Sandrine Kott est professeure d’histoire contemporaine de l’Europe à l’Université de Genève depuis 2004 et professeure invitée à la New York University depuis 2018. Spécialiste d’histoire sociale, elle s’intéresse particulièrement à l’histoire du travail, de la philanthropie et des politiques sociales. Dans la première partie de cet entretien qu’elle a accordé à Sandrine Labelle, Sandrine Kott discute de ses recherches sur l’État social allemand à la fin du XIXe siècle. Elle aborde également ses travaux sur la République démocratique allemande (RDA), qui proposent une histoire « par le bas » de la dictature communiste durant la guerre froide. Dans la deuxième partie de l’entretien, Sandrine Kott revient sur ses travaux portant sur les organisations internationales comme lieu de circulation des savoirs en matière économique et sociale. Elle discute principalement de son plus récent ouvrage, Organiser le monde, une autre histoire de la guerre froide, paru aux Éditions du Seuil en 2021.

Une histoire de l’État « au ras de la société » 

Sandrine Labelle (SL) : Dans vos travaux sur l’État social allemand, vous proposez une manière novatrice d’appréhender l’histoire de la formation de l’État social, afin de rompre avec une approche que vous jugiez à l’époque trop centrée sur les « fabricants » des politiques sociales. Qu’est-ce qui vous a motivée à adopter une telle approche? Dans quelle mesure vous a-t-elle permis de proposer une nouvelle lecture des politiques sociales allemandes?

Sandrine Kott (SK) : Pour mon mémoire de master et pour ma thèse, je me suis d’abord intéressée à l’Alsace, connue dans la deuxième moitié du XIXe siècle comme la « région des philanthropes ». Je me suis m’intéressée à cette région en tant que laboratoire de la philanthropie patronale. J’ai vite constaté que celle-ci avait pour résultat et peut-être même pour fonction une consolidation des rapports de domination entre le patronat et les ouvriers. J’ai ensuite voulu savoir si ces équilibres sociaux avaient été transformés par le développement des politiques sociales allemandes à la fin du XIXe siècle. Ce fut l’objet de ma thèse.