Les frasques de la mémoire

Publié le 27 février 2012

Par Marc-André Robert, candidat au doctorat en histoire à l’Université Laval

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Archives de l’Office du film du Québec. Les funérailles de Lionel Groulx.

Voilà bientôt trois ans. Ça se passait le 15 mars 2009 sur notre petit écran, à l’antenne de Radio-Canada. Le ministre fédéral du Patrimoine James Moore, qui avait – étonnamment! – accepté l’invitation de l’équipe de Tout le monde en parle (connaissant la hantise des Conservateurs pour le culte talk-show du dimanche soir québécois…), créait un véritable malaise national en révélant, dans un élan de générosité un peu trop candide, sa totale ignorance vis-à-vis la chose culturelle « d’ici et de là », pour reprendre le titre du questionnaire de l’animateur Guy A. Lepage. Incapable d’identifier, entre autres, le fondateur du Cirque du Soleil, Guy Laliberté, le chanteur et poète Félix Leclerc, le metteur en scène et créateur Robert Lepage, pas plus que le cinéaste canadien Atom Egoyan.Je le disais, un malaise national. Pourquoi évoquer, ici, ce moment politico-culturel honteux? D’abord parce que la mémoire est une faculté qui oublie, au contraire de l’histoire. Mais surtout pour démontrer, d’entrée de jeu, une triste réalité. Celle de la subordination du culturel à l’économie, pour ne pas dire à l’ensemble des autres grands secteurs de la vie en société. Rassurons-nous (?), cette réalité ne touche pas que le ROC (Rest of Canada).

Prenons le cas du Québec. Peu de gens savent que notre chère province a déjà disposé d’un Office du film. « Oui, oui! L’Office national du film, on connaît ça! » Eh bien, non. Je ne parle pas de l’ONF, mais bien de l’Office du film du Québec. L’OFQ. Un Office national du film québécois qui a existé entre les années 1940 et 1970. Fondé en 1941, soit deux ans après la création de l’ONF, le premier ministre libéral Adélard Godbout le nomme Service de Ciné-photographie. Il sera démantelé en 1975 par la Loi sur le cinéma. Pas mal certain que nos politiciens auraient un mal fou à s’en souvenir, si ça peut consoler notre pauvre ministre Moore.

Bon, l’OFQ n’a jamais eu les moyens ni le rayonnement de son grand cousin. Il a toutefois produit une très grande quantité de courts films documentaires touristiques, éducatifs, scientifiques et d’actualité. Des films d’une durée moyenne de quinze minutes. Ces films étaient diffusés un peu partout en province dans les salles paroissiales, les écoles, les cercles et associations agricoles et professionnels, et j’en passe. On les diffusait également à la télévision (Radio-Canada et Radio-Québec principalement) ainsi qu’à l’étranger, dans les ambassades et les consulats. En France, aux États-Unis, en Amérique latine même! Plus étonnant encore, plusieurs de nos grands cinéastes québécois (que l’on connaît tous évidemment, sauf pour notre pauvre ministre Moore…), y sont passés à un moment ou un autre dans leur carrière. Jean-Claude Labrecque, Denys Arcand, Gilles Groulx, Gilles Carle, Claude Fournier, Arthur Lamothe… Parmi les films produits par l’OFQ, et afin d’en démontrer toute la richesse, notons la couverture de la visite du général Charles de Gaulle au Québec dans le cadre de l’inauguration d’Expo 67, immortalisée dans deux courts métrages, l’un de Jean-Claude Labrecque, La visite du général de Gaulle au Québec, et l’autre de Claude Fournier, Du général au particulier. À voir absolument.

Au moment du démantèlement de l’Office du film du Québec, l’ensemble de ses collections cinématographiques et de ses archives a été remis aux Archives nationales du Québec. Heureusement, dirait-on. Or, depuis, elles dorment paisiblement, sinon pour se faire réveiller à l’occasion par des chercheurs (comme moi…). À une époque qui carbure littéralement aux émissions et téléséries à caractère historique, on a là un trésor culturel inouï. Et sur cet aspect précis, le gouvernement du Québec pourrait certainement s’inspirer des initiatives d’institutions canadiennes telles que Radio-Canada et l’ONF, qui, depuis quelques années, multiplient les occasions de mises en valeur et de diffusion de leurs archives cinématographiques. Et même si une telle entreprise ne vient pas sans des investissements importants, il y a là un potentiel économique certainement envisageable, que ce soit par la production d’émissions ou de téléséries s’appuyant sur ces archives, ou encore par la vente d’archives à la pièce comme le fait l’ONF. À partir de la section « Images » de son site Web, l’organisme canadien permet au public et aux entreprises l’achat de plans d’archives que l’on choisit parmi son impressionnante collection. Un bel exemple de rayonnement de notre culture cinématographique.

D’ici là, il est à espérer que nos politiciens liront ce billet et pourront, dans un avenir prochain, se souvenir de l’OFQ. Car si l’histoire n’oublie pas, contrairement à la mémoire, elle en dépend irrémédiablement.