L’université comme lieu de recrutement pour l’extrême-droite : l’exemple du Groupe Union Défense à la Faculté Panthéon-Assas de Paris (1968-1988)

Publié le 7 octobre 2015

Olivier Bérubé-Sasseville, candidat au doctorat en histoire à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM)

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Manifestation pour le 25e anniversaire de l’écrasement du soulèvement de Budapest par les soviétiques, 4 novembre 1981.

L’université, terreau fertile du débat, lieu de foisonnement et de bouillonnement d’idées, est certainement l’un des théâtres privilégiés de la formation politique de toute une jeunesse. Dans une France d’après Seconde Guerre mondiale, hantée par la blessure de la collaboration et par le souvenir d’un fascisme dorénavant honni par l’ensemble de la classe politique, se développe paradoxalement un mouvement d’extrême-droite étudiant. Associable au néofascisme par sa volonté révolutionnaire de régénérescence de la communauté nationale, cette tendance se démarque de l’extrême-droite conservatrice nostalgique du passé en se projetant dans le futur pour offrir une modernité alternative et résolument nationaliste. Fondé sous le nom de Groupe Union Droit et immédiatement rebaptisé Groupe Union Défense (GUD), le syndicat étudiant, né des cendres des tentatives néofascistes des années soixante telles qu’Occident et la Fédération des Étudiants Nationalistes (FEN), se fixe comme mission d’organiser une riposte nationaliste aux évènements de Mai 68 et d’en assurer la présence dans les facultés largement dominées par les mouvements étudiants de gauche et d’extrême-gauche. Apparaissant sur la scène politique au lendemain des soulèvements de Mai 68 et concentrant son action à la faculté Panthéon-Assas de l’université Paris II, le GUD survivra aux divisions, aux dissolutions et aux attaques de leurs ennemis politiques pendant plus de deux décennies.

Bien que très marginale par rapport à la présence de l’extrême-gauche dans les facultés parisiennes, la présence du GUD est significative pour deux raisons. D’une part, de par sa concentration en une seule faculté, le groupe réussit à s’affirmer comme force politique incontournable malgré ses maigres effectifs. Par ailleurs, de par l’impressionnant réseau d’alliances qu’il parvient à former avec la galaxie de formations et de partis d’extrême-droite adultes en dehors du contexte universitaire, le mouvement devient un incontournable de la mouvance d’extrême-droite de cette période.  Nous nous attarderons donc à l’importance de la branche jeunesse pour l’extrême-droite française, qui confère au GUD un rôle crucial dans son organisation, puis nous exposerons ce réseau d’alliances entre partis et mouvements dont le GUD constitue un élément central.

Le Groupe Union Défense : brève présentation

Les racines du mouvement Occident trouvent leurs origines dans la nostalgie du régime de Vichy, où le racisme et l’antisémitisme sont affirmés sans complexe, et où on se réfère volontiers à Robert Brasillach, collaborateur fusillé en 1945. Suite à l’éviction de Pierre Sidos, anciennement à la tête du mouvement, Occident délaisse les références directes aux régimes fascistes de la guerre et préconise plutôt un nationalisme influencé par Charles Maurras; journaliste, essayiste et théoricien du nationalisme intégral de son mouvement politique, Action Française, principal mouvement d’extrême-droite sous la Troisième République. Cette transition, se caractérisant par la fin des efforts de légitimation par rapport à l’extrême droite traditionnelle, suggère une place significativement plus importante à la jeunesse au sein du mouvement, qui sera cruciale pour le GUD. Ce groupuscule prendra racine au sein du mouvement étudiant et plus particulièrement à la faculté de droit de l’Université Panthéon-Assas. La mission principale du groupe est, au départ, de combattre la forte présence d’étudiants communistes et anarchistes, qui investissent la faculté dans la foulée des évènements de Mai 68. Dès 1969, l’impact de la création du GUD se fait sentir à l’occasion des élections universitaires, alors que le groupe obtient des résultats significatifs en franchissant la barre des 10 % à Clignancourt, à St-Maur, à Nanterre et, évidemment, à Assas[1]. Ce groupe devient ainsi le principal représentant de l’extrême droite néofasciste dans le monde étudiant.

Pierre Sidos à la tribune d’Occident.

Coupé de ses liens avec la mouvance ultranationaliste par la dissolution d’Occident, le GUD renoue avec un mouvement extérieur au milieu universitaire en devenant la branche jeunesse d’Ordre Nouveau (ON). ON, qui sera à son tour dissous en 1973, aura cependant un impact capital dans l’organisation du courant nationaliste par la création, résultante de la volonté de ses membres originaux, du Front National (FN). Ayant jusqu’alors régné en maître sur la faculté d’Assas, recrutant de nombreux militants et y instaurant un climat farouchement hostile aux étudiants gauchistes, le GUD s’enferme alors dans sa radicalité. Cette attitude entraînera un relatif déclin, fortement dû à sa distance avec le FN, qui saura récupérer un nombre important des militants nationalistes par la création du Front National de la Jeunesse (FNJ), et grâce au concours, notamment, de Jean-Marie Le Pen[2].

Le déclin du GUD se cristallise au tournant des années 1980, tandis que ses militants sont couramment impliqués dans des affrontements avec des militants de gauche lors desquels plusieurs d’entre eux sont blessés ou arrêtés. Même à Assas, la présence du groupe se fait de moins en moins sentir. Cependant, dans la foulée de l’élection de François Mitterrand en 1981, le GUD profite d’un regain de l’activisme étudiant et d’une volonté d’organisation de la droite pour s’opposer aux politiques du gouvernement socialiste. Parallèlement, la quête de respectabilité du FN de Jean-Marie Le Pen, qui obtenait régulièrement des résultats électoraux approchant les 10 %, aura un impact sur la revitalisation du mouvement nationaliste sur les campus universitaires français. Cette conjoncture profite au GUD qui fait du recrutement auprès de cette nouvelle génération plus réceptive aux idées nationalistes.

Le groupe continue de tisser des liens avec des formations associées à la droite groupusculaire, ceux-ci servant d’extensions lui permettant d’évoluer hors de l’université et de trouver une place dans la mouvance néofasciste. Effectivement, le groupe se rapproche, au milieu des années 80’, du groupe Troisième Voie, né de l’union du Mouvement Nationaliste Révolutionnaire (MNR) et du Parti des Forces Nouvelles (PFN)[3]. Dans la foulée le groupe redevient une force non négligeable du syndicalisme étudiant, et voit s’organiser des sections dans plusieurs facultés hors de Paris (Lyon, Lille, Montpellier, Clermont-Ferrand)[4]. Aux élections universitaires de 1988, les groupuscules étudiants d’extrême droite obtiennent à nouveau entre 5 % et 10 % des suffrages, contrairement aux résultats sous la barre des 1 % du début des années 1980[5].

La popularité grandissante du FN est paradoxalement l’un des facteurs cruciaux entrainant la chute du GUD à la fin des années 1980. Par les efforts de développement du Front National de la Jeunesse, qui tente, avec un certain succès, de recruter dans les groupuscules de droite étudiants, la migration des militants du GUD vers le FN semble inévitable. Le groupe, qui critique férocement l’approche parlementaire du FN, n’a d’autre choix que de s’y associer pour pouvoir continuer à exister. Comme l’affirmait François Chatillon, leader charismatique du GUD et filleul de Jean-Marie Le Pen, le GUD est contraint d’aider le FN, parce qu’ils ne sont dorénavant qu’une poignée de militants[6].

La place centrale de la jeunesse pour l’extrême-droite française

La révolution nationale doit primordialement passer par la jeunesse, « le reste suivra » – Pierre Sidos[7].

Les militants du GUD ont bien compris le changement de garde qui s’opère dans l’organisation de l’extrême-droite française au milieu des années 60. Les insuccès de la campagne de Jean-Louis Tixier-Vignancour à la présidentielle de 1965 et l’essoufflement du militantisme autour de « l’Algérie française » proposent une reconfiguration de cette frange du spectre politique. À l’instar des mouvements d’extrême-gauche issus des bouleversements de Mai 68’, l’extrême-droite est consciente de l’apport de la jeunesse au mouvement; motivés et souvent virulents dans leur engagement, ces jeunes se montrent enclins à s’acquitter de la basse besogne associée à l’action militante ultranationaliste.

Ainsi, les partis et mouvements politiques « adultes », que nous présenterons succinctement dans la seconde partie de cette analyse, sauront recruter – et parfois instrumentaliser – une jeunesse idéaliste et motivée. À titre d’exemple, le rapport de la conférence-bilan des deux premières années d’existence d’Ordre Nouveau[8] montre que 67 % de ses effectifs sont constitués d’individus de moins de 32 ans[9]. Ce même rapport met en lumière la place prépondérante des militants du GUD au sein d’Ordre Nouveau, puisque 46 % de ses membres sont issus du mouvement étudiant. Plus encore, lors de la conférence, le droit de parole est accordé aux militants du GUD, aux côtés des chefs du mouvement. Cela démontre l’importance du groupe qui peut s’exprimer directement devant les militants et ainsi avoir une voix dans l’élaboration des politiques de l’organisation. Leur politique pour l’Université est exprimée dans le rapport de la conférence et deviendra la position officielle d’Ordre Nouveau[10].

La branche étudiante au sein de la constellation des mouvements constituant l’extrême droite groupusculaire s’organise autour de deux axes principaux. D’abord, pour les partis politiques, l’université représente un bassin formidable de recrutement. L’énergie et l’enthousiasme associés à la jeunesse et aux mouvements étudiants semblent cadrer parfaitement avec la vision d’un mouvement qui se réclame d’un nationalisme aux tendances fascisantes. La jeunesse représente un formidable terreau de nouvelles recrues pour tout parti avide de s’implanter durablement et de reconstituer ses forces. Deuxièmement, il existe pour les différents mouvements et partis politiques qui seront associés au GUD une volonté affirmée de dynamiser le militantisme par la formation de cadres nationalistes que l’on souhaite fidéliser afin qu’ils puissent continuer à militer une fois diplômés[11]. Pouvoir compter dans ses rangs un nombre important de futurs avocats, fonctionnaires et professeurs formés au parti et qui restent impliqués au sein des luttes politiques, constitue un avantage important pour toute formation politique, à droite comme à gauche.

Une des particularités fondamentales du GUD réside dans sa stratégie visant à s’établir dans une seule faculté parisienne. Plutôt que de disposer d’effectifs éparpillés dans les différentes universités parisiennes, et conséquemment confinés par leur marginalité à un rôle négligeable dans le panorama politique universitaire, le GUD choisit en effet de concentrer son action au sein de la faculté Panthéon-Assas de l’Université Paris-II. Cette vision, instaurée dès la formation du mouvement par son membre fondateur, Alain Robert, constitue une stratégie à double objectif : d’une part, on table sur le caractère historiquement conservateur – et souvent nationaliste- d’Assas pour y instaurer un véritable organe de recrutement des forces nationalistes. D’autre part, on souhaite ainsi combattre la dispersion des effectifs, déjà marginalisés, dans une tentative d’organisation d’une réponse à la forte présence des forces de gauche dans le milieu étudiant. Cette domination gauchiste, exagérée par les membres du GUD qui iront jusqu’à accuser le conseil d’Université d’être aux mains du Parti Communiste Français, deviendra d’ailleurs l’un des arguments de recrutement principaux du mouvement[12]. La stratégie fonctionne : de leur implantation à la rentrée de 1968 jusqu’aux élections de 1972, la place qu’occupe le GUD à Assas se consolide. En contrepartie, on constate une faible implantation de l’UNEF Renouveau[13] qui n’arrive pas à présenter de listes dans les collèges généraux (2e, 3e et 4e A)[14].

Il est par ailleurs intéressant de remarquer que le GUD survit à tous les partis et mouvements politiques auxquels il s’associe. Il constitue la branche étudiante d’une foule de partis qui ne parviennent pas à se maintenir dans le spectre politique français tout au long des années 1970 et 1980. Alors qu’il y aurait lieu de croire que le caractère inévitablement éphémère de l’engagement étudiant puisse entraîner la dissolution fréquente de ces mouvements, le GUD apparaît plutôt comme une constante qui permet aux nationalistes de s’organiser, et ce, malgré les échecs et les dissolutions des mouvements « adultes ».

GUD : liens et affiliations dans la constellation d’extrême-droite française

Puisqu’il a survécu aux dissolutions des différents partis politiques tout au long des années 1970 et 1980, le GUD, en plus de fournir et de former les militants dès le début de leur parcours universitaire, agit en tant que relais entre le militantisme étudiant et l’engagement politique adulte. Dans cette optique, il importe de dresser un portrait des mouvements et partis politiques qui se succèdent à l’extrême droite et qui représentent cette tendance néofasciste. Certaines de ces associations sont fructueuses, alors qu’à d’autres moments elles entraînent des divisions au sein de la droite nationaliste. Le rapport entre les militants étudiants souvent radicalisés et farouchement antiparlementaires et les partis politiques ayant de véritables velléités électoralistes oscille entre deux tendances : l’appui au nom de l’unité du mouvement ou la division au nom d’un rejet d’un système accusé d’être à la solde des ennemis de la nation. Nous verrons comment le GUD joue un rôle central, autant dans la formation de militants que dans l’orientation des politiques de plusieurs de ces mouvements de par son rôle d’aile jeunesse de ces organisations.

Ordre Nouveau (1969-1972)

Suite au désenchantement des nationalistes au lendemain de la mauvaise performance électorale du comité Tixier-Vignancour à la présidentielle de 1965 et la dissolutiondu mouvement Occident qui coïncide avec la montée des agitations gauchistes de Mai 68, on pourrait penser que le développement et l’organisation des mouvances néofascistes, encore plus marginalisées qu’auparavant, soient davantage fragilisés. Cependant, on constate dans un document rédigé par le commissaire Jacques Delarue et intitulé « Relance de l’extrême droite profasciste en France » que dès 1970 les renseignements généraux s’inquiètent de la résurgence de cette tendance exacerbée par la lassitude d’une frange de la population à l’égard des violences engendrées par les soulèvements de Mai. Effectivement, un certain désir populaire d’un retour à l’ordre par la force permet aux idées fascisantes de trouver une forme d’appui dans la société française.

C’est dans ce contexte qu’émerge le mouvement Ordre Nouveau. Considéré par Delarue comme le mouvement le plus susceptible de rassembler les mouvances fascistes et ultranationalistes, ON ne manque pas de s’associer avec le GUD qui en constituera, encore une fois, la branche jeunesse. Les liens entre le GUD et Ordre Nouveau sont évidents. Le mouvement compte sur sa branche étudiante pour assurer une présence forte dans de nombreuses manifestations. Dans Le Monde du 13 mai 1970, un article relate la participation du GUD au meeting d’ON en y exposant la volonté du mouvement étudiant de se fondre dans le mouvement. Deux jours plus tard, on relate, dans le même quotidien, la teneur d’un discours d’Alain Robert qui parle aux militants d’ON au nom des étudiants. Cette association perdurera jusqu’à la dissolution d’Ordre Nouveau : les discours de membres influents du GUD lors des rencontres d’ON sont fréquents. On constate par ailleurs que les étudiants du GUD sont impliqués dans de nombreuses bagarres et altercations avec des militants gauchistes et constituent donc la frange la plus exaltée du mouvement nationaliste. De plus, le GUD jouit d’une tribune importante dans le journal Ordre Nouveau information.

L’association entre GUD et ON se rompt inévitablement dans la foulée de la dissolution d’Ordre Nouveau, prononcée par le gouvernement le 27 juin 1973. Dans sa note adressée à la préfecture de police de Paris, Jacques Delarue évoque cette dissolution en suggérant une surveillance accrue de mouvements tels Faire Front (et du front de la jeunesse, sa branche étudiante) crée par des anciens d’Ordre Nouveau et du GUD : Alain Robert, François Brigneau et Jean-François Galvaire[15].

À cette époque, on commence à observer une filiation évidente entre anciens militants du GUD et partis adultes comme en témoigne la réélection d’Alain Robert, membre fondateur du GUD, au secrétariat d’ON lors du congrès du mouvement en 1973[16]. L’importance du temps étudiant dans ces parcours individuels est indéniable. En faisant leurs premières armes au GUD, ces militants s’imprègnent du discours et des méthodes associés au néofascisme du deuxième 20e siècle : qu’il s’agisse d’action musclée dans la rue ou du renouvellement du discours d’extrême-droite élaboré par les idéologues des partis adultes, le contact entre ces mouvements permet d’inscrire le militantisme d’extrême-droite dans la longue durée.

Union et Défense des Lycéens

Au départ indépendant, nommé Union des Étudiants Nationalistes (UEN) et vaguement associé à Ordre Nouveau, ce groupe étudiant d’extrême droite deviendra, en 1973, un rouage important dans la formation des futurs militants néofascistes. Bien qu’associé au GUD par sa participation à des réunions au centre Assas, c’est en mai 1973 que l’organisation change de nom et devient Union et Défense des Lycéens (UDL). Cette appellation est évidemment en lien direct avec le GUD, qui s’associera à cette branche lycéenne pour commencer la formation des futurs Gudars avant même leur entrée à l’université et ainsi unifier l’ensemble de cette structure militante. Ainsi le groupe pense-t-il s’insérer plus directement au sein des mouvements adultes[17] et résister, sur le terrain, à la domination des étudiants d’extrême gauche. L’animateur principal de l’UDL est Yves Van Ghele, qu’on retrouvera plus tard au Parti des Forces Nouvelles aux côtés d’Alain Robert, membre fondateur du GUD.

La volonté du GUD de s’associer avec une mouvance lycéenne s’inscrit doublement dans la stratégie de recrutement de l’extrême-droite de l’époque. D’une part, cette initiative prolonge la volonté d’instauration d’un virage jeunesse dans le recrutement de sa base militante, et d’autre part assure une filiation du militantisme liant lycéens à la fois au GUD et à la faculté Panthéon-Assas. L’association GUD/UDL se soldera ultimement par la création du Front de la Jeunesse et de son organe de presse en 1974, le journal Alternative, sera crucial dans le processus d’unification de la jeunesse néofasciste[18].

Parti des Forces Nouvelles (1974-1986)

Suite à la dissolution d’Ordre Nouveau, les militants nationalistes sont divisés entre deux tendances : une dont les orientations politiques se situent toujours dans une perspective révolutionnaire et réfractaire à certaines positions du Front National, et une autre, qui suivra Jean-Marie Le Pen dans l’organisation du nouveau parti. Les dissidents qui refuseront de se joindre au FN formeront éventuellement le Parti des Forces Nouvelles (PFN) en 1974.

Jean-Marie Le Pen, en 1972, au lorsqu’il devient le premier président du Front national issu du mouvement l’Ordre Nouveau. Crédits : AFP.

La déclaration officielle de la création du PFN à la préfecture de police est déposée le 29 octobre 1974. Le nouveau parti, dont les idées seront exposées dans leur organe de presse Initiative nationale : Journal des forces nouvelles, est composé à 38 % d’anciens membres d’Ordre Nouveau, à 11 % de membres issus des comités Faire Front, à 10 % de dissidents du nouveau Front National de Jean-Marie Le Pen et à 26 % de membres n’ayant jamais adhéré à toute autre formation politique[19]. On voit alors se dessiner un profil militant qui s’inscrit dans la tradition des partis et groupuscules d’extrême droite que nous avons étudiés précédemment. La place accordée à la jeunesse est évidente et, conséquemment, les militants du GUD y trouveront une structure à laquelle ils pourront se greffer. Effectivement, outre les thèmes classiques de l’antimarxisme, du nationalisme exacerbé et de la lutte à l’immigration, le PFN s’investit d’une mission de rajeunissement du mouvement nationaliste visant les élites conservatrices, une population qui semble s’intégrer plus naturellement au FN[20].

Le GUD occupe, dès le départ, une place importante au sein du PFN. Le Front de la jeunesse, dont nous parlions précédemment, est vite désigné comme structure officielle de la jeunesse du PFN. Dans le rapport de Jacques Delarue, le GUD et l’UDL (les deux groupes qui s’uniront pour former le FJ) seront identifiés comme principales organisations satellites du PFN.

Mouvement nationaliste révolutionnaire/Troisième Voie

Face à un PFN moribond au début des années 80, et qui disparaitra ultimement en 1986, et à la migration de nombreux militants vers un Front National qui gagne en légitimité, les militants du GUD se rabattent sur les mouvements les plus radicaux de la frange d’extrême-droite du spectre politique. Le GUD rejoint Jeune Garde en 1985 et participe à son mensuel Vaincre. Parallèlement, les militants solidaristes du PFN qui n’ont pas rejoint le FN ou le Centre National des indépendants et paysans (CNIP), se rapprochent de Jean-Gilles Malliarakis et de son Mouvement Nationaliste Révolutionnaire (MNR). L’idée d’une « Troisième Voie » avait déjà commencé à germer au sein des deux partis. S’opposant à la fois au communisme bolchévique et aux démocraties libérales associées au capitalisme, cette troisième voie constitue une réponse nationaliste aux blocs idéologiques de la guerre froide.

Le PFN et le MNR, partageant cette vision rejetant les deux grandes forces hégémoniques qui divisaient le monde, décidèrent d’unifier leurs mouvements respectifs pour créer le mouvement unitaire Troisième Voie, en novembre 1985, à l’occasion d’un congrès national du MNR[21]. Le GUD rejoint alors la mouvance Troisième Voie. Avec les Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires (organe jeunesse du MNR), dirigées par Serge Ayoub alias Batskin, leader de la mouvance skinhead d’extrême-droite parisienne, et l’UDL, ils constituent la base militante de Troisième Voie qui, à l’image de plusieurs autres mouvements nationalistes révolutionnaires, promeut encore une fois la jeunesse comme principal moteur de l’action militante. Cependant, les liens du GUD avec les skinheads sont souvent conflictuels, et la fin des années 1980 marque une période difficile pour le groupe, qui estime que la critique systématique du FN et des nationalistes révolutionnaires est stérile et que le sérieux parfois doctrinaire de Vaincre, ne correspond plus aux aspirations du mouvement étudiant.

C’est le 7 mai 1988 que la scission avec Troisième Voie est prononcée. Nouvellement autonome, le GUD se refonde sous l’appellation Union et Défense des Étudiants d’Assas (UDEA) et se rapproche du FN et de son aile jeunesse au début des années 1990. Bien que plusieurs de ses membres se définissent encore comme Gudars, ils se retrouvent, pendant les années 1990 et 2000, en immersion au Rassemblement étudiant de Droite, qui regroupe plusieurs tendances, notamment des catholiques traditionalistes, des royalistes et plusieurs militants du FN.

Conclusion

Une de l’Action Française Universitaire, 15 octobre 2013.

La démonstration de la persistance d’une extrême-droite néofasciste à travers la période étudiée peut s’avérer difficile. Cependant, comme le démontrent les travaux de Roger Griffin[22], l’étude des mouvements et groupuscules néofascistes par l’exposition du complexe réseau d’alliances qui en sous-tend l’action permet une analyse circonstanciée d’une idéologie en perpétuel renouvellement. Le caractère révolutionnaire qui différencie les mouvements néofascistes de l’extrême-droite conservatrice constitue le critère permettant de lier ses formations et ainsi, de faire émerger les continuités au sein de cette frange radicale du spectre politique français. L’étude du parcours du GUD et de ses militants, dont plusieurs se retrouveront impliqués dans cette extrême-droite néofasciste tout au long de leur vie, nous éclaire non seulement sur la trajectoire des groupuscules d’extrême-droite dans une France post Deuxième Guerre mondiale, mais également sur la place de l’Université comme lieu de recrutement de ses militants. La persistance du groupe aux dissolutions et aux démantèlements des partis auxquels il s’est associé démontre l’importance capitale du mouvement étudiant dans l’entreprise cruciale de régénérescence des forces d’extrême-droite. Plus encore, elle nous informe sur l’importance de faire de l’Université un lieu de prise de position collective contre ces tendances qui remettent en cause les principes même de notre vivre-ensemble. La montée de l’extrême-droite en Occident doit constituer une interrogation profonde non seulement pour les spécialistes de la question, mais pour l’ensemble de la communauté universitaire; la résurgence récente du GUD à Assas et d’autres formations d’extrême-droite dans certaines facultés françaises est symptomatique d’un climat qui trouve ses racines dans une histoire qu’il est impératif de nous approprier.

Pour en savoir plus

ALGAZY, Joseph. L’extrême droite en France de 1965 à 1984. Paris, Éditions L’Harmattan, 1989, 342 p.

CAMUS, Jean-Yves. Le Front national, histoire et analyse. Paris, Éditions Olivier Laurens, 1996, 279 p.

CHEBEL-D’APPOLLONIA, Ariane. L’extrême droite en France de Maurras àLe Pen. Bruxelles, Éditions Bruxelles Complexe, 1988, 446 p.

Collectif. Ordre Nouveau : Bilan de deux années de combat et présentation des perspectives d’avenir. Paris, Éditions Pour un ordre nouveau, 1972, 294 p.

CHATILLON, Frédéric, Thomas LAGANE et Jack MARCHAL, dir. Les rats maudits. Histoire des étudiants nationalistes de 1965-1995. Paris, Éditions des Monts d’Arrée, 1995, 165 p.

CHOMBART-DE LAUWE, Marie-José. Vigilance : vieilles traditions extrémistes et droites nouvelles. Paris, Édition Ligue des droits de l’homme, 1987, 206 p.

DELARUE, Jacques. « Relance de l’extrême droite profasciste en France ». Fonds Jacques Delarue : L’extrême-droite en France [F delta rés 851 : 77938], Partie 1a Documents Officiels [Fs rés 851/1], BDIC, Paris, 1970.

DELARUE, Jacques. « De la dissolution d’Ordre Nouveau à la création du Parti des forces nouvelles ». Note du ministère de l’intérieur à la police, Fonds Jacques Delarue : L’extrême droite en France [F delta rés 851 : 77938], Partie 1a Documents Officiels [Fs rés 851/1], BDIC, Paris, 1974.

GRIFFIN, Roger. « Net gains and GUD reactions: patterns of prejudice in a Neo-fascist groupuscule ». Patterns of Prejudice, vol. 33, no 2 (1999), p. 31-50.

LEBOURG, Nicolas. « La Dialectique néo-fasciste, de l’entre-deux-guerres à l’entre-soi ». Cahiers pour l’Analyse concrète, no 57-58 (juin 2006), p. 39-57.

LEBOURG, Nicolas. « L’Odyssée des Rats noirs : Voyage au cœur du G.U.D. ». Temps Présents (6 février 2010), p. 1-13.

Le Monde, Fonds Dossier France — Ordre Nouveau [Delta 1671], BDIC, Paris, 13 et 15 mai 1970; 9 mars 1972.


[1] Roger Griffin, « Net gains and GUD reactions: patterns of prejudice in a Neo-fascist groupuscule », Patterns of Prejudice, vol. 33, no 2, 1999, p. 34.

[2] Idem.

[3] Idem.

[4] Idem.

[5] Idem.

[6] Ibid., p. 35.

[7] Frédéric Chatillon, Thomas Lagane et Jack Marchal, dir., Les rats maudits. Histoire des étudiants nationalistes de 1965-1995, Paris, Éditions des Monts d’Arrée, 1995, p. 11.

[8] Collectif, Ordre Nouveau : Bilan de deux années de combat et présentation des perspectives d’avenir, Paris, Éditions Pour un ordre nouveau, 1972, p. 192.

[9] Idem.

[10] Ibid, p. 286.

[11] Journal Pour un ordre nouveau, [G.F P4422 0 col 2776], BDIC, Paris, p. 5.

[12] Ibid., p. 3.

[13] Union nationale des Étudiants de France (UNEF), mouvement étudiant rassemblant diverses tendances de gauche.

[14] Journal Pour un ordre… p. 2.

[15] Jacques Delarue, « Relance de l’extrême droite profasciste en France », Fonds Jacques Delarue : L’extrême-droite en France [F delta rés 851 : 77938], Partie 1a Documents Officiels [Fs rés 851/1], BDIC, Paris, 1970.

[16] Le Monde, Fonds Dossier France — Ordre Nouveau [Delta 1671], BDIC, Paris, 13 et 15 mai 1970; 9 mars 1972.

[17] Jacques Delarue. « Relance de l’extrême… ».

[18] Joseph Algazy, L’extrême droite en France de 1965 à 1984, Paris, Éditions L’Harmattan, 1989, p. 195.

[19] Jacques Delarue, « De la dissolution d’Ordre Nouveau à la création du Parti des forces nouvelles », Note du ministère de l’intérieur à la police, Fonds Jacques Delarue : L’extrême droite en France [F delta rés 851 : 77938], Partie 1a Documents Officiels [Fs rés 851/1], BDIC, Paris, 1974.

[20] Idem.

[21] Marie-José Chombart-De Lauwe, Vigilance : vieilles traditions extrémistes et droites nouvelles, Paris, Édition Ligue des droits de l’homme, 1987, p. 109.

[22] Roger Griffin, « Net gains and… », p. 31-50.