Un film coup de poing signé Alanis Obomsawin. Le peuple de la rivière Kattawapiskak, 2012, Office National du Film.

Publié le 23 janvier 2013

 Stéphanie Lanthier, cinéaste et chargée de cours à l’Université de Sherbrooke

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POKR Poster 24X36 FR_LREncore une fois, la cinéaste engagée Alanis Obomsawin a su tourner l’urgence. En 2011, alors qu’elle se trouve dans la communauté crie d’Attawapiskat pour filmer la création d’une école sécuritaire et chaude – un projet notamment porté par une jeune fille de 15 ans Shannen Koostachin – la chef Teresa Spence décrète l’état d’urgence et demande à la Croix-Rouge canadienne d’intervenir dans son village. La cinéaste est là et, intra-muros, elle captera les difficiles conditions de vie des habitants de la côte ouest de la Baie James. À sa manière, avec sobriété et compassion, elle documentera, filmera et interrogera la résilience de cette communauté crie.

Un film qui ne laisse personne indifférent. Dans ces paysages d’hiver, allant de vastes étendues subarctiques jusqu’aux murs de roulottes de chantier, Alanis Obomsawin braque sa caméra sur des silences oppressants. Un décor glacial et, parfois, désolant du Nord de l’Ontario. Alors qu’elle met en relief l’invraisemblable présence de la mine de diamants Victor, possédant un important gisement à quelques kilomètres de la communauté, la parole est donnée à une jeune mère exprimant sa déception de vivre, avec ses trois enfants, dans une minuscule chambre deLe peuple de la rivière Kattawapiskak_Dossier de presse_LR fortune. Le film enchaîne avec un témoignage émouvant, celui de Rosie Koostachin. Une femme qui grandira en se nourrissant dans les dépotoirs du village. Ces séquences, aux allures de confession, sont portées par une caméra attentive et par la présence de la cinéaste Obomsawin (sa voix). Une mise en scène efficace qui témoigne du respect et des liens créés. Parmi les autres moments poignants du film, les visites de maisons délabrées – des shacks – remplies de moisissures et de murs troués. Mais, faut-il le rappeler? Alanis Obomsawin nous a habitués à ce cinéma qui dérange. Un cinéma qui prend position. Qu’on pense à ses films réalisés dans le feu de l’action : Les événements de Restigouche (1984) sur le raid de la police provinciale sous le gouvernement de René Lévesque, Kanehsatake – 270 ans de résistance (1993) sur le soulèvement mohawk survenu en 1990 à Oka et Kanehsatake, Pluie de pierres à Whiskey Trench (2000) sur l’attaque d’un convoi de 75 automobiles par des Québécois blancs en colère lors de la crise d’Oka.

Un parcours impressionnant. Aujourd’hui, à 81 ans, c’est une œuvre sociopolitique colossale et significative qu’Alanis Obomsawin aura réalisée en mettant en lumière le sort affligé aux peuples autochtones du Canada (près de quarante films). Dans un récent ouvrage, Alanis Obomsawin. Vision of a Native Filmmaker,le professeur de cinéma et d’études américaines de l’Université d’Oklahoma, Randolph Lewis estime «[qu’]Obomsawin fait figure en quelque sorte de diplomate, d’entremetteuse culturelle (cultural broker) de l’ère électronique, négociant par l’intermédiaire du cinéma documentaire les conditions de l’acceptation mutuelle et du rapprochement entre Autochtones et non-Autochtones». En effet, son cinéma s’inscrit dans un parcours d’éducation voire, de lutte contre l’ignorance et Image tirée du filml’indifférence envers les peuples autochtones. Si, dans ce dernier film, plusieurs enjeux socioéconomiques y sont soulevés, il semble que la question identitaire soit le fil narratif qui tisse tout le récit. Sur ce point, c’est peut-être là que l’ensemble de l’œuvre de cette femme cinéaste prend tout son sens politique. Ses films ne sont-ils pas les morceaux d’une mémoire qu’elle tente de raccommoder «pour la suite du monde»? En ce sens, son parti pris cinématographique serait en faveur des générations à venir. Pour que ces dernières puissent se reconstruire positivement en ayant une identité et une estime de soi fortes. Son engagement se situe, également, là.

Dans le contexte actuel,  avec, entre autres, la grève de la faim de la chef Theresa Spence et le mouvement pancanadien Idle No More, ce dernier film d’Alanis Obomsawin vient ajouter une voix au concert de la reconnaissance des cultures autochtones du Canada. Reste à savoir, maintenant, si sa pratique d’un cinéma engagé saura, encore une fois, ébranler les consciences et mener à une solidarité interculturelle. Chose certaine, la cinéaste n’attendra pas. Elle termine, actuellement, un autre film sur cette communauté de la Baie James.