Par Bernard Ducharme, historien et chercheur associé au Groupe de Recherche sur l’Islamophobie et le Fondamentalisme de l’UQÀM

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Le Général Bonaparte et son état-major en Égypte (1867), par Jean-Léon Gérôme.

Dans le cadre des conférences-midi organisées par le Groupe de Recherche sur l’Islamophobie, la Radicalisation et le Fondamentalisme, au sein de la Chaire UNESCO sur les fondements philosophiques de la justice et de la société démocratique, nous sommes allés écouter M. Rachad Antonius, sociologue à l’UQÀM, dans le cadre d’une conférence intitulée « Radicalisation et islamophobie : le débat est mal parti ». Chercheur au Centre de Recherche en Immigration, Ethnicité et Citoyenneté, Rachad Antonius effectue des recherches tant sur les processus d’intégration des minorités arabes et musulmanes au Canada et au Québec que sur les conflits politiques au Proche-Orient. Attentifs à la dimension historique de son argumentation, nous avons voulu nous entretenir avec lui sur ce thème. Le texte qui suit est le fruit d’un entretien d’une heure, retranscrit à l’écrit, puis révisé par les deux parties pour s’assurer de la précision des énoncés.


Bernard Ducharme : Monsieur Antonius, vous êtes sociologue à l’UQÀM, vous travaillez sur les questions liées à la géopolitique au Moyen-Orient et à l’émergence des mouvements de l’Islam politique. Après vous avoir vu en conférence, je voudrais revenir, pour HistoireEngagee.ca, sur les aspects les plus historiques de votre réflexion. Pour contextualiser votre réflexion, vous dites que les mouvements de gauche devraient développer une réflexion sur une opposition à l’islamisme ?

Rachad Antonius : Cela s’applique surtout aux mouvements de gauche européens ou occidentaux, parce que les mouvements de gauche arabes ont une réflexion très développée là-dessus. : ils n’hésitent pas à condamner. Et à analyser, pas juste à condamner : à analyser et à se positionner. Le problème avec une partie – je dis bien une partie – de la gauche, disons une partie du mouvement progressiste – parce que le mot « gauche », déjà, pose beaucoup de problèmes –, c’est la difficulté à se positionner clairement par rapport à l’islamisme pour deux raisons. La première est une raison vraiment historique : l’islamisme a été une réponse au colonialisme. Il a été une des réponses au colonialisme, devenant du coup une idéologie de résistance. Pas la seule, et en fait, une réponse au colonialisme qui a été aussi encouragée par les puissances coloniales. Ça, c’est un élément. Et l’autre élément, c’est qu’il existe un courant xénophobe, raciste, en Occident, qui est très hostile à tout ce qui se rapporte à l’islam et qui est devenu de plus en plus hostile au fur et à mesure que les mouvements islamistes ont émergé et se sont affirmés. Par conséquent, toute critique de ces mouvements devient récupérable et instrumentalisable par les mouvements de droite. C’est pourquoi une partie de la gauche, ou des mouvements progressistes, est convaincue que toute critique de l’islamisme finit par renforcer ce mouvement islamophobe et contribue à la stigmatisation des musulmans. Donc, ils choisissent non seulement de ne pas le faire, mais aussi d’attaquer vigoureusement ceux qui le font. Voilà les deux points de contextualisation que j’aimerais faire.