« Aux urnes, citoyennes ! » Une exposition sur une lutte majeure du XXe siècle : l’acquisition des droits politiques des femmes au Québec

Publié le 12 juin 2015

Par Marilyne Brisebois, doctorante en histoire à l’Université Laval et chercheuse à l’Atlier F. Coopérative de recherche sociale

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Affiche de l'exposition "Aux urnes, citoyennes !".

Affiche de l’exposition « Aux urnes, citoyennes ! ».

Dans le cadre du 75e anniversaire de l’obtention du droit de vote et d’éligibilité des femmes au Québec, l’Assemblée nationale du Québec, en collaboration avec le Directeur général des élections du Québec, propose une exposition. Aux urnes, citoyennes! basée sur la collection de l’Assemblée nationale du Québec. Une première petite partie se retrouve au dernier étage de l’hôtel du Parlement de l’Assemblée nationale. Elle comprend une maquette du Monument en hommage aux femmes en politique fait par Jules Lasalle et dévoilé en décembre 2012 (situé du côté sud de l’hôtel du Parlement). Celui-ci représente quatre figures emblématiques de la lutte pour les droits politiques des femmes, soit Marie Gérin-Lajoie, Idola Saint-Jean, Thérèse Casgrain et Marie-Claire Kirkland. Une sculpture en bronze d’Aristide Gagnon acquise par l’Assemblée nationale lors de l’Année internationale de la femme en 1975, La Femme, est aussi présentée. Quelques panneaux informatifs clôturent cette partie matérielle de l’exposition. Des archives historiques y sont reproduites ainsi que du matériel électoral (bulletin de vote et formulaire de mise en candidature) remontant jusqu’à 1947, et une brève chronologie de la lutte des femmes pour leurs droits politiques, commencée au XIXe siècle, y est présentée. La dimension internationale de cette lutte est effleurée, notamment par l’exemple du cas britannique, tout comme les diverses étapes qui l’ont jalonnée, comme les 13 rejets du projet de loi au cours des années 1920-30. Des citations des quatre pionnières du mouvement (M. Gérin-Lajoie, I. Saint-Jean, T. Casgrain et M.-C. Kirkland) sont également transcrites. Sur le mur sont projetées d’autres images d’archives sur le sujet, comme la loi accordant aux femmes le droit de vote et d’éligibilité, des caricatures sur les suffragettes, des lettres, etc.  Un écran tactile permet enfin aux visiteurs et visiteuses d’approfondir leurs connaissances sur le sujet par l’exploration d’une exposition virtuelle.

"Depuis hier soir, le suffrage féminin est devenu loi dans la province de Québec", Le Devoir, 26 avril 1940.

« Depuis hier soir, le suffrage féminin est devenu loi dans la province de Québec », Le Devoir, 26 avril 1940.

Cette exposition, aussi accessible à partir de n’importe quel poste internet, mais utilisant la technologie Flash incompatible avec les appareils mobiles, est divisée en quatre sections : documents, photographies, objets et vidéo. La première présente certains documents historiques avec quelques explications, comme la Loi modifiant la loi électorale de Québec relativement au suffrage de 1922 (projet de loi rejeté à maintes reprises), des couvertures de journaux, des bulletins de vote ou encore des affiches électorales. Le Bulletin de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale (volume 39, numéro 1, printemps 2010), publié dans le cadre du 70e anniversaire du droit de vote et d’éligibilité des femmes, est particulièrement intéressant, car il rappelle très bien l’historique de la lutte des suffragettes. Il permet à lui seul de combler l’impression de vide de contenu laissée par l’exploration des autres sections de l’exposition. La section consacrée aux photographies est constituée d’une série intéressante de reproductions d’archives relatives à la lutte pour les droits politiques des femmes. Y sont présentées des caricatures, des photographies des personnages-clés ou d’événements marquants, des coupures de presse, etc. Ces archives ne bénéficient toutefois pas de mise en contexte ou d’interprétation qui pourraient mieux informer les citoyennes ou citoyens moins au fait de l’histoire du droit de vote au Québec.

"Monument en hommage aux femmes en politique" par Jules Lasalle. Crédits : Paul VanDerWerf (Flickr).

« Monument en hommage aux femmes en politique » par Jules Lasalle. Crédits : Paul VanDerWerf (Flickr).

La section associée aux objets est plutôt décevante. Elle présente seulement la maquette du Monument en hommage aux femmes en politique, maquette qui est par ailleurs présentée plusieurs fois à travers l’exposition, que ce soit à l’hôtel du parlement ou dans deux courts métrages en ligne. La portion la plus intéressante de cette exposition demeure à mon avis celle des vidéos. L’équipe qui a travaillé à cette exposition réussit bien à stimuler l’intérêt des visiteurs et visiteuses, surtout avec le court métrage Aux urnes, citoyennes!, qui comprend des entrevues avec des femmes parlementaires. Il s’agit d’un petit film de 27 minutes animé par la députée de Hull et présidente du Cercle des femmes parlementaires, Maryse Gaudreault. Une brève présentation des personnages-clés, de la chronologie de la lutte pour les droits politiques des femmes et des différents jalons de leur participation à l’exercice du pouvoir au sein de l’Assemblée nationale est faite. Marie-Claire Kirkland, première députée à l’Assemblée nationale du Québec, ouvre ensuite une série d’extraits d’entrevues bien choisis, qui permettent d’aborder les différentes dimensions de la réalité du travail parlementaire. Certains éléments sont assez intéressants à relever. Il en va ainsi de l’anecdote de Louise Cuerrier, élue en 1976, qui raconte qu’à son arrivée, il y avait deux types de toilettes à l’Assemblée, celles de femmes et celles des députés, mutuellement exclusives. C’est encore le cas, par exemple, de la question de la légitimité des femmes en conseil ministériel abordée par Lise Payette, qui raconte son sentiment d’avoir été « de second ordre, de seconde classe » alors que les décisions importantes se prenaient en réalité dans les toilettes des hommes, entre hommes. Certains changements majeurs dans la culture politique sont abordés par les femmes en entrevues, comme la féminisation des titres. Si plusieurs députées souscrivent à l’idée de l’égalité-déjà-atteinte et affirment clairement qu’il n’y a pas de différence entre elles et leurs collègues masculins (au fond, c’est surtout la qualité du travail qui compte), d’autres n’hésitent pas à en appeler à un changement de la culture politique masculine marquée par « l’effet de toge » et les joutes oratoires, qui serait bénéfique à toutes et à tous. La difficile, voire impossible, conciliation famille-travail est abordée. Défi de taille s’il en est un, cet enjeu est présenté par certaines comme la raison du manque de femme en politique (au moment d’écrire ces lignes, 33 femmes sur un total de 125 député.e.s), alors qu’encore aujourd’hui, les élu.e.s à l’Assemblée n’ont pas accès au congé de maternité et de parentalité. Quatre autres petits vidéos bouclent cette section, dont deux sur la conception du Monument en hommage aux femmes en politique. Un diaporama reprend d’anciennes caricatures qui témoignent de l’antiféminisme ambiant, des extraits d’archives comme des lettres réclamant le droit de vote ou encore des pétitions. Ces archives sont aussi projetées sur le mur dans le cadre de l’exposition de l’hôtel du Parlement. Un dernier diaporama présente une carte interactive de l’évolution de l’acquisition des droits politiques des femmes à l’échelle internationale.

Enfin, cette exposition intéressante évacue un peu, à mon avis, la dimension collective de la lutte pour les droits politiques des femmes au Québec. Les institutions sont généralement à la remorque des mouvements sociaux et les changements significatifs ne sont pas seulement le fait d’hommes et de femmes remarquables, mais sont le résultat d’actions collectives. Comprendre les évolutions historiques surtout comme le résultat d’actions menées par des individus extraordinaires est à mon sens un peu convenu, et il y aurait une place pour une réflexion plus large sur le rôle des individus, même marginaux, dans la construction de la trame historique nationale. Il est évident que cette question est liée au manque de traces laissées par les gens ordinaires du passé, mais des projets comme celui des Archives Passe-Mémoire, qui se consacre à la collecte et à la conservation des écrits personnels du Québec (journaux, autobiographies, correspondances, mémoires, etc.), sont porteurs de changements à ce niveau. Enfin, les personnes intéressées à aller plus loin dans leur compréhension de l’histoire des femmes au Québec pourront continuer leur exploration virtuelle en allant consulter la toute nouvelle Ligne du temps de l’histoire des femmes, mise en ligne depuis le 22 avril 2015 par le Réseau québécois en études féministes (RéQEF) et le Conseil du statut de la femme et qui, bien qu’encore perfectible, représente un très bel outil de diffusion et de vulgarisation historique.

Horaire de l’exposition

À l’hôtel du Parlement : du 1er mardi de septembre au 23 juin, sauf les jours fériés, du lundi au vendredi, de 9h à 16h30, et du 24 juin à la fête du Travail (1er lundi de septembre), incluant les jours fériés : du lundi au vendredi, de 9h à 16h15 et le samedi et le dimanche, de 10h à 16h15.

En ligne : du 22 avril au 31 décembre 2015.