125e de l’Hôtel du Parlement de Québec: grève pendant la construction*

Publié le 15 avril 2011

Luc Nicole-Labrie

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Source : « Édifice du Parlement à Québec » (vers 1887), Bibliothèque et archives nationales du Québec, Cote P318, S2, P20, consultation en ligne, 10 avril 2011.

Cette semaine, on soulignait le 125e anniversaire de l’Hôtel du Parlement de Québec, notamment dans le cadre d’une émission spéciale de la Première chaîne radio de Radio-Canada diffusée en direct de l’édifice (cliquez sur le lien pour écouter différents extraits de l’émission du 7 avril 2011). En effet, le premier débat de l’Assemblée législative s’y tenait le 27 avril 1886. Il est indéniable que cet édifice occupe aujourd’hui une place de choix dans le patrimoine bâti de la Vieille capitale. Sa construction n’a certainement pas été de tout repos…

On décide de construire un nouveau bâtiment pour les chambres d’assemblée de la province de Québec dans les années 1870. Le bâtiment qui était utilisé sur la côte de la Montagne manque d’espace. À cette époque, des rumeurs courent toujours voulant que certains représentants veuillent voir déménager les édifices gouvernementaux (et le siège du gouvernement, purement et simplement) à Montréal et Québec manque manifestement d’édifices assez respectables pour accueillir le siège du pouvoir politique. C’est finalement en 1875 qu’on lance le projet. Bien que l’on tergiverse un peu sur l’emplacement, le gouvernement fédéral vend finalement le Cricket Field à la province de Québec en 1876 et on choisit le projet d’un architecte de Québec, Eugène-Étienne Taché.

Source : J.E. Livernois, « Eugène-Étienne Taché », vers 1901, Bibliothèque et archives nationales du Québec, Cote P560, S2, D1, P1289, consultation en ligne, 10 avril 2011.

Taché avait prévu deux phases à son projet pour un budget total alloué d’environ 500 000 dollars (estimation de 1876). Vu la précarité des finances de l’État, on décide d’abord de se lancer dans la construction d’une partie de l’édifice, soit les façades ouest, sud et nord (excluant donc la façade, appelée palais législatif). Si on remonte aux premiers travaux d’arpentage, la première phase de construction s’échelonne de 1876 à 1879, bien que la construction ait lieu surtout en 1878. C’est justement le 25 mai 1878 que le chantier connaît son premier conflit de travail : les tailleurs de pierre tombent en grève quand ils apprennent qu’on diminue leur salaire et qu’on décide de faire venir des employés de Montréal. Le conflit de travail mènera à une émeute, le 12 juin 1878, où la milice intervient et deux grévistes seront tués. Le chantier rouvrira à la fin du mois du juin, après des ententes avec les travailleurs. Malgré cet épisode, la première phase se conclut ainsi dans les temps et à peu près dans les coûts prévus puisqu’on évalue les montants de la construction à 392 000 dollars.

Source : Eugène Haberer (gravure), « Façade des nouveaux édifices du Parlement à Québec » (vers 1880-81), tiré de MARTIN, Denis, « Les « héros de la patrie», la façade du Parlement », Cap-aux-Diamants, vol. 1, no. 4, 1986, p. 9. La gravure originale provient de Bibliothèque et archives nationales du Québec. La cote n’est pas spécifiée. Consultation en ligne, 10 avril 2011.

Les problèmes se produisent aussi pendant la seconde phase, soit la construction, à partir de 1880, du palais législatif. Le terrassement s’effectue jusqu’en 1882 et on lance ensuite un appel d’offres. C’est l’entrepreneur Alphonse Charlebois qui met la main sur ce contrat (probablement grâce à l’appui personnel du premier ministre Joseph-Alfred Mousseau, ci-bas) en soumissionnant au montant de 185 000 dollars. Les travaux débutent vers 1883. Dès le 19 avril, on sent que les travaux devront être accélérés puisque l’Hôtel du Parlement de la côte de la Montagne est la proie des flammes. On transfère donc rapidement l’Assemblée législative et le Conseil législatif dans différentes parties déjà construites de l’édifice actuel, mais la construction n’est pas terminée.

Joseph-Alfred Mousseau

Source : « Joseph-Alfred Mousseau », Assemblée nationale du Québec, consultation en ligne, 10 avril 2011.

Cependant, le principal problème arrive à l’automne 1884. Alors que les constructions ont repris pour la façade, dans la nuit du 11 au 12 octobre 1884, deux explosions détruisent largement la façade du Parlement. On a bien attendu une troisième explosion plus tard le 12 octobre, mais elle n’est jamais venue. Cette explosion est venue retarder les travaux. Combiné avec l’incendie de 1883, les besoins d’accélérer les travaux vont contribuer à l’explosion des coûts du Parlement.

Source : « La dynamite a Quebec » (extrait), Le Canadien, 13 octobre 1884, p.2, consultation en ligne, 10 avril 2011.

L’Assemblée législative siégera ensuite pendant quelques mois au Salon rouge (actuelle salle du Conseil législatif alors que celui-ci siège toujours à la bibliothèque) en 1885 avant que l’édifice soit finalement livré en 1886. Les premières rencontres dans les Salons actuels ont lieu le 8 avril 1886, avant la fin de la construction de la tour centrale. Le projet final de Charlebois aura finalement coûté 1 million de dollars à l’État québécois. Coûtant près de trois fois le prix estimé au départ et provoquant ainsi la colère de certains journalistes et observateurs, le gouvernement a décidé de restreindre ses projets de grandes célébrations prévues pour l’ouverture du bâtiment.

*Publié sur Histoire et Société.