Discuter de réconciliation en classe : les #150actions, un outil utile

Publié le 7 juin 2018

Catherine Larochelle, professeure au département d’histoire de l’Université de Montréal et membre du comité éditorial de la revue HistoireEngagée

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Les autrices de la liste, Crystal Fraser (droite) et Sara Komarnisky (gauche)

À l’hiver 2018, j’ai eu la chance d’enseigner le cours HST2444, Autochtones, État et société au Canada à l’Université de Montréal. Tout au long de la session, j’ai intégré aux lectures et aux discussions hebdomadaires différents médias, par exemple les affiches de la série Remember/Resist/Redraw et les courts métrages du Wapikoni mobile. Ces publications multimédias se sont avérées des outils pédagogiques stimulants – et nécessaires j’oserais dire – pour alimenter les conversations avec les étudiant.e.s sur les différents récits possibles de l’histoire canadienne. Vers la fin de la session, les étudiant.e.s devaient lire la liste des 150 actions de réconciliation de Crystal Fraser et Sara Komarnisky. Publiée dans sa version originale sur la plateforme ActiveHistory (et dans sa traduction française sur HistoireEngagée.ca) à l’été 2017, la liste des #150actions proposait aux Canadiens et Canadiennes 150 actions de réconciliation à effectuer pour les 150 derniers jours de l’année du 150e anniversaire du Canada. Ayant remarqué que les appels à l’action issus des travaux de la Commission Vérité et Réconciliation ciblaient surtout les institutions et que les citoyen.ne.s ne se sentaient pas nécessairement concerné.e.s, Crystal Fraser et Sara Komarnisky ont voulu montrer que la réconciliation se pratiquait de multiples façons et à différentes échelles.

Aujourd’hui, j’aimerais revenir sur l’expérience pédagogique que j’ai vécue lorsque nous avons parlé de cette liste en classe et expliquer en quoi elle est un outil extrêmement utile pour discuter de la réconciliation avec les étudiant.e.s – et ce, pas uniquement dans les cours d’histoire(s) autochtone(s).

Deux exercices pour réfléchir à la réconciliation

Quoique la lecture de la liste était un devoir à faire à la maison, j’ai commencé le cours en leur distribuant une copie des 150 actions et en leur demandant de les relire et d’identifier les actions :

  • A – accomplies par le cours
  • B – qu’ils ou elles avaient faites en lisant la liste
  • C – qui leur semblaient impossibles ou difficiles à réaliser
  • D – qu’ils ou elles ne comprenaient pas
  • E – qu’ils ou elles souhaitaient faire à court ou moyen terme

L’exercice avait plusieurs objectifs. Je voulais d’abord leur faire prendre conscience que l’histoire abordée dans le cours s’inscrivait dans une perspective sociale et citoyenne plus large. Les étudiant.e.s ont pu voir à quel point les connaissances historiques acquises dans le cours HST2444 (par exemple, les actions #57, #60, #81 ou #83[1]) sont nécessaires pour la décolonisation du récit traditionnel de l’histoire canadienne et québécoise, décolonisation essentielle à la possibilité d’une réconciliation avec les nations autochtones de l’Île de la Tortue [Amérique du Nord]. Les étudiant.e.s étaient ainsi étonné.e.s – et frustré.e.s – de constater que divers aspects de l’histoire canadienne ne leur avaient pas été enseignés à l’école.

La lecture de la liste permettait aussi de discuter des liens entre l’histoire et les enjeux actuels dans les relations entre les Autochtones et les descendants de colons et d’immigrant.e.s au Canada (par exemple, l’action #29 sur les pratiques des corps policiers[2]). L’action #95[3] nous a permis de reparler d’appropriation culturelle et de comprendre les débats actuels au regard de ce que nous avions appris sur les performances autochtones des 19e et 20e siècles. L’action #138[4] sur l’origine et la question du sang a ramené dans la discussion les problématiques entourant l’identité autochtone que nous étudions lors de cette même séance avec les arrêts Powley et Daniels (action #83).

Finalement, et plus fondamentalement, la lecture de la liste a ouvert un espace de discussion pour comprendre que la réconciliation ne se limitait pas aux bonnes intentions (action #85) et qu’elle « n’a rien à voir avec le fait de “se sentir coupable”. La réconciliation c’est la connaissance, l’action et la justice » (action #149).

À la fin de la séance, j’ai effectué un deuxième exercice avec la liste. J’ai séparé le groupe en équipe de trois et je leur ai demandé de faire chacun une action qui se réalisait rapidement : connaître la reconnaissance territoriale que l’Université de Montréal venait d’adopter (#1), apprendre l’histoire récente de la statue de Cornwallis à Halifax (#18) et celle sur les lieux nommés en l’honneur de Langevin et Ryerson (#132), trouver le dernier gagnant autochtone du prix Polaris (#67) et présenter un.e athlète autochtone (#116). Ils avaient 15 minutes pour trouver l’information nécessaire et chaque équipe devait ensuite présenter au groupe l’histoire dont elle venait de prendre connaissance.

Ce petit exercice a donné lieu à des discussions dont je n’avais pas anticipé la profondeur et l’ampleur. Lors de la présentation de la reconnaissance territoriale de l’Université de Montréal, les étudiant.e.s sont revenus sur certaines interprétations de l’historiographie québécoise relative aux rapports Autochtones/Français auxquelles fait écho le texte adopté par l’Université, en plus de souligner son caractère étonnant, voire problématique. Les débats sur la statue de Cornwallis, l’édifice Langevin et l’Université Ryerson ont provoqué une discussion sur l’histoire publique (action #97) et les lieux de commémorations (la question des statues des confédérés aux États-Unis ayant alors été soulevée). La diversité et la complexité des sujets abordés lors de cet exercice m’ont fait comprendre que l’étude de la liste des #150actions permet à la fois de discuter de réconciliation et de colonialisme canadien, mais qu’elle offre également plusieurs pistes pour aborder concrètement avec les étudiant.e.s les enjeux contemporains de la discipline historique.

Retour sur la liste la semaine suivante

Après la séance, j’ai compilé les listes des étudiant.e.s et j’ai porté une attention particulière aux actions identifiées comme étant « impossibles ou difficiles à réaliser » et celles « qu’ils et elles ne comprenaient pas ». J’ai alors remarqué que certaines actions revenaient sur plusieurs copies. Par exemple, les différentes actions qui nécessitaient d’écrire à des représentants élus ou à des corps policiers (#40, #42, #50 et #63[5]) avaient été identifiées par plusieurs comme « impossibles ou difficiles à réaliser ». Au cours suivant, après être revenue sur les quelques actions qui étaient incompréhensibles pour plusieurs (par exemple, #26 ou #113[6]), j’ai questionné les étudiant.e.s sur les raisons qui rendaient « difficiles » la communication avec leurs élu.e.s. Cela a donné lieu à une discussion sur la démocratie et les droits et les devoirs des citoyens, discussion qui, me semble-t-il, a une place privilégiée dans une classe d’histoire.

Au-delà des cours en histoire autochtone

Le potentiel pédagogique de la liste de Crystal Fraser et Sara Komarnisky est immense. Son utilisation dans les cours d’histoire ne devrait pas être limitée aux cours en histoire(s) autochtone(s), elle est tout aussi pertinente – voire nécessaire – dans les cours en histoire canadienne et québécoise. Elle offre une excellente occasion de parler des relations entre la société canadienne et les nations autochtones. Elle constitue aussi un outil remarquable pour discuter de façon critique de réconciliation et faire suite aux appels à l’action lancés par la Commission Vérité et Réconciliation.

Je crois aussi que la richesse de cette liste ne se limite pas à l’histoire canadienne. Comme je l’ai expérimenté, elle offre plusieurs exemples concrets qui permettent d’aborder des enjeux centraux de la discipline comme ceux de l’histoire publique ou de l’écriture de l’histoire. Elle est, sans aucun doute, un outil profitable dans les cours d’introduction à la discipline. J’ai d’ailleurs à ce sujet des projets pour la rentrée de septembre 2018…

Pour en savoir plus

Crystal Fraser et Sara Komarnisky, « 150 actions de réconciliation pour les 150 derniers jours de « Canada 150» », HistoireEngagée.ca, 8 août 2017, [en ligne] https://histoireengagee.ca/150actions/.

https://150acts.weebly.com


[1] Ces actions se lisent comme suit : #57 « Sachez que les Autochtones n’avaient pas le droit de vote aux élections fédérales jusqu’en 1960 »; #60 « Rappelez-vous que les peuples autochtones ont été forcés de choisir entre le fait de conserver leur statut d’ »Indien » tel que régi par la loi sur les Indiens et celui d’aller à l’université ou de servir dans les forces armées canadiennes. Les femmes mariées à des personnes non autochtones ont perdu leur statut »; #81 « Cette année marque le vingt-septième anniversaire de la « crise d’Oka ». Que savez-vous vraiment de cette crise? »; #83 « Lisez le jugement de la Cour suprême du Canada Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien) et essayez de comprendre pourquoi cela est important ».

[2] « Apprenez-en plus sur les enjeux entourant les pratiques permettant aux agents de police d’arrêter des gens de la rue, de leur poser des questions, de recueillir des informations personnelles (de les « carter »), et tentez de comprendre pourquoi cela peut représenter une problématique importante pour les Autochtones vivant en milieu urbain ».

[3] « Réalisez que la ligne est mince entre l’appropriation culturelle et l’appréciation culturelle. Chelsea Vowel a une bonne publication de blogue à ce sujet ».

[4] « La prochaine fois que vous voudrez parler à une personne autochtone de ses origines, tâchez de ne pas orienter la discussion sur les questions de “sang” (i.e. combien de sang autochtone ou de sang blanc il/elle a). Demandez-lui plutôt à quelle communauté il/elle appartient, et apprenez le nom de son peuple ».

[5] Les actions se lisent comme suit : #40 « Écrivez à vos responsables politiques locaux ou à vos députés afin de leur suggérer de déployer un drapeau des Premières Nations sur des édifices locaux/provinciaux/fédéraux »; #42 « Écrivez une lettre aux responsables de la GRC ou de la police de votre région afin de poser des questions quant à la façon dont procède la police pour tisser des liens avec les communautés autochtones locales. S’ils ne sont pas activement engagés dans ce processus, demandez qu’ils le soient »; #50 « Écrivez à vos représentants locaux, provinciaux et fédéraux et demandez-leur comment ils mettent en place les Appels à l’action »; #63 « Écrivez au premier ministre Justin Trudeau et demandez-lui que le gouvernement applique les promesses faites aux peuples autochtones lors des élections de 2015 ».

[6] L’action #26 : « Invitez votre organisation de réconciliation locale à tenir un atelier « Kairos Blanket Exercise » (« l’Exercice des couvertures ») à votre lieu de travail »; l’action #113 : « Plantez votre propre « Jardin de cœur » avec des messages d’appui aux survivants des écoles résidentielles ».