Une libération rêvée!

Publié le 6 mars 2018

Par Maurice Demers, professeur à l’Université de Sherbooke et directeur de la revue HistoireEngagée.ca[1]

Le Marron Inconnu de Saint-Domingue. Crédit : Kristina Just (Flickr).

Le peuple haïtien a lutté tout au long de son existence pour conquérir sa liberté : il y a d’abord eu l’abolition de l’esclavage en 1794, ensuite la déclaration d’indépendance en 1804 (première république noire libre au monde), puis l’opposition à l’impérialisme (français et étatsunien) et l’insurrection contre les dictateurs qui ont marqué son histoire politique. Depuis 1942, des centaines de missionnaires québécois sont allés en Haïti pour évangéliser la population et appuyer l’Église locale, mais aussi pour accompagner le peuple dans sa quête d’émancipation. L’expérience de Sr Marie-Paule Sanfaçon en Haïti, de 1971 à 1990, nous renseigne sur sa rencontre avec le peuple haïtien et sur ce que les missionnaires ont tenté de semer dans ce pays. Nous nous sommes entretenus avec Sr Marie-Paule pour recueillir ses réflexions sur son expérience missionnaire.

Ce qui est d’abord ressorti de notre entretien, c’est tout l’amour que Sr Marie-Paule a pour le peuple haïtien. Elle nous a confié : Le peuple haïtien nous rentre dans la peau, il est très attachant. Après avoir appris le créole, interagi avec les jeunes et côtoyé les Haïtiens et Haïtiennes tant en ville qu’à la campagne, Sr Marie-Paule s’est si bien intégrée à son pays d’adoption qu’elle aurait aimé y passer le reste de ses jours.

Elle a d’abord enseigné la catéchèse, l’anglais, la géométrie et le dessin à l’école normale du Cap-Haïtien. Elle nous explique que le père Yves Bélizaire, curé au Trou-du-Nord, lui a ensuite demandé de travailler à la pastorale paroissiale. Après un bref séjour au Canada, elle accepte l’invitation de Mgr François Gayot qui réclame ses services au Cap-Haïtien pour s’occuper de la catéchèse. Si elle juge sa contribution humblement, Sr Marie-Paule a quand même réussi à toucher, par la formation transmise dans ses cours, des centaines de filles et de garçons haïtiens.

Soyez fiers de vous! leur disait-elle. Ce qu’elle voulait semer au plus profond de leur personnalité, c’était la confiance en soi. Elle explique : Je voulais leur donner de la confiance […]. Je me disais qu’il était important qu’ils soient debout et qu’ils aient confiance. Confiance pour faire face à la vie et pour aider les autres, être solidaires de leurs semblables, trouver des solutions communes malgré les aléas de la vie.

Marie-Paule Sanfaçon (collection personnelle).

Pourtant, elle savait bien que la situation sociopolitique était difficile. Elle explique : Quand je suis arrivée en Haïti en 1971, j’avais un rêve de libération pour le peuple. Elle trouvait inacceptables les conditions de vie du peuple, les gens étaient exploités et les tontons macoutes surveillaient partout. On sentait la répression. C’est en accompagnant les Haïtiens et Haïtiennes dans leur quotidien, en leur enseignant à poursuivre leur quête de liberté et à se tenir debout face à l’adversité que Sr Marie-Paule a épaulé les gens du peuple dans cette épreuve douloureuse.

Pour rejoindre les jeunes gens, elle n’hésitait pas à intégrer des éléments culturels haïtiens à ses activités, afin qu’ils soient fiers de leur culture et de leur histoire, malgré la dictature du père et du fils Duvalier. Depuis le concile Vatican II au début des années 1960, l’Église catholique encourageait la valorisation des cultures locales. C’est ainsi que lors d’un gospel night sur le thème de la liberté, Sr Marie-Paule a intégré la célébration du Bois-Caïman de 1791 où les esclaves avaient fait serment de lutter pour leur émancipation. Elle explique :

On avait aménagé sur le portail de l’église dehors, où l’espace permettait les danses et les mimes des participants, un décor où les jeunes pouvaient danser. […] On a organisé une célébration du Bois-Caïman, car pour les Haïtiens c’est une référence très forte où ils ont prôné la liberté. Le neg’marron, en fait, c’est Dutty Boukman qui casse ses chaines et fait un serment de liberté pendant une cérémonie vaudou : un geste sacré pour les Haïtiens. Puis, le père Michel Chéri a prêché sur la liberté selon saint Paul, à la satisfaction de ce grand auditoire. Ce gospel a beaucoup marqué les Haïtiens et les a touchés directement au cœur.

On discutait beaucoup de liberté dans les années 1970-80. Le clergé et les missionnaires catholiques étaient influencés par la théologie de la libération. À cette époque, les missionnaires québécois ont appuyé certaines initiatives citoyennes contre les dictateurs qui avaient pris le pouvoir dans la région. Sr Marie-Paule a alors participé à des marches et des processions pour s’opposer à la dictature au risque de sa vie. Elle nous a confié : Je me souviens d’avoir écrit une lettre pour dire adieu à mes proches. Nous avons marché dans les rues de Port-au-Prince en silence malgré la surveillance militaire et les hélicoptères. Les gens disaient « sa si moun a nou » ce qui veut dire que le peuple reconnaissait que nous étions avec eux.

Jean-Marie Vincent. Collection personnelle de Marie-Paule Sanfaçon.

La présence de Sr Marie-Paule en Haïti, son accompagnement du peuple et son enseignement ont touché des milliers de personnes au fil des ans. Elle se rappelle avoir beaucoup travaillé avec les pères Alphonse Quesnel et Jean-Marie Vincent, deux Montfortains. Le père Quesnel est présentement évêque à Fort-Liberté à Haïti, mais le père Jean-Marie Vincent a été assassiné en 1994. La situation étant devenue très dangereuse, la supérieure de Sr Marie-Paule lui a demandé de revenir au Québec où d’autres tâches l’attendaient. Cependant, le peuple haïtien a toujours gardé une place de prédilection dans son cœur. Ses années passées dans la république haïtienne ont semé un peu d’espoir, espoir qu’un monde de justice est possible et dont les gens se souviennent encore.

[1] Une version de ce texte est paru dans la revue Le Précurseur (vol. 61, no. 1, janvier-février-mars 2017, http://pressemic.org/fr/numeros-recents/). Nous en publions une version légèrement remaniée avec l’autorisation du comité éditorial de cette revue.