Par Maxime Laprise, candidat au doctorat en histoire, Université de Montréal
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Le spectacle se soumet les hommes vivants dans la mesure où l’économie les a totalement soumis. Il n’est rien que l’économie se développant pour elle-même. Il est le reflet fidèle de la production des choses, et l’objectivation infidèles des producteurs.
Guy Debord, La société du spectacle, 1967
La communauté des amateur-e-s de jeux vidéo est bien connue sur internet pour ses attitudes réactionnaires, misogynes, antiféministes, racistes et transphobes. L’insupportable et puéril débat entourant ce qu’on nomme désormais le Gamer Gate apparait comme un exemple patent de ce phénomène[1].
En mai dernier, un orage du même type s’abat sur l’univers vidéoludique lorsque, dans une bande-annonce[2] de la cinquième itération de sa populaire série de jeux de tir à la première personne Battlefield, la compagnie californienne Electronic Arts mettait en scène une femme portant un uniforme britannique se démenant dans une bataille de la Deuxième Guerre mondiale. Ce qui aurait pu déclencher un débat intéressant à propos de la place des femmes et des minorités dans le récit historique ainsi que sur l’importance (ou non) de l’exactitude historique dans les œuvres de culture populaire fut anéanti par un tsunami d’oppositions délirantes allant de la misogynie à l’antiféminisme[3] en passant par le conspirationnisme d’extrême-droite[4]. Alors que les positions se polarisaient, les critiques légitimes, posées et réfléchies furent rapidement invalidées par association. En témoigne par exemple un article de The Verge publié le 24 mai dans lequel l’attachement légitime de certain-e-s amateur-e-s au réalisme historique est littéralement tourné en dérision avec une totale mauvaise foi[5].
Ce cas de figure exprime une tendance, de plus en plus fréquente dans les œuvres issues de la culture populaire, consistant à modifier l’Histoire pour la rendre plus compatible avec les sensibilités contemporaines, pour éviter de «choquer», pour prétendument faire preuve d’inclusivité (en incluant des minorités à des époques où des endroits où elles ne se trouvaient pas, en adoucissant le racisme ou la misogynie d’une époque ou en rendant les mœurs d’une autre civilisation plus compatibles avec les nôtres par exemple). À partir de cas de figure sélectionnés dans l’univers des jeux vidéo abordant des thématiques historiques, j’aimerais ici soutenir qu’il est tout à fait possible et nécessaire de critiquer cette pratique sans sombrer dans un délire réactionnaire et même qu’on peut le faire dans une perspective progressiste, féministe ou antiraciste.