Le passé québécois en ruines circulaires

Publié le 21 décembre 2016

Par Vincent Lambert

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L’Oldsmobile du Québec manquerait-elle sempiternellement la sortie vers l’Histoire, pour reprendre les mots de l’auteur ? Crédit Thomas Hawk (Flickr).

De la Révolution tranquille, nous avons certainement gardé des manières d’éclairer dans son ensemble «notre grande aventure», comme disait le chanoine Groulx. Une aventure que les modernes ont généreusement déglorifiée, pour la bonne raison qu’ils voulaient y voir un peu plus clair. Ces lignes interprétatives, on les retrouve ici et là, encore dernièrement dans Le Roman sans aventure d’Isabelle Daunais, dans tel essai de Mathieu Belisle sur la tradition religieuse (ou son absence?) au Québec, deux relectures qui s’appuient sur des idées de Pierre Vadeboncœur avancées dans les années 1950-1960. C’est également à Vadeboncœur que revient Jonathan Livernois dans Remettre à demain. Essai sur la permanence tranquille au Québec. Je voudrais m’y attarder ici, d’abord pour expliciter une certaine vision du passé québécois, la caricaturer en quelque sorte, histoire de chercher aussi ce qu’elle pourrait laisser à l’ombre.

Pour l’illustrer, allons par le raccourci plein d’humour d’une image prosaïque : l’Oldsmobile du Québec manquerait sempiternellement la sortie vers l’Histoire, la voie rapide, et pendant que le reste de l’humanité peut aller du point A au point B, nous, nous errons dans des quartiers aux célèbres noms de rue (d’anciens politiciens, d’anciens écrivains, peut-être) dans l’espoir, admis ou non, d’une pancarte heureuse : par là, le Monde. Tel que Livernois le raconte, le passé québécois est une sorte de rêve circulaire inachevé où, en ouvrant une porte pour le quitter, vous y entrez de nouveau, et ainsi de suite à intervalle régulier, depuis l’échec des Rébellions. Être Québécois, de génération en génération, ce serait donc «vivre en dehors de l’Histoire, tournant en rond, sans début ni fin[1]» comme des «Sisyphes laurentiens». L’Histoire, on peut vouloir y entrer ou en sortir. J’imagine un Ukrainien ou un Syrien prendre un billet d’avion pour le Canada, cette terre hors du temps, sans affres – «Le Canada, c’est tellement loin que ça pourrait ne pas exister», disait Borges – et débarquer dans une Province où les gens souhaiteraient bien, de leur côté, une «entrée dans l’Histoire et une sortie de la permanence.» Au début du 19e siècle, les Européens traversaient l’Atlantique pour se rendre aux limites de la civilisation, là où le bois recommence (un monde sans eux…) et que trouvaient-ils? Des écrivains rêvant d’un pays où l’on pouvait dire, comme Cicéron de retour d’Athènes : «Partout où l’on va, on marche sur l’Histoire.»

Filer un mauvais karma

L’ouvrage Remettre à demain. Essai sur la permanence tranquille au Québec, de Jonathan Livernois, est paru en 2014 aux éditions Boréal.

L’essai de Livernois étonne par l’actualité de son diagnostic, tombé tout juste après une autre défaite historique du Parti québécois, mais aussi par sa méthode. On avait perdu l’habitude de ces traversées du temps à la recherche des mêmes schémas narratifs : alors, l’Histoire tourne donc? Nous avons pour vrai un inconscient collectif? Cette herméneutique de l’histoire était courante pendant la Révolution tranquille, à une époque où il fallait raconter l’Histoire et s’élucider à travers elle. Surtout de la part d’un universitaire, il faut de l’audace, ici complètement assumée, pour réveiller aujourd’hui des «constantes imaginaires» au Québec, au moins pour deux raisons : c’est d’abord relativiser le renouveau de 1960, supposer la persistance actuelle d’inflexions profondes que toutes les prises de conscience et les prises de pouvoir auraient laissées intactes, mais aussi, qu’advient-il de la pluralité irréductible des «trajectoires individuelles» et des «contextes socioculturels» si nous prétendons à la récurrence de situations ou motifs sous-jacents, transpersonnels et transhistoriques? Les historiens diront : manière anhistorique d’écrire l’Histoire. Sans doute, mais il faut croire que si l’Histoire donne l’impression de se répéter, c’est probablement qu’elle se déroule sur un fond anhistorique, que ceux et celles qui la font, qu’ils en aient conscience ou non, ont toujours chevauché le mythe. C’est à mon avis la grande force de cet essai que de projeter l’actualité des derniers temps (jusqu’au printemps 2012) sur un écran surdimensionné, civilisationnel, et de bondir d’un moment à l’autre de l’Histoire avec l’urgence d’un enquêteur qui relie des points sur une carte.

L’idée conductrice, la constante, est empruntée à un essai de Vadeboncœur publié en 1970, La dernière heure et la première : la permanence tranquille, cette impression trompeuse d’éternité qui frapperait les peuples (y en aurait-il ailleurs qu’au Québec?) indécis, sûrs de ne jamais mourir, et vivant pourtant comme en-deçà de l’existence, dans les limbes de l’Histoire en marche. Pour Livernois, c’est cette illusion de permanence qui gênerait «inévitablement l’achèvement de grands projets collectifs» (il parle surtout d’indépendance nationale, mais évoque aussi la laïcité de l’État; et le féminisme?) en les situant dans un temps qui revient au même, qui ne passe pas.

Retracer des «conduites d’échec» au Québec est une pratique qui a une histoire assez longue. En 1969, Fernand Dumont la faisait remonter aux années 1930 : «Aujourd’hui comme hier, nous rôdons autour du même “empêchement” : le mot, on s’en souviendra, est de Jean LeMoyne. Nous rôdons autour d’une même critique et d’une même tâche inachevée, et qui concernent tout autant les gens de ma génération que Saint-Denys Garneau et ses contemporains[2].» En sommes-nous là encore? On peut le croire, mais comme le temps a sans doute passé depuis LeMoyne, Dumont, Aquin, Vadeboncœur et les autres, la question mérite au moins d’être posée. Sans historiciser ou interroger son propre point de vue, Livernois reconnaît que décrire le «temps québécois» comme une histoire «déficitaire et faite d’inachèvement, de trous, de défaites» était déjà fréquent à l’époque de la revue Parti pris, une filiation qu’il assume d’ailleurs, avec une belle excuse, très juste : «Être conscient d’un mouvement ne nous empêche pas de l’épouser.» Il n’ignore pas non plus que sa démonstration est elle-même une preuve de cette circularité, qu’elle participe à sa manière au «grand cycle du même» qu’elle cherche à briser, ce temps du mythe, de l’éternel retour dont elle voudrait nous libérer. La raison est simple, et sans doute justifiée : les contradictions d’antan, la Révolution tranquille aurait largement failli à les résoudre. Il n’est donc pas question dans cet essai d’interroger ces premiers grands relecteurs du passé québécois, mais de réembrayer la logique qui était la leur, dans l’espoir que «la grande roue des défaites québécoises» finisse par se déboulonner.

Le masque du pauvre

Jusque-là, Livernois est assez fidèle au legs intellectuel de la Révolution tranquille (et nous pourrions remonter aux Rouges du 19e siècle…). Mais si l’on considère sa logique de plus proche, on s’aperçoit qu’un schéma est à l’œuvre, jamais ébranlé tout au long de l’essai, auquel ni Louis-Antoine Dessaules et Papineau, ni Jacques Ferron ou Vadeboncœur lui-même n’auraient souscrit, je pense. D’un bout à l’autre, c’est le même antagonisme souterrain qui prévaut, à quoi tout est ramené, entre l’Histoire à investir et un «temps mythique» auquel il faudrait résister, interprété ici comme le pauvre résidu de cette vocation providentielle en Amérique qui nous aurait donné tant de mal à renoncer à une intemporalité abstraite, surimposée d’en haut, à Rome.

La critique est légitime, mais non sans incohérence. Peut-on dénoncer une version périmée du temps mythique, et l’idée même d’un temps mythique avec elle, sans le recycler dans d’autres formes? La contradiction, c’est que Livernois refuse la fascination du mythe tout en parlant de l’Histoire en termes assez fantasmatiques. À l’entendre, l’histoire du Québec semble devoir aboutir à une grande Histoire vaguement romancée, entrevue par moments. Elle peut vous frapper, vous toucher, vous faire voir «tout en neuf» comme Gérald Godin à la fenêtre de sa cellule, un matin d’octobre. Il faut y consentir, l’embrasser, comme le font les «sujets réels» que nous ne sommes pas. Car nous sommes pauvres et imaginaires. Mais c’est encore le fait d’une pensée mythique que d’inventer à partir de cette précarité une filiation dans le temps, dans l’espoir que la déroute explorée jusqu’au bout ait le sens libérateur d’une kénose, ce «dépouillement le plus complet» qui peut vous redonner le monde. L’essai de Livernois se termine en effet par une sorte d’art de la défaite (Aquin) auquel la modernité critique nous a assez habitué. Il s’agit, en gros, d’imaginer un destin collectif à partir du côté contraignant, longtemps refusé de la tradition. Les poèmes de Godin et d’Alexie Morin, les romans de Ferron, seraient une «tentative claire de transformer la pauvreté initiale en richesse poétique.» Dans le cadre de cet essai, Livernois se limite à relayer «l’héritage de la pauvreté» d’Yvon Rivard, mais n’était-ce pas déjà le point de vue de Gilles Marcotte, Jeanne Lapointe ou Georges-André Vachon dans les années 1950-1960? «J’appelle ÉCRITURE QUÉBÉCOISE les textes qui, depuis plus d’un siècle se nourrissent, et naissent, d’un doute réel quant à la possibilité d’une installation française en Amérique britannique du Nord. Ce sont les seuls vivants. Ils sont provoqués par la claire vision de la mort.» Si Vachon semble revendiquer une telle précarité, c’est qu’il n’y aurait pas eu d’invention moderne d’une tradition littéraire au Québec sans ce principe unifiant, sans cette conversion créatrice de la négativité.

J’ai sans doute l’air d’en douter, et pourtant l’héritage de la pauvreté est plus qu’une pirouette historique transformant une pauvreté réelle en simplicité volontaire, ou encore une pose identitaire qui permet à l’imaginaire québécois de se distinguer des grandeurs américaine et française, c’est une idée exigeante, et ancienne. Elle nous demande de consentir à une vulnérabilité (en 1960, on parlait d’exil et d’aliénation) que je crois bien réelle, et cette compassion pour nos ombres nous situe dans un large horizon spirituel dont nous aurions perdu le sens. Quand Rivard affirme que «ma force est aussi ma faiblesse, bref que je suis québécois[3]», il fait siennes (et nôtres) les vertus du Tao Te King, qui sont aussi celles de Saint Paul : «Quand je suis faible, alors je suis fort.» Au Québec, cependant, cette histoire de pauvres est le retournement exact, négatif, d’une Histoire légendaire qui a longtemps prévalue au Canada français. On se demande si l’une peut aller sans l’autre, sans s’imposer dans le rejet de l’autre. Sa reprise intacte dans Remettre à demain signale peut-être, chez les nouveaux raconteurs de traditions, une difficulté à voir au-delà des ornières symboliques des premiers modernes. Aucun doute que nous aurons toujours besoin d’être démystifiés, d’abandonner les masques, mais il n’est pas impossible que notre mythologie bipolaire commence à se figer, confinée à cette alternative opposant des formes d’antériorité aujourd’hui dévitalisées (du genre mission évangélique en Amérique) aux ressources imprévues de leur envers indigent, incertain. Le passé glorieux ou la fragilité congénitale, retournée en matière vive… Or, invoquer non plus un héritage, mais une «filiation de la pauvreté» ne va pas sans commodité, sans tentation, comme si notre rapport à la pauvreté risquait de passer, imperceptiblement, du consentement à la vocation. Ce serait malheureux pour cet héritage; ce serait même une manière encore de le trahir, de l’esquiver, simplement parce que les mythes – et c’en est un – sont faits pour nous raconter, pour qu’on se voie vivre à travers eux, pas pour être prescrits. Je descends volontairement dans ma pauvreté, mais je n’ai pas besoin d’elle.

Il est sans doute inévitable qu’un jour, pour «réussir» en quelque sorte, cette résolution elle-même devra être abandonnée comme un autre masque inutile. Et comme toutes les pertes, celle-ci nous forcerait à revoir nos versions de l’Histoire, à tout réécrire. Alors le questionnement se poursuit, mais depuis le commencement; les pauvres sont laissés à leur pauvreté, mais avec une question nouvelle : de quelles histoires inconnues serait-on les personnages?

L’autre permanence tranquille

La force de Jacques Ferron, c’est de subsumer le temps de l’Histoire dans celui du conte. Livernois devine chez lui une manière (paradoxale) de mettre «à mal l’illusion de permanence tranquille», une «invitation à briser le cercle du même», mais je ne suis pas sûr que Ferron aurait, comme lui, rejeté le temps mythique ou la nature en faveur de l’Histoire. Alors que se révèle notre solitude commune, cette vieille dépossession, avant de nous inviter à faire quoi que ce soit, Ferron nous montre (mais ce n’est pas rien) qu’il n’y a pas de discontinuité entre le temps québécois, sa répétition, son inachèvement, et le temps de tous les temps. Le cycle de nos défaites, s’il nous isole dans nos terres, tourne quand même avec tout le reste, les vivants et les morts, les soleils et les lunes, les ruisseaux, les saisons : «Les Habits rouges s’enfuirent comme des chiens. Le beau Viger eut le bout du pouce coupe. Un peu de sang, le bruissement des quenouilles, la splendeur de l’automne, tout cela sur une ligne idéale reliant les monts Royal et Saint-Bruno[4].» Est-ce à cause de tout cela que son œuvre est si peu tragique? Elle nous dit qu’il est impossible de ne pas être des personnages du Grand Jeu, même hors de l’Histoire.

Ce qu’il nous rappelle, c’est que notre histoire de pauvres s’écrit dans une histoire beaucoup plus vaste. Laquelle? Allons-y pour le tout : pourrait-on exhumer, du lourd passé québécois, la Création? Ou, si ce mot dérange, la phusis des présocratiques, le ziran taoïste… Avec le temps du mythe, Livernois range celui de la nature. Ce sont là des refuges, qu’il faudrait refuser au nom du pays réel, de l’Histoire. La nature, forcément filtrée, serait une sorte de mirage : croyant parler d’elle, nous serions toujours en train de parler de culture. Peut-être, mais comme disait Hermann Hesse, si c’est une vérité, le contraire est aussi vrai : la culture est un mirage, et parlant d’elle, de nous, nous serions toujours en train de parler de nature. De quel pays réel, de quelle Histoire est-il question ici? Si je m’arrête dans la rue, si je regarde un débat de l’Assemblée nationale ou le pont Pierre-Laporte, je ne vois pas autre chose que de la nature, de la nature transformée ou non, parfois retournée contre elle-même, peut-être même inconsciente d’elle-même. Entre ceux qui veulent joindre l’Histoire et ceux pour qui l’Histoire est un rêve dont on peut se réveiller, le grand oublié est peut-être le lieu même de l’Histoire, cet écran ignoré où nos histoires se jouent. Ce qu’il y a au-delà de la grande Histoire des petites histoires, trop évidente, et qui est furieusement réel, c’est en effet une sorte de permanence tranquille, mais qui a peu à voir avec la permanence que rejette Vadeboncœur, cette anesthésie séculaire faite pour simuler une souveraineté réelle, enveloppant un peuple dans l’intérieur capitonné d’une image idéale, prémunissante. Au contraire, la permanence dont je parle vous expose autant que la mort, c’est un fond vertigineux auquel on peut, on devra céder, un jour ou l’autre. Il n’est pas question d’en sortir ou d’y entrer – on ne peut heureusement qu’en être. C’est justement là que le «dépouillement le plus complet» vous dépose.

Il y a aussi de ça (de cette permanence-là) dans l’inconscient du Québec, si l’on creuse un peu plus loin dans le noir. Prenons un exemple parmi d’autres : des rêveries géologiques d’Arthur Buies et Marie-Victorin à celles de Françoise Bujold et René Derouin, comme les autres cultures américaines, la nôtre s’est vue entourée d’une Amérique archaïque, justement celle que venaient chercher les Européens à rebours de leur civilisation, désormais la nôtre. Je ne sors pas cet exemple au hasard : on y parle d’un temps hors de l’Histoire, ou dans une Histoire qui se vivrait sur un support anhistorique – «Une plage du temps, mais une plage qui serait sans bord[5]», écrit Vadeboncœur dans Le bonheur excessif –, ce temps cosmologique que Livernois considère comme un obstacle «à l’adéquation avec soi-même, à la prise à bras-le-corps de l’Histoire.» C’est de l’idéalisme? C’est l’Histoire qui est l’autre monde, et c’est l’éternité ce monde-ci, non? Mon plus vieux approuve (je sens que ça résonne) quand je lui parle d’un univers qui revient sur lui-même, avec les galaxies et les gouttes d’eau. Il peut jouer, il a toute la journée devant lui, et les blocs s’empilent à un rythme… Pas besoin de lui citer Nietzsche : «Tout amour pense à l’instant et à l’éternité, mais jamais à la durée[6].» On dirait que construire, inventer, agir, passer du point A au point B, se fait presque tout seul, sans résolution ou prise à bras-le-corps, sans condition gagnante.

Mais justement, c’est bien le problème, selon Livernois : les gens plongés dans une permanence tranquille croient qu’ils ont tout leur temps devant eux, que ça sera là pour toujours, alors ils en profitent pour remettre à demain le pays à soi, l’éducation gratuite… Encore ici, le contraire n’est-il pas aussi vrai, comme le suggère Mère Catherine de Saint-Augustin (en 1651) qu’il cite en exergue à son essai : «Nous ne nous pressons pas pour achever le reste de nos bâtiments, à cause de l’incertitude où nous sommes si nous demeurerons longtemps ici…» Et à croire François Hertel, qui n’était pas à court de paradoxes, la permanence elle-même pourrait nous presser de toutes parts : «Vous aviez cette éternité qui vous pesait sur les épaules et qui raccourcissait les heures[7].» En fait, le problème n’est pas que nous ayons la propension (peut-être tout à fait logique) à nous projeter dans un espace-temps infini, mais bêtement que nous ne savons pas qui nous sommes, où nous sommes et donc, comment vivre. Est-ce un trouble de la personnalité québécoise? Je dirais Oui au pays, c’est pour moi encore une évidence, mais je ne crois pas un instant que cela nous guérirait de cette vieille irréalité, qui n’en demande pas tant.

La permanence tranquille qui nous garde en dehors de l’Histoire, inachevés et satisfaits, en cache une autre. Si le chemin du pays réel devait nous mener à refuser le temps mythique, à opposer l’Histoire et la nature, à nous empêcher d’admettre qu’une autre Histoire se déroule en arrière-plan, une Histoire dont la saveur est en effet celle d’une intemporalité – le «deuxième royaume» dont parle Vadeboncœur? – alors vraiment, on pourra dire que la permanence qu’il dénonçait a fait son œuvre. La méprise serait qu’en la refusant, nous refusions aussi une permanence dont on ne pourrait se passer, vitale. Ironie du quiproquo : il est bien possible que ce soit cette dernière qui nous anime, que nous visons en réalité, consciemment ou non, quand nous voulons entrer dans l’Histoire ou en sortir. Le retournement logique serait de la choisir, cette permanence qui rend réel, comme on peut choisir sa pauvreté, mais encore une fois, c’est elle qui nous invente, elle qui demande simplement à être reconnue.

Pour en savoir plus

DUMONT, Fernand. «Le temps des aînés». Études françaises, vol. 5, no 4 (novembre 1969), p. 467-472.

FERRON, Jacques. Cotnoir. Montréal, Typo, 2001, 109 p.

HERTEL, François. Mondes chimériques. Montréal, Éditions Bernard Valiquette, 1940, 144 p.

LÉVESQUE, Claude. L’étrangeté du texte. Essais sur Nietzsche, Freud, Blanchot et Derrida. Paris, Éditions 10/18, 1978, 274 p.

LIVERNOIS, Jonathan. Remettre à demain. Essai sur la permanence tranquille au Québec. Montréal, Boréal, 2014, 152 p.

RIVARD, Yvon. Le bout cassé de tous les chemins. Montréal, Boréal, 1993, coll. «Papiers collés», 216 p.

VADEBONCOEUR, Pierre. Le bonheur excessif. Montréal, Bellarmin, 1992, coll. «L’essentiel», 148 p.


[1] Jonathan Livernois, Remettre à demain. Essai sur la permanence tranquille au Québec, Montréal, Boréal, 2014. Toutes les citations en italiques sont extraites de ce livre.

[2] Fernand Dumont, «Le temps des aînés», Études françaises, vol. 5, no 4, novembre 1969, p. 467.

[3] Yvon Rivard, Le bout cassé de tous les chemins, Montréal, Boréal, 1993, coll. « Papiers collés », p. 36.

[4] Jacques Ferron, Cotnoir, Montréal, Typo, 2001, p. 38.

[5] Pierre Vadeboncœur, Le bonheur excessif, Montréal, Bellarmin, 1992, coll. « L’essentiel », p. 48.

[6] Nietzsche, cité par Claude Lévesque, L’étrangeté du texte. Essais sur Nietzsche, Freud, Blanchot et Derrida, Paris, Éditions 10/18, 1978, p. 61.

[7] François Hertel, Mondes chimériques, Montréal, Éditions Bernard Valiquette, 1940, p. 74.