« Dé-formation professionnelle » : le travail autonome en histoire

Publié le 27 janvier 2013

Par Karl Bourassa, historien-consultant

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Lorsqu’on m’a demandé d’écrire pour cette revue à propos de mon travail, j’ai eu un moment d’hésitation. « De quelle partie de mon travail vais-je parler? » me suis-je demandé. Mon dilemme provient de la dualité de ma carrière. Je suis historien de formation, mais j’ai aussi une « dé-formation » d’archiviste. En effet, mon expérience de travail consiste en plusieurs contrats de recherche historique pour diverses organisations, mais aussi en contrats d’archivistique.

Le travail autonome

Le lot de plusieurs historiens qui ne font pas de carrière universitaire est le travail autonome, puisqu’il est plutôt rare qu’un musée ou une société d’histoire ait le budget pour employer un historien à temps plein. Cela dit, cette pratique comporte plusieurs avantages. Mon horaire est très flexible; je n’ai qu’à respecter les dates de tombée. La tarification peut être très avantageuse quand on sait négocier. Si l’on aime travailler seul, il n’y a pas meilleur moyen. Je n’ai pas de patron, mais des clients. Il est même possible de choisir ses contrats dans certains cas.

En contrepartie, il y a évidemment quelques désavantages : sécurité d’emploi à long terme presque nulle, aucun encadrement. Mais il existe des moyens de garder ces désavantages loin de soi, notamment la planification à long terme et la construction d’un réseau professionnel solide. Mieux on vous connait, plus on fera appel à vos services.

Les archives

Présentement, j’ai la chance de travailler dans mon patelin comme archiviste à la Société d’histoire de Coaticook. Ce petit organisme à but non lucratif se cherchait un archiviste ou un historien capable de mettre en place un système de classement pour son impressionnante collection de photos du journal local Le Progrès. Puisque j’avais déjà un peu d’expérience dans le domaine, je me suis lancé et j’ai décroché le contrat par appel d’offres. J’ai pu poser une condition à mon contrat : je peux en tout temps mettre en veilleuse mon travail aux archives pour accepter un contrat de recherche. De cette façon, je n’aurai pas à refuser un de ces contrats de recherche que l’on aime tant décrocher, mais qui sont si peu abondants, si jamais on m’en propose un.

Mon expérience en archivistique provient d’un petit contrat que j’ai obtenu pendant mes études chez Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Sherbrooke, où j’ai classé une partie du fonds de la famille Bowen.

La recherche

Le Queen's Hotel se dressait autrefois sur les terrains de l'actuel Musée Beaulne, à Coaticook. Photo tirée du site de la Société d'histoire de Coaticook.

Le Queen’s Hotel se dressait autrefois sur les terrains de l’actuel Musée Beaulne, à Coaticook. Photo tirée du site de la Société d’histoire de Coaticook.

Évidemment, en tant qu’historien, la recherche est de loin mon activité professionnelle préférée. Par le passé, j’ai exécuté plusieurs contrats de recherche, mais c’est le Musée Beaulne de Coaticook qui m’a confié l’un des plus intéressants. Mon mandat était de vérifier une rumeur selon laquelle un hôtel aurait déjà existé sur les terrains du musée, le Queen’s Hotel. Le musée veut en faire une activité d’archéologie pour ses visiteurs. Moi qui adore travailler avec des cartes, j’ai été servi. J’ai aussi dû me lancer dans les contrats notariés de l’époque (1860-1890) et établir l’historique du lot en question. Au final, la rumeur s’est bel et bien confirmée et une équipe d’archéologues est actuellement à pied d’oeuvre pour retrouver les vestiges de cet hôtel. J’étais aussi très heureux de mes découvertes, puisque je deviens du même coup un expert de l’histoire de l’hôtel, ce qui me rapportera vraisemblablement un autre contrat de recherche en vue de bonifier les activités et les expositions qui découleront de cette découverte.

Avocat de profession, Charles Carroll Colby a aussi été député de la circonscription fédérale de Stanstead. Photo tirée du fonds d'archives Colby conservé à la Société historique de Stanstead.

Avocat de profession, Charles Carroll Colby a aussi été député de la circonscription fédérale de Stanstead. Photo tirée du fonds d’archives Colby conservé à la Société historique de Stanstead.

Durant mes études, j’ai mené plusieurs contrats de recherche qui m’ont permis de m’établir dans le domaine et dans la région comme historien. Le premier organisme qui m’a ouvert ses portes est le Musée Colby-Curtis de Stanstead. Cet organisme se veut aussi une société d’histoire et conserve plusieurs fonds d’archives[1], dont l’impressionnant fonds Colby qui expose la vie de cette famille dans beaucoup de détails et sous plusieurs aspects. J’ai d’ailleurs consulté ce fonds pour mon mémoire de maitrise[2]. Le Musée Colby-Curtis m’a tout d’abord offert un emploi d’été; je devais faire la numérisation et la transcription d’une partie de ce fonds. L’été suivant, j’ai mis en place une base de données à propos des commerces et industries de l’ancienne municipalité de Rock Island, située tout juste à côté de Stanstead le long de la frontière canado-américaine[3]. Par la suite, j’y ai fait de la recherche iconographique pour une exposition sur le tourisme dans le comté de Stanstead à la fin du XIXe siècle. Et la collaboration n’est pas terminée…

Ma connaissance approfondie du fonds Colby m’a également permis de travailler pour l’ancien Musée canadien de la poste qui était intrigué par la correspondance amoureuse d’un des membres de la famille. J’ai par ailleurs aussi travaillé pour la Société d’histoire de Sherbrooke à dresser l’historique du territoire de l’agrandissement du Parc national du Mont-Orford.

Ceci résume en gros mon parcours d’historien-consultant-archiviste. Pour l’instant, mon réseau professionnel se situe surtout parmi les sociétés d’histoire, les musées et les archivistes, mais j’essaie de garder toujours les portes ouvertes et de me tenir au courant des offres d’emploi et de contrat dans ma région pour continuer d’élargir mon réseau.

Les défis

En plus de toujours demeurer à l’affut d’offres potentielles pour garder un flot constant de contrats, d’autres défis s’ajoutent à ma pratique. En ce moment, aux archives, je dois constamment me demander si le système que je mets en place est assez convivial pour le commun des mortels. J’ai dû apprendre non seulement les rudiments de l’archivage de photos, mais aussi un nouveau langage de programmation (PHP) afin de créer une interface web facilement utilisable pour faire l’entrée de données et effectuer une recherche dans une base de données.

Autrement, dans les rapports de recherche qui sont, la plupart du temps, les livrables demandés, il est primordial d’adapter le langage à un public non érudit, contrairement à ce qui est demandé à l’université. Cela peut sembler anodin, mais quand les gens qui vous lisent et qui vous paient sont des gestionnaires et non des historiens, la clarté et la concision sont extrêmement importantes.

Au final, je m’estime chanceux d’avoir eu accès à autant de contrats pendant mes études, car cela m’a permis de sortir de l’université avec non seulement un diplôme en poche, mais aussi un réseau professionnel bien établi. Je ne suis encore qu’un débutant aux yeux de plusieurs, mais qui sait où me mènera l’expérience que je gagne petit à petit? Comme quoi l’historien en dehors de l’université peut survivre!


[1] Karl Bourassa, « Un trésor méconnu des Cantons-de-l’Est : les archives de la Société historique de Stanstead », Revue d’études des Cantons-de-l’Est, no 35, 2010, p. 115-121.

[3] Auteurs multiples, « Rock Island Project », en ligne.