À la lumière de la commission Charbonneau, le rôle de la FTQ et de ses organisations affiliées

Publié le 10 février 2014

Par Jacques Rouillard, professeur au Département d’histoire de l’Université de Montréal et auteur de plusieurs volumes sur l’histoire du syndicalisme québécois

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Michel Arsenault, ancien président de la Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec Crédits : Isabelle Gareau, FTQ

Michel Arsenault, ancien président de la Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec
Crédits : Isabelle Gareau, FTQ

Le témoignage de Michel Arseneault à la commission Charbonneau a suscité bien des commentaires sur le rôle de la FTQ par rapport à ses syndicats et organisations affiliés. Plusieurs se sont interrogés sur l’autorité qu’elle détient sur ces organismes. Un peu d’histoire est nécessaire pour faire la part des choses, car sa structure héritée du syndicalisme nord-américain est plus lâche, articulée de manière différente de celle des centrales rivales : la CSN, la CEQ et la CSD.

La FTQ, qui se définit comme « centrale syndicale », est en fait une création depuis 1957 du Congrès du travail du Canada (CTC) qui compte des fédérations affiliées dans chacune des provinces. Ces fédérations regroupent, sur une base volontaire, des sections locales des grands syndicats canadiens et internationaux affiliés au CMTC. Pendant longtemps, la FTQ a compté surtout des sections locales d’unions internationales venues des États-Unis comme les Métallurgistes unis d’Amérique ou l’Association internationale des machinistes qui sont encore membres de la FTQ. Depuis les années 1970, les sections des grands syndicats canadiens comme le Syndicat canadien de la fonction publique ou le Syndicat des travailleurs et travailleuses de la poste sont devenus prépondérants dans ses rangs.

Il est important de comprendre que leur affiliation s’effectue sur une base facultative : ils peuvent donc joindre ou se retirer de la FTQ à leur gré selon l’importance qu’ils accordent à son rôle. Dans la structure du syndicalisme nord-américain, la priorité est accordée à la dimension économique de l’action syndicale, soit la négociation de convention collective. La négociation s’effectue avec les employeurs sur une base locale par les sections locales ou sur une base régionale ou nationale sous l’égide des grands syndicats canadiens ou américains. La FTQ ne se mêle pas de ces négociations si ce n’est, à l’occasion, d’appuyer moralement des syndicats lors de conflits ou d’enjeux importants. Sa fonction se situe ailleurs.

Le bâtiment de la FTQ à Montréal. Crédits : Andre Vandal, AV Dezign (Flickr).

Le bâtiment de la FTQ à Montréal.
Crédits : Andre Vandal,
AV Dezign (Flickr).

Depuis la fin du XIXe siècle, les syndicats internationaux au Québec se sont rendu compte que les problèmes qui confrontaient les travailleurs salariés avaient une dimension politique et qu’il leur fallait intervenir au niveau des pouvoirs publics. Ils se dotent alors d’organismes chargés de faire des représentations auprès du gouvernement fédéral depuis 1883, de la municipalité de Montréal depuis 1886 et du gouvernement du Québec depuis 1937. S’affichant comme porte-parole de tous les travailleurs salariés, ils s’occupent d’éducation des travailleurs et surtout ils acheminent chaque année des cahiers de revendications pour infléchir la législation dans le sens des intérêts des salariés. Depuis sa fondation en 1957, la FTQ a joué ce rôle que confirment encore ses statuts actuels.

Mais à partir des années 1970 avec la montée du nationalisme québécois, la concurrence de la CSN et l’expansion du rôle du gouvernement du Québec, elle a réussi à élargir son autonomie par rapport au CTC en obtenant une sorte de statut particulier sans cependant qu’elle ne brise ses liens avec la centrale canadienne. Son dynamisme a fait en sorte que la plupart des grands syndicats canadiens et internationaux ont vu l’importance de payer une cotisation pour s’affilier à la FTQ. Mais il y a toujours possibilité que ces grands syndicats rompent leur lien s’ils jugent que la « centrale » s’oriente dans un sens qui leur déplait. Le Syndicat des teamsters, par exemple, s’est désaffilié, puis est revenu dans le giron de la FTQ. De même, le Conseil provincial des métiers de la construction a quitté la centrale avec 25 000 membres en 1979. Ces allers et retours ne changent rien à la négociation des conventions collectives de travail des syndicats.

Le président de la FTQ doit donc être attentif aux attentes des grands syndicats canadiens et internationaux qui lui sont affiliés (une vingtaine actuellement). Même s’il est élu par une assemblée générale, son pouvoir vient largement de leur appui. Leur influence est reflétée dans la composition du Bureau de la FTQ, sorte de conseil exécutif composé de leurs représentants. Il serait certainement très mal venu qu’il s’immisce dans leurs affaires internes. De là, la décision du président Arseneault évoquée devant la Commission Charbonneau d’essayer de régler à l’interne avec la direction de la FTQ-Construction les cas de malversations de certains de ses dirigeants. Comme on l’a suggéré, appeler immédiatement la police à la suite des révélations de Ken Pereira est plutôt risqué pour le président. Ou encore évoquer que la FTQ-Construction soit mise en tutelle devient périlleux, car il ne s’agit pas d’une petite section locale, mais d’un grand syndicat qui comptent des sections locales atteignant 75 000 membres.

En 1975, à la suite des révélations de la commission Cliche établissant que les dirigeants de quatre syndicats de la construction recourraient à l’extorsion et au chantage, la FTQ a mis en tutelle une section locale et le gouvernement, les trois autres. Comme les abus entachaient la réputation du Conseil provincial des métiers de la construction, ce sont les 23 syndicats affiliés qui ont volontairement décidé d’être mis en tutelle. C’est révélateur du rapport de pouvoir : la FTQ ne pouvait unilatéralement imposer une tutelle sans de graves conséquences. Il a fallu le consentement du Conseil pour que la centrale s’exécute, car plane toujours sur la FTQ le danger d’une désaffiliation de ses grands syndicats avec comme conséquence une perte de pouvoir et de ressources. C’est à l’esprit du président Arseneault quand Ken Pereira a révélé les malversations de Jocelyn Dupuis. Il l’a d’abord référé à la direction de la FTQ-Construction, puis finalement il a agi avec la collaboration la direction de la FTQ-Construction lorsque l’affaire s’est ébruitée. On s’est arrangé par la suite pour que Dupuis parte discrètement. On peut accuser Arseneault de laxisme et de complaisance, mais il faut comprendre les contraintes où il se trouve à cause du relatif pouvoir qu’il détient. La FTQ n’est pas une entreprise privée dirigée du haut vers le bas. Son autorité vient des grands syndicats affiliés et son pouvoir sur eux est largement moral.