Une loi scélérate et une infamie

Publié le 18 mai 2012

Par Collectif d’historiens et de citoyens[1]

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« Si la jeunesse n’a pas toujours raison, la société qui la méconnaît et qui la frappe a toujours tort. »

François Mitterrand, Discours à l’Assemblée nationale, 8 mai 1968

« Lorsque dans le silence de l’abjection, l’on n’entend plus retentir que la chaîne de l’esclave et de la voix du délateur, lorsque tout tremble devant le tyran, et qu’il est aussi dangereux d’encourir sa faveur que de mériter sa disgrâce, l’historien paraît chargé de la vengeance des peuples. C’est en vain que Néron prospère, Tacite est déjà né dans l’Empire. »

François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe.

Comme professeurs et professeures, historiennes et historiens, qui avons documenté, avec d’autres, l’histoire politique du Québec, nous affirmons que rarement a-t-on vu une agression aussi flagrante être commise contre les droits fondamentaux qui ont sous-tendu l’action sociale et politique depuis des décennies au Québec.

Le droit de libre expression, le droit de manifester, le droit d’association sont au cœur de notre démocratie. Ces droits civiques et politiques déterminent notre appartenance et notre participation à la vie de notre communauté politique. Ils permettent cette essentielle dissidence qui est au cœur de tout ce que le Québec a connu de changement dans son histoire, depuis les Patriotes jusqu’aux grandes luttes syndicales de la Révolution tranquille, en passant par les combats des femmes, des Autochtones et des autres groupes de citoyens pour leur reconnaissance politique. Sans l’exercice de ces droits garantis notamment par les Chartes, notre régime politique ne peut pas se réclamer entièrement de la démocratie. Une démocratie au sens fort du terme exige de ses citoyens et de ses citoyennes la capacité d’exercer pleinement leurs droits : c’est là l’assise de la primauté du droit en ce pays et l’objectif fondamental des luttes politiques au Québec depuis l’instauration du système parlementaire.

Le mouvement étudiant, par son action depuis trois mois, n’a fait que reprendre le flambeau de cette exigence démocratique. Il est odieux de voir un gouvernement l’utiliser comme cible de ses actions antidémocratiques, d’autant plus que la principale fonction de l’État démocratique est de garantir l’exercice de leurs droits et de leurs libertés.

Pis encore, le dernier geste de ce gouvernement, celui du projet de loi 78, remet en cause le principe de la primauté du droit dans la résolution des conflits, comme le souligne le Bâtonnier du Québec dans son communiqué du 18 mai. En effet, dans sa forme actuelle, le projet de loi 78[2] limite clairement le droit de manifester pacifiquement de tous les citoyens et sur tous les sujets. Il entrave de manière importante la liberté académique dans un milieu universitaire. Il suspend des recours juridiques légitimes et renverse le fardeau de la preuve qui rend les associations d’étudiants et les syndicats responsables d’actes commis par autrui. Enfin, il sanctionne lourdement les citoyens ainsi que les associations étudiantes et syndicales qui ne se conformeraient pas aux dispositions de cette loi d’exception.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi 78 en discussion est une loi scélérate et une infamie. Nous en appelons à tous ceux et celles qui, dans ce pays, ont à cœur les libertés politiques fondamentales de se mobiliser contre cette agression contre nos droits et nos libertés.

Signataires (dernière mise à jour :10 juin 2012, 18h30)[3]

Jean-Marie Fecteau (UQÀM), Martin Pâquet (Laval), Michel De Waele (Laval), Louise Bienvenue (Sherbrooke), Harold Bérubé (Sherbrooke), Aline Charles (Laval), Olivier Hubert (Montréal), Andrée Lévesque (McGill), Johanne Daigle (Laval), Brigitte Caulier (Laval), Florence Piron (Laval), Benoît Grenier (Sherbrooke), Donald Fyson (Laval), Thierry Nootens (UQTR), Josette Brun (Laval), Guylaine Martel (Laval), Karine Hébert (UQAR), Julien Goyette (UQAR), François Guérard (UQAC), Martin Petitclerc (UQÀM), Julien Prud’homme (UQÀM), Maurice Demers (Sherbrooke), Yves Gingras (UQÀM), Léon Robichaud (Sherbrooke), Sonya Roy (McGill), Mary Ann Poutanen (Concordia), Patrick Baker (Laval), André Poulin (Sherbrooke), Catherine Ferland (Sherbrooke), David Meren (Montréal), Isabelle Perreault (Ottawa), Jarrett Rudy (McGill), Alain Beaulieu (UQÀM), John V. Drendel (UQÀM), Jean-Philippe Garneau (UQÀM), Laurent Turcot (UQTR),  Andrée Courtemanche (Laval), Lyse Roy (UQÀM), Pascal Bastien (UQÀM), Magda Fahrni (UQÀM), Piroska Nagy (UQÀM), Stéphane Savard (UQÀM), Simon Jolivet (Ottawa), Jean-Philippe Warren (Concordia), Michel Sarra-Bournet (UQÀM), Christophe Horguelin (UQÀM), Janick Auberger (UQÀM), Jonathan Livernois (McGill), Yvan Lamonde (McGill), Patrice Groulx (Laval), Robert Comeau (UQÀM), Louis-Georges Harvey (Bishop’s), Michael Quigley (Hamilton), Stéfan Winter (UQÀM), Sylvie Taschereau (UQTR), Vincent Romani (UQÀM), Mourad Djebabla (Kingston), Odile Henry (Université Paris Dauphine), Geneviève Dumas (Sherbrooke), Thomas Wien (Montréal), Alexandre Dubé (Omohundro Institute), Allan Greer (McGill), Jean Lévesque (UQÀM), Denyse Baillargeon (Montréal), Éric Dussault (Laval), Willeen Keough (SFU), Tamara Myers (UBC), David Banoub (Carleton), Étienne Côté (Cégep Lanaudière), Laurence Monnais (Montréal), Amélie Bourbeau (Laurentienne), Julie Allard (Bishop’s), Christine Métayer (Sherbrooke), Benoît van Caloen (Sherbrooke), Adele Perry (Manitoba), Dominique Deslandres (Montréal), Arnaud Bessière (UQTR), Yvan Rousseau (UQTR), Jacques Rouillard (Montréal), Danielle Laurendeau (UQÀM), Nicolas Beaudry (UQAR), Aline Dupaul (Amnistie international), Sylvie Turmel (ESTB), Marie-Françoise Gautrin (Ahuntsic), Fabien Rose (Concordia), Élise Detellier (Angers), Muriel Perez-Gomez (Laval), Marise Bachand (UQTR), Didier Prioul (Laval), Patrizia Gentile (Carleton), Joel Belliveau (Laurentienne), Jason Luckerhoff (UQTR), Luc Lévesque (Laval), Jean Antonin Billard, Danielle Courtemanche (ULCO), Catherine Peeters, Michèle Dagenais (Montréal), Lucia Ferretti (UQTR), Marie-Claude Thifault (Ottawa), Alain Laberge (Laval), Godefroy Desrosiers-Lauzon (INRS-UCS), Françoise Lucbert (Laval), Christel Freu (Laval), Julien Massicotte (UMCE), Brigitte Fortin (HD), Marc Grignon (Laval), Laurent Corbeil (McGill), Marie LeBel (Hearst), Michel Bock (Ottawa), Sophie Calmé (Sherbrooke), Martin Lépine (Sherbrooke), Michèle Venet (Sherbrooke), Normand M. Bengle (Sherbrooke), Annie Boucher, Nicolas Kenny (SFU), Bob White (Montréal), Patricia Dionne (Sherbrooke), Michèle Vatz Laaroussi (Sherbrooke), Roxanne Rimstead (Sherbrooke), Luc Guay (Sherbrooke), Peter C. Bischoff (Ottawa), Didier Méhu (Laval), Yves Frenette (Ottawa), Erick Duchesne (Laval), Pierre Villeneuve (UQÀM), Linda Cardinal (Ottawa), Sylvie Paquerot (Ottawa), Jocelyne Talbot (SGA), Michel Lalonde (Ottawa), Anne Calvès (Montréal), Sirma Bilge (Montréal), Nathalie Watteyne (Sherbrooke), Rémy Thobois, André Duhamel (Sherbrooke), Marc-André Robert (Laval), Pascal Scallon-Chouinard (Sherbrooke), Ellen Jacobs (UQÀM), Marie-Eve Ouellet (Montréal), Jacinthe Archambault (UQÀM), Marcel Martel (York), Charles-Philippe Courtois (CMRSJ), Étienne Gohier (Paris 8), Valérie Poirier, Philippe Dugas, Suzanne Gousse (Montréal), Jean Roy (UQTR), Maude-Flamand Hubert (UQAR), Martine Hardy (Montréal), Robert Larin, Jean-François Auger (Groningue), Serge Bernier (UQÀM), Alexandre Carey (UQÀM), Isabelle Bouchard (UQÀM), Caroline Durand (Trent), André Bilodeau (Montréal), Marianne Desrochers, Jonathan Proulx-Salvas, Caroline Gagné, Patrick Noël (Laval), Patrick Laurin (Montréal), Jean-François Veilleux, Katéri Dupont (UQÀM), Andrée Rivard (UQTR), Sandra Nadeau Paradis (UQTR), Jocelyne Murray, Shawn McCutcheon (Montréal), Lydia Brunel (UQTR), Marc Larochelle (UQTR), Marcel Jr. Nault (Sherbrooke), Lucie Piché (Cégep Sainte-Foy), Charles Audet (UQTR), Caroline-Isabelle Caron (Queen’s), Philomène Gallez (Montréal), Benjamin Furst (Montréal), François Gauthier (McGill), Marilyne Brisebois, Pierre Meese (Sherbrooke), Serge Mainville (École de Mortagne), André Pelchat (Laval), André Rochette (C. scolaire Sir Wilfrid-Laurier), Louise Levasseur, Joseph Gagné (Laval), Marie-Joëlle Côté (UQTR), Philippe Guillemette, Julie Comtois Blain (Sherbrooke).


[1] À l’origine, cette lettre des historiens québécois fut soumise au journal Le Devoir où elle a été publiée le 19 mai 2012. Depuis, le public solidaire s’est élargi et des citoyens de tous les horizons se sont sentis concernés par le document. C’est ainsi avec plaisir que les historiens acceptent cet état de fait, qui témoigne de l’importance et de l’urgence de prendre position sur cette loi inacceptable.

[2] Le projet de loi est devenu une loi le 18 mai 2012. L’assaut devient légal.

[3] Si vous désirez ajouter votre nom à la liste des signataires, vous pouvez entrer les informations à cette adresse :  https://docs.google.com/spreadsheet/viewform?formkey=dElsZVI2RGs5RVFWYWVOZGdDVWNRNEE6MQ.