Là où le présent rencontre le passé - ISSN 2562-7716

Catégorie : Kathleen Durocher

Recension : Sarah Beaudoin et Gabriel Martin. Femmes et toponymie : de l’occultation à la parité

Par Kathleen Durocher, Université d’Ottawa

Source: http://www.editionsdufleurdelyse.com/

Publié en 2019 aux éditions du Fleurdelysé, Femmes et toponymie paraît à une époque où l’enjeu de la parité homme-femme est dans l’air du temps. Parallèlement, la remise en question de la pertinence certains personnages masculins honorés dans l’espace public nous amène aussi à reconsidérer l’idée du mérite en ce qui a trait à la toponymie. Rédigé par Sarah Beaudoin, conseillère en communication, et Gabriel Martin, linguiste, une autrice et un auteur engagé.e.s dans différentes causes féministes, notamment liées à la toponymie[1], cet ouvrage assez bref de ses 125 pages est riche en contenu et en profondeur. Malgré l’intérêt grandissant pour la question, le travail de Beaudoin et Martin est le premier ouvrage offrant  un tour d’horizon de la place des femmes au sein de la toponymie québécoise. Cette publication s’intéresse à la fois aux aspects historiques et contemporains de cet enjeu ainsi qu’à ses avancées et défis à venir. De manière agile et efficace, ce livre nous offre une vue d’ensemble accompagnée d’exemples précis et concrets à l’appui. Au final, Femmes et toponymie offre une première monographie entièrement dédiée à cette problématique, une publication qui « représente un jalon, qui contribue à consacrer l’importance d’un enjeu parfois négligé. (p. 3) »

Pour ce faire, cet ouvrage se divise en cinq sections distinctes. L’historique de la parité toponymique au Québec se fait d’entrée de jeu (chapitre 1), suivi d’un inventaire de mythes et de réticences face à l’intégration accrue de noms féminins (chapitre 2) puis de la proposition d’une banque de toponymes potentiels et la Charte pour une toponymie paritaire (chapitre 3 et 4). Le tout se conclut par un épilogue féministe rédigé par Sarah Beaudoin.

La perspective historique présentée s’attarde à deux cas particuliers, Montréal et Sherbrooke. Ceux-ci illustrent les progressions et les défis rencontrés pour une plus grande prise en compte des femmes dans la toponymie québécoise. Sans remonter le long parcours de l’évolution toponymique en sol québécois, l’auteur et l’autrice soulèvent les progrès observés depuis les années 1980, en particulier dans la dernière décennie.

Dans « Montréal est-elle bien une femme? », l’auteur et l’autrice nous invitent à revoir l’histoire récente du débat entourant la parité toponymique à Montréal, principalement à partir de 2014 lorsque les conseillères Érika Duchesne et Valérie Plante se sont emparées du dossier. Le 375anniversaire de la Ville sert alors de contexte propice pour faire progresser la parité toponymique, notamment avec la banque Toponym’Elles qui voit le jour. Dès lors, Montréal « devient la première municipalité québécoise à s’attaquer vigoureusement et avec éclat à la question de la féminisation de sa toponymie (p. 19) ». D’autres projets s’ensuivent, par exemple avec les noms potentiels pour une éventuelle ligne rose dans le métro de Montréal. De plus, plusieurs noms de femmes se sont depuis ajoutés aux paysages urbains. 

Toponymie pour des oubliées : Le cas du boulevard des Allumettières à Gatineau

Par Kathleen Durocher, Université d’Ottawa

Mise en boîte – 1920. Bibliothèque et archives du Musée des sciences et de la technologie du
Canada, Fonds E.B. Eddy/Domtar.

Introduction

En étudiant les motivations derrière le choix de cet odonyme féminin, nous découvrons comment celui-ci suscitera le désir de faire une place aux femmes, plus spécialement aux femmes ordinaires, dans la toponymie. Les enjeux qu’entraîne la désignation de noms de rues, le questionnement sur la valeur des acteurs historiques, tout comme l’ambition de favoriser la reconnaissance des groupes marginalisés, devient particulièrement d’actualité à Gatineau en 2006 et 2007 alors qu’une nouvelle voie routière stratégique — dont l’aboutissement prit plus de 30 ans — demande à être baptisée. Parmi les 72 propositions faites au Comité de toponymie de Gatineau, un citoyen, Gabriel Guertin, soumet le nom « des Allumettières », affirmant que l’idée lui était venue spontanément, se remémorant ces ouvrières dont son arrière-grand-mère lui avait si souvent parlées[1].

Après deux mois de consultation et de réflexion, l’odonyme représentant ces ouvrières de l’allumette sera finalement attribué à l’axe routier. De ce fait, nous observerons comment les témoignages de support et la justification faite par le Comité de toponymie de Gatineau soulignent les multiples symboliques qu’éveillent les allumettières. Également, comment le choix de l’odonyme fera la lumière sur des ouvrières oubliées, mais également sur le désir d’une plus grande reconnaissance des femmes dans l’espace public par le biais de la toponymie.

Le choix du Comité

L’achèvement de la construction d’un nouveau boulevard à l’automne 2006, englobant trois routes déjà existantes[2], amena le besoin de nommer cette artère avant son ouverture en décembre 2007. Dans ce contexte, la Ville de Gatineau, une entité nouvellement créée après la fusion de cinq municipalités en 2002, met en charge de ce dossier son Comité de toponymie. Pour l’occasion, une nouvelle politique de dénomination toponymique est mise en vigueur la même année, officialisant par le fait même le Comité[3]. Le fonctionnement de ce dernier ainsi que ses choix se doivent d’être conformes aux recommandations et aux politiques de la Commission de toponymie du Québec (CTQ)[4]. C’est ainsi que le Comité met en branle le processus pour nommer la nouvelle route.

La procédure commence par un premier appel à la participation citoyenne. Comme le promeut la CTQ, le déroulement de la sélection doit laisser plus de places aux résidents de la ville et le choix doit résulter d’un mécanisme démocratique[5]. Ainsi, du 18 novembre au 9 décembre 2006, les Gatinois sont invités à proposer leurs suggestions pour nommer le nouveau boulevard. Au total, 72 propositions sont reçues. Le Comité procède donc à la sélection des soumissions satisfaisant le mieux ses critères. Cinq noms sont retenus : Aimé-Guertin, des Allumettières, Asticou, Jos-Montferrand et Philemon-Wright[6]. Ainsi, débute la deuxième phase de consultation. Entre le 20 janvier et le 18 février 2007, tous sont invités à voter sur la question[7]. Le 21 février, le Comité annonce que l’odonyme « des Allumettières » est le grand gagnant avec 44,8 % de votes[8]. Le choix est officialisé par les élus municipaux une semaine plus tard. En date du 3 décembre 2007, le boulevard des Allumettières est enfin ouvert à la circulation.

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