Regard historique sur la réforme annoncée des commissions scolaires. Première partie

Publié le 12 janvier 2016

Par Jean Bélanger, enseignant et candidat à la maîtrise en histoire à l’Université du Québec à Rimouski

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Le vent d’austérité qui souffle sur le Québec frappe l’éducation de plein fouet. Les négociations en vue du renouvellement de la convention collective des enseignants piétinent et la menace d’une loi spéciale pour mettre unilatéralement fin aux tergiversations a plané tout au long de l’automne. La plupart des enseignants estiment que les conditions de leur pratique se détériorent dangereusement et octroient des mandats de grève à leur syndicat. Tous les jours, ils vivent la pression des compressions budgétaires imposées aux commissions scolaires. Le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, affirme pour sa part que les enseignants devraient se rallier à la position du gouvernement, « s’ils ont vraiment à cœur l’intérêt des enfants et non pas une augmentation de salaire »[1]. La tension entre le gouvernement et les acteurs du réseau de l’éducation est palpable. Le groupe Je protège mon école publique estime qu’ « environ 20 000 parents et enfants se sont donné la main autour de 270 écoles partout au Québec, quelques minutes avant la rentrée scolaire »[2] du 1er septembre 2015, afin de dénoncer les effets de l’austérité en éducation. Le ministre de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, François Blais, a vite fait de dénoncer la situation, jugeant qu’il s’agissait d’une « utilisation des enfants »[3], eux qui ne « devraient pas être mêlés à la politique »[4].

L’idée d’abolir les commissions scolaires actuelles circule quant à elle depuis 2007, et la réforme qui s’annonce s’inscrit dans la logique d’austérité du gouvernement. Les commissions scolaires se trouvent entre l’arbre et l’écorce : d’une part, on exige d’elles des performances desquelles dépendent leur survie, et d’autre part l’ampleur des coupes rend difficile l’atteinte de leur mission éducative. Le projet de loi no 86, déposé à l’Assemblée nationale le 4 décembre 2015, propose d’importantes modifications à la gouvernance des commissions scolaires. Si leur abolition pure et simple n’est pas chose faite, la transformation du réseau est bel et bien en cours.

Les critères de légitimité démocratique et d’efficacité se trouvent au cœur des préoccupations ayant rallié une bonne partie de la classe politique au projet abolitionniste. En revenant sur l’histoire des commissions scolaires, il est possible de constater que la mise en place du réseau, il y a cinquante ans, s’inscrivait dans le contexte de la grande réforme de l’éducation et visait au moins trois objectifs : 1) faire des gains d’efficacité; 2) démocratiser le système d’éducation; 3) redéfinir le rôle de l’État en matière d’éducation. Si ces enjeux se retrouvent aujourd’hui au cœur du débat sur l’avenir des commissions scolaires, ils font aussi partie d’une réflexion d’ensemble sur le système scolaire québécois qui s’inscrit dans la durée. En fait, ces préoccupations récurrentes ont été saisies, redéfinies et récupérées de plusieurs façons au cours de l’histoire des commissions scolaires, prenant ainsi place dans divers programmes politiques. Le discours sur l’État libéral en émergence au XIXe siècle a d’abord cherché à se moderniser au milieu du XXe siècle, puis s’imprègne aujourd’hui à ce qu’il est convenu de nommer néolibéralisme. Au-delà des réformes administratives, c’est le rôle social de l’école qui se retrouve constamment remis en question et redéfini par le politique.

Ce premier article d’une série de deux présente la genèse des commissions scolaires, du milieu du XIXe siècle à la Grande réforme de l’éducation des années 1960, et vise à rappeler les motivations ayant mené à la création des commissions scolaires telles que nous les connaissons aujourd’hui. Le second article portera sur l’évolution des commissions scolaires au cours des cinquante dernières années et soulignera les enjeux auxquels elles sont actuellement confrontées.

Aux origines des commissions scolaires

Les commissions scolaires actuelles ont été créées dans la foulée de la Réforme de l’éducation, vaste entreprise de modernisation de l’éducation marquée par l’adoption de la Grande charte de l’éducation de 1961, la tenue de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec (Commission Parent, 1961-1966) et la création d’un ministère de l’Éducation du Québec (1964). La mise sur pied du réseau répond à une volonté explicite de démocratiser le système d’éducation et à un urgent besoin de répondre à l’arrivée massive de la génération du baby-boom sur les bancs d’école. Alors que nous pourrions célébrer les 50 ans de cette institution, le coeur n’est pourtant pas à la fête ni à la commémoration. Ponctuellement remise en question, surtout depuis 2007, elle se retrouve plutôt au bord du précipice.

D’emblée, on pourrait être porté à croire que les commissions scolaires sont une création étatique à vocation démocratique; elles préexistaient pourtant à l’État démocratique tel que nous pouvons le concevoir aujourd’hui. Elles en ont même favorisé l’avènement.

Remontons d’abord aux origines des commissions scolaires. En 1960, lorsque les libéraux de Jean Lesage arrivent au pouvoir, le Québec compte déjà « 1714 commissions scolaires catholiques ou protestantes œuvrant indépendamment les unes des autres »[5]. La gestion de ce réseau relève alors du Conseil de l’instruction publique, créé en 1856 et aboli seulement en 1964 pour être remplacé par le ministère de l’Éducation. C’est d’ailleurs en janvier 1842 qu’une première loi scolaire, inspirée en bonne partie des recommandations du rapport Buller[6], entre en vigueur. Vingt-deux conseils de districts devenaient alors responsables de l’ensemble des écoles du Canada-Est réparties dans quelque trois cents paroisses. Dès le départ, le système scolaire que l’on tente de mettre en place est intimement lié au monde municipal qui est créé quasi simultanément par une législation adoptée en 1840. En établissant une structure indépendante des partis politiques qui reconnait la participation du clergé catholique à l’éducation tout en en réduisant l’autonomie, on installait un outil de contrôle. En effet, la loi permettait au gouverneur de garder la mainmise sur l’aspect financier du système et « mettait catégoriquement de côté le cadre paroissial qui avait servi de base, dans les lois antérieures, à l’organisation scolaire »[7]. Concrètement, le financement pour les écoles était octroyé par le bureau d’Éducation au conseil de district, sous condition que ce dernier ait déjà amassé une somme équivalente à la subvention à laquelle il pouvait avoir droit. Pour recueillir une telle somme, le conseil disposait d’un pouvoir de taxation foncière. Cette taxe, obligatoire pour tous les propriétaires qu’ils aient des enfants ou non, souleva un tollé au sein de la population du Canada-Est. Par une loi promulguée en 1845 en réponse à la grogne populaire, le caractère obligatoire des taxes scolaires est porté à la discrétion des commissaires, qui peuvent le proroger ou le remplacer par des contributions volontaires, ce qui mena à la disparition de plusieurs écoles. Les conseils de districts, qui ne jouissent pas d’une réputation favorable, disparaissent par la même occasion. Parallèlement, sous le coup d’initiatives locales, des écoles indépendantes voient le jour.

C’est par la loi de 1846 que sont finalement constituées les commissions scolaires, auxquelles est restitué un pouvoir de taxation foncière obligatoire. Il s’agit d’un tournant historique puisque pour la première fois « les écoles échapperont à l’autorité municipale et ne relèveront plus que des commissaires, représentants du peuple, et du surintendant, délégué de la Couronne. »[8] D’un point de vue libéral, la mesure apparaît nettement progressive puisqu’elle vise à assurer l’existence d’un vaste réseau scolaire publique, rejoignant la masse. Toutefois, la population rechigne déjà aux changements en cours en éducation et y résiste avec ferveur. Les opposants à la scolarisation en ont contre la légitimité du système et de ses acteurs (nomination de commissaires et administrateurs ne sachant pas lire), mais surtout contre les taxes que celle-ci implique. La révolte, alimentée au départ par les plus puissants propriétaires fonciers, les seigneurs, mena à du grabuge et à des incendies d’écoles dans plusieurs régions du Bas-Canada. La résistance à la diffusion de la connaissance allant contre l’esprit des lumières qui sous-tend le projet d’éducation publique, on nommera cet épisode la « guerre des éteignoirs ». À partir de 1850, l’opinion publique se rangea progressivement en faveur de la législation scolaire, en partie grâce aux efforts du clergé et du surintendant de l’éducation pour expliquer convenablement les mesures. Le travail amorcé en 1852 par les nouveaux inspecteurs d’école contribua fortement, en raison de leur double rôle de régulateur et d’agent chargé d’expliquer la loi, à gagner la confiance de la population. Lorsque Pierre-Joseph-Olivier Chauveau prend la relève de Jean-Baptiste Meilleur à la surintendance en 1855, la grogne s’est apaisée et il amorce une réforme marquée par l’inauguration d’écoles normales à Montréal et à Québec, de même que par la création du Conseil de l’Instruction publique.

Les années 1840 et 1850, marquées politiquement par l’union des deux Canada et la question de la responsabilité ministérielle, représentent aussi les années de la mise en place de structures d’administration scolaire et municipale. La question de la confessionnalité du système scolaire apparaît comme un enjeu des premiers instants, en ce sens que l’Église occupait auparavant l’essentiel de l’espace décisionnel en matière d’éducation et qu’il semblait alors bien naturel de devoir composer avec cette situation. Malgré les visées assimilatrices de l’Acte d’Union, la législation prévoit alors une surintendance de l’éducation distincte pour le Bas-Canada et le Haut-Canada, permettant ainsi d’instaurer un système tenant compte des réalités confessionnelles. Conséquence logique de la présence de protestants et de catholiques de part et d’autre de la rivière des Outaouais, les représentants cléricaux se feront le devoir de faire valoir les droits des minorités. Dans ce contexte, la loi scolaire de 1846 prévoit que « les écoles indépendantes dirigées par les communautés religieuses peuvent être régies par les commissions scolaires et bénéficier des avantages résultant de ce contrôle »[9] et donc, des subventions gouvernementales. Toutefois, la loi insère un critère d’éligibilité d’ordre financier qui exclut de nombreux curés du conseil des commissaires et élimine leur présence automatique, ce qui est alors perçu par Mgr. Bourget comme un effet collatéral salutaire puisque l’Église évite ainsi de porter l’odieux de la taxe obligatoire.[10] La réintégration des curés est facilitée par la loi de 1849 qui reconnaît officiellement « aux membres du clergé le droit d’être élus commissaires d’écoles. »[11] Mise en place en 1856, la structure supérieure qu’est le Conseil de l’Instruction publique ne débute ses travaux que quatre années plus tard. Tenant compte de la composition de la population du Bas-Canada, le conseil se forme de dix représentants catholiques et de quatre protestants. Mais puisque les écoles confessionnelles ayant reçu des subventions se retrouvent automatiquement sous l’égide des commissions scolaires (dominées par les catholiques), les droits des minorités à une éducation religieuse appropriée deviennent une préoccupation grandissante chez les protestants. En effet, certains se plaignent de devoir, par la taxation foncière obligatoire, financer des écoles catholiques. Ils réclament alors une séparation plus complète qui leur garantirait une plus grande autonomie.

Le rappel de l’Acte d’Union et la séparation des pouvoirs provinciaux et fédéraux établie par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 fait de l’éducation un domaine d’intervention exclusif aux provinces. En vertu de l’article 93 de la constitution, les dispositions législatives provinciales ne doivent toutefois pas « porter préjudice à un point ou privilège que la loi, lors de l’Union, attribue dans la province à une classe particulière de personnes quant aux écoles confessionnelles »[12]. Les dispositions de 1867 préparent ainsi le caractère confessionnel des structures qui seront mises en place les années suivantes, ce qui « accentue le clivage du système scolaire public qui présente alors deux secteurs autonomes à peu près indépendants, le secteur protestant et le secteur catholique. »[13]

De 1840 à 1867 se met donc en place une administration à deux paliers composée du Conseil de l’instruction publique à l’administration centrale et des commissions scolaires au niveau local, lequel système « restera presque inchangé pendant plus d’un siècle »[14]. Cette période est marquée par l’émergence d’une classe politique issue de la bourgeoisie qui vise à assurer la pérennité d’un nouvel ordre politique libéral. Concrètement, la mise en place d’institutions scolaires et municipales permet aux élites de partout sur le territoire de se former à la politique et aux collectivités d’y être exposées directement. Les lois scolaires de 1869 et 1875, qui complètent le système, vont surtout en consacrer la double confessionnalité. Au final, la mise en place des institutions scolaires a contribué à faire de l’État libéral un ordre naturel et une tradition durable.

L’évolution de la législation scolaire de 1840 à 1875 témoigne donc du projet de mettre en place des institutions porteuses des aspirations libérales. Dans le salmigondis des pouvoirs locaux (paroissial, municipal, supra-municipal et scolaire) et centraux (clérical, provincial et fédéral), on remarque l’émergence d’un système scolaire qui gagne en efficacité au fil des réformes, jusqu’à s’imposer de manière durable dans le paysage québécois. Ce projet de libéralisation de l’éducation va de pair avec la démocratisation des institutions politiques (conquête de la responsabilité ministérielle et confédération) qui s’opère au même moment. La présence d’élus locaux dans l’administration scolaire et la montée du libéralisme politique viennent en effet s’imbriquer de manière à jeter les bases d’un État moderne, dont le rôle de régulateur social prendra plus d’importance au XXe siècle. En ce sens, on peut considérer que si la croissance de l’influence gouvernementale en éducation réussit à se faire au détriment de l’Église, c’est parce qu’elle a d’abord assuré sa légitimité au plan local. L’Église se repositionne ensuite rapidement au sein même des institutions créées par les législateurs. Jusqu’à la Révolution tranquille, elle continuera d’occuper un rôle central dans l’organisation scolaire de la province et aura la mainmise sur les contenus enseignés. Bien que l’histoire scolaire entre 1875 et 1960 ne soit pas dénuée d’intérêt et d’importance, les structures y connaissent une certaine stabilité. En effet, au cours de cette période, l’État libéral non interventionniste laisse la coûteuse responsabilité de l’éducation entre les mains conservatrices de l’Église. Nous pouvons ainsi nous permettre de faire un grand bond en avant, jusqu’à la réforme des années 1960.

Opération 55

À la suite de l’élection majoritaire du PLQ mené par Jean Lesage en 1960, un vent de changement souffle sur le Québec. En 1961, pour s’attaquer aux défis en matière d’éducation, le gouvernement lance les travaux de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec. Pour le président Mgr. Alphonse-Marie Parent et ses commissaires, le travail à accomplir s’inscrit dans le double cadre de « l’entrée dans la modernité » et de la réponse à donner face à la « crise de l’enseignement ». La notion de progrès galvanise alors l’esprit des commissaires : « Pour que la civilisation moderne progresse, ce qui est pour elle une condition de survie, il est devenu nécessaire que tous les citoyens sans exception reçoivent une instruction convenable et que le grand nombre bénéficie d’un enseignement avancé »[15].

En ce qui concerne la gestion scolaire, le souci premier des commissaires est de doter le Québec de structures qui permettront de mettre en œuvre la réforme qu’ils proposent et de faire de celle-ci un succès. Leur analyse évoque d’abord la pertinence des commissions scolaires, soulignant qu’elles représentent « une heureuse extension des institutions démocratiques au domaine scolaire »[16]. Les commissaires rappellent également que le fait de « confier une grande partie de la responsabilité en matière d’enseignement public à des corps constitués à l’échelon local »[17] relève d’une « longue tradition »[18] et se situe « à la base du système d’enseignement dans l’ensemble de l’Amérique du Nord. »[19] Mais puisqu’il faut agir rapidement et s’adapter à de nouvelles réalités, les commissaires proposent une réorganisation en profondeur des commissions scolaires. Pour eux, celles-ci exerçaient auparavant une « responsabilité sur l’éducation aux dimensions de la réalité locale » et administraient des fonds « perçus presque en totalité dans la localité ». Or, elles seront appelées à gérer davantage de fonds en provenance du palier provincial et l’extension du réseau d’enseignement public signifie une contribution plus globale à « l’évolution économique de l’ensemble du pays », ce qui doit amener un « changement radical de perspective » sur les administrations locales. En effet, l’association avec l’État central est appelée à être renforcée et les commissaires sont à la recherche d’un « nouvel équilibre entre deux autorités complémentaires et nécessairement solidaires »[20]. Cet équilibre des pouvoirs vise notamment à éviter les « inégalités dans la valeur ou la nature de l’enseignement, d’une municipalité à l’autre ou d’une région à l’autre »[21].

À partir de cette lecture du système, les commissaires proposent une restructuration majeure du réseau, qui commence par l’abandon d’unités administratives trop petites pour les replacer par des commissions scolaires de dimension régionale, lesquelles auraient « la responsabilité de tout l’enseignement, catholique, protestant, non-confessionnel, qu’il soit de langue française ou anglaise. »[22] L’idée de diviser les nouvelles commissions scolaires selon les convictions religieuses ou la langue d’enseignement est donc écartée par les commissaires.

Pour répondre de toute urgence à la pression démographique, il faut assurer la construction rapide de polyvalentes dédiées à l’enseignement secondaire. La réalisation de ce projet de réforme éducative concorde avec l’objectif du gouvernement libéral de faire du Québec un État moderne, doté de pouvoirs substantiels dans l’ensemble des domaines de la société. La panoplie de commissions scolaires existantes apparaît inapte à atteindre les objectifs ambitieux du gouvernement. Un grand ménage et une meilleure cohésion semblent alors nécessaires. Suivant, dans l’ensemble, les recommandations du rapport Parent, l’État amorce donc un processus de regroupement des commissions scolaires. Nommée Opération 55, la mesure gouvernementale crée 55 commissions scolaires régionales catholiques et 9 protestantes, allant ainsi à l’encontre de certaines recommandations du rapport, mais respectant les droits des minorités garantis par l’article 93 de l’AANB. L’un des principaux objectifs consiste à doter le territoire québécois de polyvalentes destinées à combler les besoins croissants de l’enseignement secondaire, corolaires de l’arrivée de la génération du baby-boom sur les bancs de l’école. Comme les commissions régionales sont investies de la responsabilité de la construction des écoles et, en conséquence, de la gestion des budgets, elles deviennent l’intermédiaire privilégié du gouvernement. La panoplie de commissions scolaires ne disparaît pas pour autant. Il y a bien quelques fusions dans le cadre de la réorganisation, mais en 1970, le nombre de commissions scolaires dépasse toujours le millier, lesquelles sont chapeautées par les commissions régionales.

Permettant d’offrir et de coordonner les services éducatifs selon les besoins des populations locales depuis environ 150 ans, ces commissions scolaires modernes ont donc renforcé leur lien et redéfini leur rôle avec les orientations générales du gouvernement dans les cinquante dernières années. L’objectif étant de mettre en place des structures opérationelles et efficaces pour la réalisation de la grande réforme de l’éducation. Cette dernière étant nécessairement réalisée à grands coûts, une réduction considérable du nombre de commissions scolaires devait permettre de contrôler les dépenses. En ce sens, l’efficacité consistait à rendre possible la réalisation du projet de démocratisation de l’enseignement. La mise en place des commissions scolaires régionales concordait donc avec les objectifs de démocratisation que s’étaient fixés les membres de la commission Parent, dont témoigne le commissaire Guy Rocher :

Si le Rapport Parent demeure un essentiel référent de l’évolution sociale du Québec, c’est qu’il a incarné une double aspiration de son époque : celle de l’entrée du Québec dans la modernité et celle de la démocratisation de la société québécoise. De ces deux objectifs, c’est assurément celui de la démocratisation qui, dans l’esprit des membres de la Commission Parent, a occupé la première place, qui a été l’intention dominante inspirant tout leur rapport. C’en est indubitablement l’axe central.[23]

Afin de rencontrer ce noble objectif qu’est la démocratisation, le modèle retenu propose que des comités où peuvent siéger les parents soient créés dans chaque école et que les commissaires scolaires soient élus. Les nouvelles commissions scolaires se voient confier le mandat de recueillir et d’administrer un impôt foncier, poursuivant ainsi la tradition implantée au milieu du XIXe siècle et assurant un certain niveau d’autonomie. Le paradoxe entre la volonté de démocratisation, bien réelle, et le fait que les commissions scolaires deviennent des ensembles régionaux plus grands avec pour mission de relayer le ministère, ne manque pas d’ailleurs pas d’être relevé par la commission Parent, qui fait valoir que « l’autonomie des autorités locales et la décentralisation doivent désormais s’entendre dans un sens nouveau »[24]. À cet égard, les commissaires expliquent que, plutôt que de « départager deux niveaux d’autorité nettement distincts et indépendants l’un de l’autre », il faut maintenant « chercher un nouvel équilibre entre deux autorités complémentaires et nécessairement solidaires ».[25]

Le rôle de l’État change avec la Révolution tranquille. Plus que jamais, il apparaît comme un outil au service de la collectivité et un régulateur social qui veille à ce que chaque individu ait l’opportunité de se réaliser et de participer activement à la vie en société. La vaste réforme éducative, qui s’inspire de cet idéal d’égalité des chances, s’était appuyée sur le réseau des commissions scolaires pour se déployer. Néanmoins, le réseau a été en constante mutation au cours des cinquante dernières années et sa légitimité se retrouve aujourd’hui carrément remise en question. Ainsi nous examinerons, dans un second article, comment ce retournement de sens a pu s’opérer.

Pour en savoir plus

AUDET, Louis-Philippe. Histoire du conseil de l’instruction publique de la province de Québec, 1856-1964. Montréal, Leméac, 1964, 346 p.

AUDET, Louis-Philippe. Histoire de l’enseignement au Québec, 1609-1971, tome 2. Montréal, Holt Rinehart et Winston, 1971, 928 p.

AUDET, Louis-Philippe et Armand GAUTHIER. Le système scolaire du Québec. Organisation et fonctionnement. Montréal, Beauchemin, 1969, 286 p.

BLANCHET, Jean-Nicolas. « Coiteux froisse les enseignants ». Le Journal de Montréal (14 septembre 2015). [En ligne].

CHARLAND, Jean-Pierre. L’entreprise éducative au Québec, 1840-1900. Québec, Presses de l’Université Laval, 2000, 452 p.

CLOUTIER, Patricia. « Chaînes humaines devant les écoles : le ministre Blais dénonce « l’utilisation » des enfants ». Le Soleil (1 septembre 2015). [En ligne].

CORBO, Claude, dir. L’éducation pour tous. Une anthologie du Rapport Parent. Presses de l’Université de Montréal, Montréal, 2002, 432 p.

PARENT, Alphonse-Marie, dir. Rapport de la commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec. Première partie : Les structures supérieures du système scolaire. Québec, Gouvernement de la province de Québec, 1963, 145 p.

ROCHER, Guy. « Un bilan du rapport Parent : vers la démocratisation ». Bulletin d’histoire politique, vol. 12, no 2 (hiver 2004), p. 117-128.


[1] Jean-Nicolas Blanchet, « Coiteux froisse les enseignants », Le Journal de Montréal (14 septembre 2015).

[2] Patricia Cloutier, « Chaînes humaines devant les écoles : le ministre Blais dénonce « l’utilisation » des enfants », Le Soleil (1 septembre 2015).

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] Louis-Philippe Audet, Histoire de l’enseignement au Québec, 1609-1971, tome 2, Montréal, Holt Rinehart et Winston, 1971, p. 400.

[6] Le rapport Buller a été commandé par Lord Durham dans le cadre sa fameuse enquête sur les causes des rébellions de 1837-1838 du Haut et du Bas-Canada. Arthur Buller avait pour mandat de faire état de la situation qui prévaut dans le domaine de l’éducation au Bas-Canada et de suggérer des améliorations à y apporter.

[7] Louis-Philippe Audet, Histoire du conseil de l’instruction publique de la province de Québec. 1856-1964, Montréal, Leméac, 1964, p. 6.

[8] Ibid. p. 7-8.

[9] Louis-Philippe Audet et Armand Gauthier, Le système scolaire du Québec. Organisation et fonctionnement, Montréal, Beauchemin, 1969, p. 18.

[10] Jean-Pierre Charland, L’entreprise éducative au Québec, 1840-1900, Québec, Presses de l’Université Laval, 2000, p. 69.

[11] Louis-Philippe Audet et Armand Gauthier, Le système scolaire…, p. 19.

[12] Ibid., p. 29.

[13] Ibid.

[14] Ibid., p. 16.

[15] Alphonse-Marie Parent, dir., Rapport de la commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec. Première partie : Les structures supérieures du système scolaire, Québec, Gouvernement de la province de Québec, 1963, p. 57.

[16] Claude Corbo, dir., L’éducation pour tous. Une anthologie du Rapport Parent, Presses de l’Université de Montréal, Montréal, 2002, p. 326.

[17] Ibid.

[18] Ibid.

[19] Ibid.

[20] Ibid, p. 329.

[21] Ibid, p. 328.

[22] Ibid, p. 331.

[23] Guy Rocher, « Un bilan du rapport Parent : vers la démocratisation », Bulletin d’histoire politique, vol. 12, no 2 (hiver 2004), p. 123-124.

[24] Claude Corbo, dir. Commission royale d’enquête…, p. 329.

[25] Ibid.