Colloque Toujours debouttes! : entrevue avec Camille Robert

Publié le 19 novembre 2019

Les 21 et 22 novembre se tient à l’UQAM le colloque « Toujours debouttes. Perspectives sur le renouveau féministe au Québec ». HistoireEngagée vous propose une entrevue avec l’une des co-organisatrice de l’événement, Camille Robert, afin de présenter plus en détail les motivations derrière l’organisation de ce colloque ainsi que les différents panels et communications, dont les titres annoncent des réflexions et des critiques tout aussi intéressantes que pertinentes.

Le titre du colloque « Toujours debouttes. Perspectives sur le renouveau féministe au Québec » a quelque chose d’intéressant : il reprend une expression liée à un des mouvements féministes québécois des années 1970 tout en rendant compte d’une volonté de réfléchir à des enjeux plus actuels. Pour le détailler, peux-tu contextualiser l’utilisation du « debouttes » et aussi expliquer un peu ce qui est entendu par « renouveau féministe au Québec ».

« Québécoises deboutte! » a d’abord été un slogan lancé par des militantes du Front de libération des femmes du Québec (FLF) au printemps 1971. Au départ, il référait à l’appartenance québécoise et à l’engagement indépendantiste des militantes du début de la décennie 1970, avec une référence évidente au joual… Il a ensuite été imprimé sur des autocollants, apposés un peu partout à Montréal, et a donné le nom au journal publié par le FLF (novembre 1971), puis par le Centre des femmes (novembre 1972 à mars 1974). Plus récemment, le documentaire audio Debouttes! de Jenny Cartwright ou l’éditorial « Toujours debouttes » de la revue À bâbord! ont permis de faire ressurgir ce slogan.

Je crois donc qu’il y a une certaine résonance actuelle, d’autant plus que dans les dernières années, les mouvements féministes ont connu un certain dynamisme et une diversification (encore partielle, faut-il le préciser), du moins dans certaines représentations et champs de revendications. Plusieurs enjeux qui avaient d’abord été soulevés par les militantes des années 1970, comme les violences sexuelles ou le travail invisible, ont été ressaisis et problématisés sous de nouveaux angles. Il nous semblait que le moment était opportun pour se réunir et réfléchir sur le « renouveau féministe » des années 1970 et 1980, comme on l’a nommé, préférant ce terme plus ouvert à « deuxième vague ».

Quelles sont les motivations qui ont mené à la volonté d’organiser ce colloque maintenant?

L’idée de ce colloque remonte à 2016, au moment où les éditions du Remue-ménage préparaient une exposition à l’Écomusée du fier monde pour souligner leurs quarante ans. Marie-Andrée Bergeron et moi avions alors discuté du projet d’organiser un événement qui réunirait à la fois des militantes et des chercheuses pour « faire le point » sur le renouveau féministe. En raison de nos engagements respectifs, cette idée a mijoté quelque temps… Et le cinquantième anniversaire du rassemblement, à Montréal en novembre 1969, de 200 femmes ayant défié le règlement antimanifestation du maire Drapeau (l’ancêtre du règlement P-6, qui vient tout juste d’être abrogé!) nous apparaissait comme l’occasion idéale. Nous avons ensuite contacté Josette Brun qui a accepté de se joindre à nous dans l’organisation, et avons approché Karine Rosso, Chloé Savoie-Bernard et Valérie Yanick pour constituer le comité scientifique.

Y a-t-il des enjeux ou des sujets plus spécifiques que cet événement entend soulever? Est-ce que la volonté d’aborder les « perspectives sur le renouveau féministe au Québec » (le pluriel est important!) comprend une volonté de critiquer, pour le dire ainsi, le récit « mainstream » de l’histoire des femmes et « du » féminisme dans le contexte du Québec d’aujourd’hui, mais aussi de revoir l’historique des différentes luttes féministes et de cerner leurs écueils et angles morts?

Nous voulons, d’une part, revisiter l’héritage de cette frange féministe des décennies 1970 et 1980, en saisir la portée à travers des perspectives historiques, littéraires, sociologiques, cinématographiques… Cela peut paraître surprenant, mais c’est une période qui est relativement méconnue d’un point de vue historique. Il y a eu peu de travaux portant spécifiquement sur les milieux féministes de ces décennies au Québec, contrairement par exemple à la France. On s’en fait également un récit assez figé, qui prend peu en considération les différentes voix qui se sont fait entendre à cette époque, et comment elles pouvaient dialoguer (ou non) entre elles. J’ajouterais que les études existantes sont généralement menées assez séparément selon les disciplines, ce qui témoigne à mon avis d’une difficulté persistante à croiser art (études littéraires, théâtrales ou cinématographiques) et politique (histoire, science politique, sociologie). Nous avons voulu, au sein même de la composition des panels, briser les clivages disciplinaires pour favoriser les partages.

D’autre part, notre démarche ne s’inscrit évidemment pas dans une posture de commémoration. Nous souhaitions donc aménager un espace pour examiner les limites, les absences, et certains phénomènes de marginalisation qui ont eu cours ou qui se poursuivent aujourd’hui. Je prends l’exemple de la communication de Marlihan Lopez et Jade Almeida, qui porte sur l’effacement de la contribution des femmes noires dans le mouvement des femmes du Québec, ou encore celle de Caroline Jacquet, qui critique la centralité donnée à la laïcité dans le récit féministe « mainstream », qui se déploie aujourd’hui en ciblant particulièrement les femmes musulmanes. D’autres communications abordent notamment les débats internes relatifs à l’hétérosexualité, ou encore les alliances entre différents groupes de femmes. Nous espérons que notre colloque donne aussi l’occasion de poser la question : qu’est-ce qu’il reste à faire, aujourd’hui?

Les panels réunissent majoritairement des personnes des milieux universitaires, mais aussi œuvrant dans d’autres milieux, notamment au sein d’organisation féministe (comme la FFQ) ou artistique (FET – Femmes pour l’équité en théâtre). Y a-t-il eu un objectif de sortir un peu du monde académique? 

Notre appel s’adressait aussi aux militantes et a été relayé par plusieurs groupes actifs hors des milieux universitaires. Nous souhaitions sortir d’une perspective « strictement universitaire » et accueillir les témoignages et les réflexions basées non pas uniquement sur des recherches, mais également sur des expériences militantes et des parcours collectifs. Vu la courte distance historique, nous avons la chance de côtoyer des femmes qui ont été impliquées dans les mobilisations des années 1970 ; une table ronde permettra de faire un retour sur les activités de différents collectifs (FLF, Centre des femmes, Théâtre des cuisines) à partir des témoignages de féministes qui s’y sont engagées. Je crois que ces dialogues intergénérationnels sont importants, car nous avons relativement peu d’occasions d’échanger.

Néanmoins, le colloque s’inscrit tout de même dans un cadre universitaire : il se tiendra à l’UQAM, est organisé par et réunit surtout des chercheuses. Ce n’est pas négatif en soi, mais nous sommes conscientes des formes d’exclusion qui ont cours dans ce milieu : barrières financières, culturelles et géographiques, discriminations racistes et sexistes, marginalisation de certains groupes… Et cela transparaît dans la composition des panels. Bien que nous tentions de faciliter l’accès au colloque par différents moyens (gratuité ; remboursement des frais de déplacement ; service de garde ; accès pour les personnes à mobilité réduite ; interprétation vers la LSQ), il reste toujours du travail à faire pour rendre ce type d’événement réellement inclusif.

Nous tenons finalement à remercier toutes les personnes et organismes ayant contribué à rendre cet événement possible : les membres du comité scientifique, les panélistes et les présidentes de panels, les assistantes de recherche et assistantes administratives, le RéQEF, le CRILCQ, le CHRS et le CRSH. D’ici là, nous vous invitons à consulter le programme du colloque sur notre page Facebook.