Là où le présent rencontre le passé - ISSN 2562-7716

Catégorie : Julien Goyette

Enseignement de l’histoire : un grand esprit de sérieux

Par Julien Goyette, professeur d’histoire au département de lettres et humanités de l’Université du Québec à Rimouski

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Dans Regards sur le monde actuel, publié en 1931, le poète Paul Valéry écrivait :

L’Histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré. Ses propriétés sont bien connues. Il fait rêver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs ou à celui de la persécution, et rend les nations amères, superbes, insupportables et vaines[1].

S’il y a quelque chose de frappant dans le débat sur l’enseignement de l’histoire qui ressurgit de manière ponctuelle au Québec depuis aussi loin que la Seconde Guerre mondiale[2], c’est l’esprit de sérieux avec lequel, de part et d’autre, on aborde la question. Sans doute cela tient-il à l’insécurité identitaire des sociétés modernes. Dans un monde en perpétuel changement, la connaissance historique est plus nécessaire que jamais pour nous rappeler qui nous sommes. Lucide, Valéry avait bien vu que dans un pareil contexte, l’histoire est appelée à tout justifier, des actions individuelles jusqu’aux mouvements de civilisation en passant par les luttes pour les droits de la personne et les totalitarismes les plus abjects.

Mais il y a davantage. Un préjugé utilitariste guide maintenant notre conception du savoir. «À quoi ça sert?» a longtemps été une question assassine pour les enseignants en histoire. Longtemps, car, quelque part dans un bureau au Ministère, on a maintenant pour eux une réponse toute faite : l’histoire sert à former le citoyen. En témoignent les noms des programmes dans lesquels cette discipline s’insère au primaire et au secondaire[3]. Fort bien. Mais le lien est-il si obligé qu’on le dit? Peut-on connaître sur le bout de ses doigts les dates importantes de l’histoire du Québec, être capable d’expliquer sans notes la naissance de l’État-Providence ou les causes de la Confédération canadienne, pouvoir différencier les yeux bandés les écoles historiques de Montréal et de Québec, et prendre quand même des décisions mal avisées lors des débats publics? Ne faut-il pas convenir également que ce sont tous les savoirs que l’on apprend à l’école, et pas seulement l’histoire, qui devraient servir le citoyen? Que serait ce dernier sans la logique des mathématiques, sans la connaissance de la nature et du corps humain que lui offre la biologie, sans la compréhension des enjeux liés au territoire et à l’espace que permet la géographie[4], sans la maîtrise de la langue, des technologies, etc. ?

La parole publique des étudiants, une victoire historique menacée

Par Karine Hébert et Julien Goyette, professeurs.es d’histoire à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR)

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L’histoire des associations étudiantes est celle d’une longue lutte pour la reconnaissance. L’identité des étudiants, la légitimité de leurs associations, leur voix dans le concert démocratique sont toutes des conquêtes du 20e siècle. Le présent mouvement de grève qui agite le monde collégial et universitaire québécois s’inscrit dans ce temps long des revendications étudiantes. Cependant, compte tenu de la position de fermeture actuelle du Gouvernement du Québec, du premier ministre et de la ministre de l’Éducation, on peut craindre un inquiétant recul dans la reconnaissance sociale dont jouissent les étudiants, et plus largement les groupes sociaux, au sein de la société québécoise.

Dès la fin du 19e siècle, les étudiants des universités québécoises se regroupent au sein d’associations, se dotent de journaux étudiants afin de mieux diffuser leurs idées. Autour des maisons étudiantes, des students clubs, des associations générales et des revues étudiantes, avec des symboles carabins comme le béret et la canne, se développe un esprit étudiant qui permet une éventuelle affirmation identitaire. La reconnaissance de ces associations et de leur rôle de porte-parole démocratique auprès des administrations universitaires et sur la scène publique se fait lentement, et non sans heurts.

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