Les effondrements du pont de Québec (1907 et 1916) selon quelques journaux contemporains*

Publié le 2 mars 2011

Luc Nicole-Labrie

Version PDF

L’an dernier, Radio-Canada nous apprenait que l’eau sous le pont de Québec serait polluée, probablement parce que la peinture du pont (qui contient du plomb) s’effrite avec les intempéries vers le fleuve et le terrain sous le pont. La semaine dernière, c’est un trou béant qui s’est formé sur l’accès sud du pont, retardant largement le passage de la Rive-Sud vers la Rive-Nord lundi dernier, le 21 février 2011. Malgré tout, ce symbole de l’ingénierie tient depuis près de 100 ans maintenant au-dessus du fleuve Saint-Laurent. Il est donc intéressant de se rappeler brièvement certains événements entourant ce pont.

Le pont de Québec est un pont de type cantilever et sa travée centrale de 549 mètres est la plus longue du monde. Le projet est intégré au projet de chemin de fer transcontinental du gouvernement du Canada au tournant du XXe siècle. Plusieurs sites et sources, notamment cet intéressant article de l’encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française, décrivent le pont et son histoire. Voici quelques sources de l’époque à propos des deux effondrements.

Source : « Quebec Bridge Disaster – looking south », The Montreal Weekly Witness, p. 2, consultation en ligne, 26 février 2011.

Le 29 août 1907, le pont s’effondre une première fois (ci-haut). Les rapports de cette tragédie sont nombreux : parfois détachés, parfois très émouvants (et spécialement détaillé par rapport aux reportages que les médias du XXIe siècle présentent parfois) comme en fait foi cette transcription d’un article de la une de l’hebdomadaire montréalais Le Bulletin (dimanche, 1er septembre 1907, p. 1) :

[…] Les derniers renseignements relatifs à l’écroulement du pont de Québec, bien que peu précis quant à la cause, le sont davantage quant aux résultats de cette lamentable catastrophe.

Le nombre des victimes dépasse soixante, et ce chiffre sera sûrement augmenté encore, car plusieurs des malheureux ouvriers qui ont été retirés vivants des sinistres décombres, ne survivront pas à leurs horribles blessures.

Un deuil immense plane aujourd’hui sur la ville de Québec, la province et sur le Canada tout entier.

À la stupeur du premier moment a succédé un sentiment immense de profonde et douloureuse sympathie à l’adresse des familles des nombreuses victimes. On a lu avec effroi le récit des tristes détails sur l’état dans lequel on a trouvé les malheureux qui ont trouvé la mort dans cet écrasement de fer. Leurs blessures étaient horribles, leurs plaies terrifiantes; leurs membres arrachés gisaient, accrochés aux pièces de fer tordues, et des corps déchiquetés, défigurés, flottaient au fil de l’eau.

De la rive, des hommes, des femmes et des enfants, dont on devine l’émotion, entendaient les appels et les gémissements des blessés. Hélas, quelle plume pourra [sic] jamais décrire l’horreur d’un pareil tableau!

Pour notre part, nous y renonçons… […]

Tout de même intéressant de renoncer à décrire pareil tableau après les quelques lignes très descriptives… De son côté, le Montreal Weekly Witness, un autre hebdomadaire de la métropole, dresse un portrait complet dans son édition du 3 septembre. Non seulement y va-t-on d’une description détaillée des faits, d’une liste des décès, mais on y ajoute quelques histoires qui prévoyaient le drame, allant de l’avertissement de l’ingénieur Theodore Cooper à une histoire de rêve prémonitoire (Montreal Weekly Witness, p. 2, 3 septembre 1907) :

Remarkable vision

Ironworker of New Haven dreamed that Quebec Bridge had fallen

New Haven, Conn., Aug. 30.- Edward Sutton, an ironworker, of this city, who worked on the bridge at Quebec for a time last spring, said to-day that about a month ago he dreamed that this very bridge had fallen. He says that the dream so impressed him that he wrote to a bridge worker named Richard Little, of this city, and told him of the impressions he had received, and in consequence, Mr. Sutton says, Little and his side partner threw up their work nad (sic) went elsewhere.

Fichier:Collapse of the centre span of the Quebec Bridge.jpg

Source : A. A. Chersterfield, Quelques moments avant l’effondrement de la travée centrale du pont de Québec en 1916, Bibliothèque et Archives Canada (copie sur wikipedia.org), consultation en ligne, 22 mars 2010.

Le deuxième accident se déroule le 11 septembre 1916. C’est au moment de monter la travée centrale et de la raccrocher aux deux extrémités (ci-haut) que l’accident se produit. Comme celui-ci se déroule lors d’un moment crucial, laissons le soin à l’hebdomadaire Montreal Weekly Witness de nous décrire la scène (12 septembre 1916, p. 2) :

[…] After the span had been hooked on the trusses, which were connected with the arms, and, which were to lift the span to its place, there was a wait until 9.20 o’clock, when the scows were released and floated away with the tide, to be caught by tugs. This, the engineers said, was the crucial moment, as the weight was first placed on the arms: then a great cheer broke out when it was seen that the scows were clear and the span hanging on the arms.

It had been moved up about three feet by the jacks when the excursion and Government boats began to leave, but barley had they disappeared on their way to Quebec when the span broke away first at one end of the jacks and a great cry of horror rose from the spectators. Then the other end snapped off quickly and the whole 5,100 tons disappeared in the river.

On tente d’expliquer assez rapidement le drame (autre photo, ci-bas) comme en fait foi cette brève de l’hebdomadaire de Québec, La Vérité (p. 3, 16 septembre 1916) :

La Cause de l’accident

À la suite d’une conférence entre les officiers et les ingénieurs sur la chute du tablier central du pont de Québec, M.G.H. Duggan, ingénieur en chef de la S.Lawrence Bridge Limited, après avoir entendu les récits de plusieurs témoins oculaires, a autorisé la déclaration suivante :

Un sérieux examen du bureau des ingénieurs indique que le tablier central du pont de Québec a été perdu par une défectuosité dans les solives qui le montaient et sur lesquelles la structure reposait depuis six semaines. Les bras cantilever ne sont aucunement affectés et l’on se prépare à remplacer la pièce tombée aussitôt que praticable.

On a maintenant établi définitivement que le tablier céda d’abord du côté sud et il est pratiquement certain, suivant les histoires les plus dignes de foi, que le tablier n’a pas plié, mais qu’il est tombé presque intact.

Les pestes (sic) de vies sont de douze.

Source : A.A. Chesterfield, Effondrement du tablier central du pont de Québec, Musée McCord (copie sur le site de l’Université de Sherbrooke), consultation en ligne, 22 mars 2010.

Inauguré le 20 septembre 1917 et encore debout aujourd’hui, le pont de Québec est l’une des signatures distinctives du paysage construit de la région de Québec. Le pont de Québec est considéré comme un site historique national du Canada depuis janvier 1996. Mais un projet de restauration complète se fait toujours attendre. La rumeur a longtemps voulu que les anneaux de fer des ingénieurs aient été fabriqués à partir de métal provenant de la travée centrale effondrée du pont de Québec. Cette rumeur n’est en fait qu’une légende urbaine, parfois encore colportée de nos jours.

*Publié sur Histoire et Société.