements d’histoire à travers le pays, en collaboration avec les services de placement, se soucient du sort professionnel de leurs étudiants en histoire en réalisant des enquêtes sur la situation locale en matière d’emploi et en préparant, s’il y a lieu, des plans d’action pour remédier à la situation. Je dirais par ailleurs ceci aux étudiants aux cycles supérieurs qui ont lu le présent texte : il n’y a pas lieu de vous décourager. Il n’en tient qu’à vous de tirer votre épingle du jeu, d’autant plus qu’une série de facteurs peuvent expliquer l’emploi ou le non-emploi d’une personne : l’étendue de son réseau, son champ de spécialisation, sa capacité à enseigner, la qualité de sa thèse, ses publications, ses expériences d’emploi connexes, son implication communautaire, sa personnalité, etc.

Pour en savoir plus

Alberta

Alberta Advanced Education and Technology. « Alberta Post-Secondary Graduate Outcomes Survey : Class of 2005-2006 ». 2008, 150 p.

Alberta Advanced Education and Technology. « Alberta Post-Secondary Outcomes Survey : Class of 2003/2004 ». 2006, 105 p.

Harris Decima, « Alberta Graduate Outcomes Survey : Class of 2007-2008 », 2010, 140 p.

Canada

Banque du Canada. « Feuille de calcul de l’inflation ». http://www.banqueducanada.ca/taux/renseignements-complementaires/feuille-de-calcul-de-linflation/, consulté le 22 juin 2011.

DESJARDINS, Louise et Darren KING. « Espérances et résultats sur le marché du travail des titulaires de doctorat des universités canadiennes ». Statistique Canada, 2011, 62 p.

WILLIAM, Garth. « Les études doctorales au Canada : 1900-2005 ». Association canadienne pour les études supérieurs, 2005, 20 p.

Ontario

Council of Ontario Universities. « Cudo ». http://www.cou.on.ca/statistics/cudo.aspx, consulté le 15 juin 2011.

Council of Ontario Universities. « Surveys ». http://www.cou.on.ca/issues-resources/student-resources/surveys.aspx, consulté le 15 juin 2011.

Colombie-Britannique

PENDLETON, Sham et Walter SUDMANT. « BC University Survey of Graduates from Masters and Doctorate Programs ». The University Presidents’ Council of British Columbia, 2006, 34 p.

Québec

Ministère de l’éducation du Québec. « La relance à l’université : le placement des personnes diplômées de 1997 pendant la semaine du 18 au 25 janvier 1999 ». 2000, 48 p.

Ministère de l’éducation du Québec. «  La relance à l’université : le placement des personnes diplômées de 1999 pendant la semaine du 14 au 20 janvier 2001 ». 2001, 112 p.

Ministère de l’éducation du Québec. « La relance à l’université – 2003 : la situation d’emploi de personnes diplômées ». 2004, 92 p.

Ministère de l’éducation du Québec. « La relance à l’université – 2005 : la situation d’emploi de personnes diplômées ». 2006, 86 p.

Ministère de l’éducation du Québec. « La relance à l’université – 2007 : la situation d’emploi de personnes diplômées ». 2008, 88 p.

Ministère de l’éducation du Québec. « La relance à l’université – 2009 : la situation d’emploi de personnes diplômées ». 2010, 88 p.

Ministère de l’éducation du Québec. « La relance à l’université 2010 : la situation d’emploi des personnes titulaires d’un doctorat ». 2011, 15 pages ;

Ministère de l’éducation du Québec. « Le placement des personnes diplômées de 1999 pendant la semaine du 14 au 20 janvier 2001 ». 2001, 112 p.

*Article publié dans le Bulletin de la Société historique du Canada.