Histoire de la sexualité : Critique de l’hétéronormativité et représentation de la diversité

Publié le 26 mars 2019

Par Shawn McCutcheon, doctorant en histoire à l’Université McGill

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Résumé : À l’aide d’un corpus de sources secondaires puisé dans l’historiographie internationale, cet article a pour but de réfléchir à certaines voies que pourrait emprunter l’historiographie québécoise pour stimuler, voire transformer, son approche de l’histoire de la sexualité. Les stratégies qui y sont suggérées visent à contourner un risque important qui guette l’historien.ne écrivant l’histoire de la sexualité, c’est-à-dire l’hétéronormativité qui distend son regard sur le passé. L’auteur invite les lecteur.rice.s à  s’interroger sur le potentiel déstabilisateur qu’aurait l’inclusion d’une perspective sexuelle renouvelée dans le discours historique québécois. La réflexion qui en découle propose un projet d’histoire des possibles sexuels, affectifs et érotiques, libéré des catégorisations et des idées reçues actuelles. Une histoire ouverte à la pluralité des relations possibles entre partenaires de même sexe ou non, qui pourrait apporter un éclairage différent sur les phénomènes politiques, sociaux et culturels ayant marqué la population.

Mots-clés : Québec; sexualité; homosexualité; hétérosexualité; bisexualité; homoérotisme; homoaffectivité; homosocial; hétéronormativité; hétérosexisme; historiographie; épisthémologie; LGBTQIA2; queer.

L’histoire de la sexualité a le vent dans les voiles depuis quelques années. Reflet d’une ouverture sociale croissante, le Parlement écossais annonçait même en novembre 2018 que l’Écosse deviendra sous peu le premier État à inclure l’histoire de la diversité sexuelle et de genre dans son curriculum scolaire[1]. D’un point de vue académique, l’engouement qu’elle suscite se manifeste autant dans l’offre de nouvelles positions académiques au sein des départements universitaires, que dans l’organisation de colloques ou la parution de publications dédiées au sujet. Au Royaume-Uni, en France, aux États-Unis et au Canada anglais, pour ne mentionner que ces régions, le bilan historiographique ne cesse de s’enrichir de recherches nouvelles et stimulantes. Les œuvres de synthèse, même celles d’excellente qualité, peinent à suivre la production des historien.ne.s européen.ne.s, ou nord-américain.ne.s[2]. À l’aide d’un corpus de sources secondaires puisé dans cette historiographie internationale, cet article a pour but de réfléchir à certaines voies que pourrait emprunter l’historiographie québécoise pour stimuler, voire transformer, son approche de l’histoire de la sexualité. Les travaux sur lesquels s’appuie cette réflexion ont surtout été choisis en raison de l’impact théorique ou conceptuel qu’ils ont eu sur l’histoire de la sexualité internationale, ainsi que sur les possibilités épistémologiques nouvelles qu’ils permettent lorsqu’appliqués à l’écriture de l’histoire du Québec. Les stratégies suggérées dans cet article visent en premier lieu à contourner dans la mesure du possible un risque important qui guette l’historien.ne écrivant l’histoire de la sexualité, c’est-à-dire l’hétéronormativité qui distend son regard sur le passé. D’autre part, ce bilan historiographique – qui est loin d’être exhaustif – invite à  réfléchir sur le potentiel déstabilisateur qu’aurait l’inclusion d’une perspective sexuelle renouvelée dans le discours historique québécois, ainsi que sur l’élargissement du concept de sexualité lui-même, pour y inclure l’affectif. Il va sans dire que mon intérêt pour l’étude de la diversité sexuelle, ainsi que ma spécialisation en tant que doctorant en histoire du monde atlantique des XVIIIe et XIXe siècles influencent l’approche que je propose. Si la réflexion décrite au fil des pages qui suivront concerne aussi le XXe siècle, sa pertinence augmente proportionnellement à l’éloignement temporel et prend vraiment toute sa force lorsque l’objet de l’étude historique concerne la période préindustrielle.

La première partie de l’article établit d’abord une brève définition du concept d’hétéronormativité et en dresse une généalogie succincte, depuis sa naissance au sein des groupes féministes lesbiens des années 1970 jusqu’à l’institutionnalisation universitaire de la théorie queer au cours des années 1990. Établir le sens du concept d’hétéronormativité – qui est central dans la réflexion proposée dans cet article – permet de mieux cerner ce que je qualifie d’hétéronormativité historique. Par-là, j’entends le phénomène de distorsion du regard posé par l’historien.ne sur le passé sexuel. Il est causé par l’introduction d’anachronismes dans la perception de celui ou celle-ci des façons antérieures de comprendre et de structurer la sexualité. Le constat s’appuie sur la réflexion ayant émergé au cours des dernières décennies suite aux travaux d’historicisation des idées relatives à la sexualité. Appuyée sur certaines œuvres incontournables sur le sujet, la seconde section de cet article procède à une brève déconstruction de nos conceptions actuelles de la sexualité, ainsi que des notions d’orientations sexuelles, d’hétérosexualité et d’homosexualité. Après avoir souligné le potentiel d’une telle approche quant à la construction d’une narration historique plus représentative de l’altérité du passé sexuel et plus inclusive de sa diversité, la troisième section de l’article suggère quelques pistes ayant émergé au sein de l’historiographie qu’il serait intéressant d’appliquer en histoire québécoise – ou canadienne. Des pistes décloisonnantes qui permettent d’envisager un champ d’enquête étendu aux possibles affectifs et érotiques et aptes à enrichir le récit historique.

Cerner l’hétéronormativité historique : une brève description et généalogie du concept d’hétéronormativité

Avant de parler d’hétéronormativité historique, il convient d’établir le sens du concept d’« hétéronormativité » et d’en retracer brièvement l’émergence. Le mot désigne grosso modo l’idée qu’en matière de sexualité la société contemporaine est entièrement construite autour de l’idée que l’hétérosexualité – ainsi que les rôles sexuels genrés qui lui sont associés – est la sexualité normale de facto de la majorité de la population. Ainsi, si les non hétérosexuel.le.s sont représenté.e.s ou mentionné.e.s dans notre société, ils et elles le sont souvent en tant qu’exception, positive ou négative. Dans l’optique hétéronormative, l’homosexualité et la diversité sexuelle sont des satellites qui orbitent de manière périphérique autour de l’hétérosexualité. Selon la définition développée par l’organisme Interligne en collaboration avec la Chaire de recherche contre l’homophobie et la transphobie de l’UQAM, l’hétéronormativité se définit de la façon suivante :

Ce concept renvoie à l’affirmation d’idéologies normatives en matière de sexes, de genres, d’orientations sexuelles et de rôles sociaux. L’hétéronormativité présente ces dimensions dans un système qui postule la binarité des sexes (masculin/ féminin), des genres (homme/femme), des rôles sociaux (p. ex. père/mère) et des orientations sexuelles (hétérosexuelle/ homosexuelle), et à l’alignement de ces dimensions (sexe féminin / femme / mère / hétérosexuelle ; sexe masculin / homme / père / hétérosexuel). L’hétéronormativité met donc en place un système dominant dans lequel les personnes qui ne respectent pas ces normes (comme les personnes non hétérosexuelles, trans[*], ou non conformes aux stéréotypes de leur genre) sont considérées comme étant inférieures[3].

L’hétéronormativité est souvent accompagnée par l’hétérosexisme

[qui est] l’affirmation de l’hétérosexualité comme norme sociale ou comme étant supérieure aux autres orientations sexuelles. Il découle de l’hétérosexisme des pratiques culturelles, sociales, légales et institutionnelles qui dénient, ignorent, dénigrent ou stigmatisent toutes formes non hétérosexuelles de comportements, d’identités ou de relations. Si l’hétéronormativité dicte les conduites et les normes à suivre en matière de sexes, de genres et d’orientations sexuelles, l’hétérosexisme en assure le maintien, par l’exclusion sociale, la discrimination ou l’invisibilisation des individus dérogeant à ces normes[4].

Les deux notions sont étroitement associées. Elles émergèrent progressivement dans les réflexions du féminisme lesbien au cours des années 1970 et 1980, avant d’être récupérées par la théorie queer des années 1990. Dès 1978, Charlotte Bunch dénonce la domination institutionnelle et idéologique de l’hétérosexualité, liée selon elle à la domination patriarcale au sein de la famille nucléaire et du mariage bourgeois. En 1980, Adrienne Rich parle de l’obligation sociale d’hétérosexualité, alors qu’en 1984 dans Sister Outsider Audre Lorde définit l’hétérosexisme comme « la croyance en la supériorité inhérente d’un modèle d’amour et de son droit à dominer tout autre.[5] » Le concept d’hétéronormativité sera popularisé par Michael Warner en 1991, après l’établissement institutionnel de la théorie queer dans les universités anglo-saxonnes[6]. Le mérite des concepts d’hétérosexisme et d’hétéronormativité est de permettre d’aller plus loin que celui d’homophobie. Celui-ci ne concerne que l’homosexualité et ne s’attarde qu’à l’expression d’une phobie par l’entremise d’actes physiques ou verbaux violents. Les deux autres permettent plutôt d’explorer la répression et les violences ordinaires que vivent les membres de la diversité sexuelle et de genre, ainsi que la mentalité qui les engendre. Pour reprendre les mots de Tom Warner, la conjoncture entre hétéronormativité et hétérosexisme produit un régime de vérité qui structure la vision que nous avons du monde qui nous entoure, de son avenir et de son passé :

Heterosexism – the social supremacy of compulsory heterosexuality acceptably manifested in only certain prescribed way – is thus systemic. Its supremacy is predicated on rigid gender roles (…sexism), the division of labour based on gender, the apportioning of social and economic benefits according to sex and marital status, and the exclusivity of privatized, monogamous, heterosexual sexuality. All people are indoctrinated with heterosexism from birth, which fosters, socially, a formidable totalitarianism[7].

L’hétéronormativité historique

Il faut bien sûr demeurer conscient que les notions d’hétéronormativité et d’hétérosexisme sont des concepts qui furent articulés au cours de la seconde moitié du XXe siècle, comme le fut celui de sexisme par exemple. Il n’en demeure pas moins que lorsque ces outils – hérités d’un féminisme de troisième vague – sont intégrés à l’appareil critique employé par l’historien.ne pour historiciser le passé, ils permettent d’éviter ce que l’on pourrait qualifier d’hétéronormativité historique. Par-là, j’entends la compréhension de la sexualité du passé – en termes de pratiques, de comportements, de catégories et d’identités sexuelles ancrés dans le corps, qui opposent une majorité hétérosexuelle à une minorité homosexuelle ou bisexuelle – à l’aune de nos concepts actuels, conduisant à la marginalisation de la diversité sexuelle antérieure. Autrement dit, l’hétéronormativité historique est la projection dans le passé de la dichotomie hétéro/homo(/bi) telle qu’elle fut progressivement construite et naturalisée par la sexologie, la psychologie et la psychiatrie depuis le dernier tiers du XIXe siècle. Penser que l’hétérosexualité telle qu’on la conçoit actuellement va de soi et possède une essence transhistorique, peut conduire l’historien.ne – dans ses recherches, son traitement des sources et le discours qu’il produit – à distordre l’identité des acteurs et actrices du passé et à marginaliser d’autres expériences et d’autres façons de comprendre les actes sexuels. Même s’ils ne sont pas du tout condamnés par l’historien.ne, ils n’en demeurent pas moins isolés et réduits à l’état d’exception en rapport à une norme hétérosexuelle. Une norme, qui est projetée dans un passé qui lui est étranger.

Historiciser les concepts de sexualité et d’orientation sexuelle

La sexualité comme construit socioculturel : historiciser les désirs

Comment neutraliser le plus possible le prisme hétéronormatif dans le regard porté sur le passé ? Comment construire une narration historique plus inclusive de sa diversité et plus représentative à la fois de son altérité et de sa similarité avec le présent ? Le défi est de taille. Une solution envisageable est d’avoir conscience du caractère construit de la sexualité, ainsi que de garder cet élément en tête lors de la lecture des sources et de l’écriture de l’histoire. L’historicisation des compréhensions historiques de la sexualité met en évidence qu’à travers le temps et les sociétés, la ligne culturelle majeure démarquant le normal de l’anormal, ou l’acceptable sexuel de l’inacceptable sexuel, ne s’est pas toujours située au niveau de l’opposition entre moi l’hétéro / l’autre l’homo-bi.

Cette réflexion s’appuie sur une historiographie internationale déjà bien fournie. En effet, plusieurs chercheurs.euses ont progressivement travaillé depuis les années 1960 à montrer que les façons de comprendre et d’articuler le désir changent à travers le temps et les sociétés. Les travaux d’Eve Kosofsky Sedgwick, qui comptent parmi les ouvrages fondateurs de la théorie queer, soulignent l’incompatibilité des conceptions modernes sur la sexualité avec le passé[8]. Pour préserver l’originalité de chaque expérience sexuelle à travers l’histoire, il faut se défamiliariser du passé et dénaturaliser l’opposition binaire entre homo et hétérosexualité, cette dernière n’étant après tout que l’étalon identitaire actuel. Sedgwick argumente qu’au même titre que le genre, la sexualité et ses pratiques sont des constructions socioculturelles. Elles sont soumises aux effets structurants du contexte historique et à la subjectivité individuelle, ce qu’à l’instar de Judith Butler pour le genre, Sedgwick traduit par l’idée de performativité[9]. Ainsi, pour comprendre les pratiques du passé, il faut procéder à ce que David Halperin appelle l’« historicisation des désirs » : c’est-à-dire l’étude de l’expérience érotique d’un individu appartenant à une société du passé pour en déterminer le contexte[10]. C’est en ayant ces idées en tête que Halperin entreprit lui-même une enquête généalogique pour retracer les identités et les stéréotypes qu’il qualifie de « pré-homosexuels » et qui participent à l’image actuelle de l’homosexuel.le, illustrant de ce fait tout autant le pluralisme des identités et des pratiques homoérotiques à l’époque moderne, que leur instabilité, véritable courtepointe dynamique d’idées anciennes et nouvelles.

L’historicisation des désirs prônés par Sedgwick et Halperin s’applique au XXe siècle, mais acquiert de plus en plus de force à mesure que l’objet d’étude s’en éloigne, en particulier lorsqu’est atteinte l’époque préindustrielle. Par exemple, les travaux de John D’Emilio et d’Estelle B. Friedman ont montré comment trois siècles avant l’émergence des idées actuelles portant sur la sexualité, les sexualités américaines étaient initialement très diverses. D’Emilio et Friedman montrent bien comment celles-ci sont passées d’un régime plaçant l’accent sur la famille et la reproduction en contexte marital à l’époque coloniale, à une sexualité contemporaine commercialisée et biologisée, via l’idéal romantique du XIXe siècle. Des régimes sexuels donc variés, d’où l’opposition binaire entre homosexualité et hétérosexualité était absente. De plus, les deux auteurs.trices montrent bien que jusque très tard au XIXe siècle, la répression judiciaire de l’érotisme entre partenaires de même sexe – pour les hommes, mais encore plus pour les femmes – demeure remarquablement inconsistante et irrégulière comme dans plusieurs autres sociétés occidentales de l’époque malgré les condamnations religieuses, morales et légales [11]. Thomas A. Foster en vient aussi à la même conclusion dans l’étude qu’il fait de la masculinité et de ses possibles sexuels au Massachusetts au cours de l’époque coloniale. Dans Sex and the Eighteenth Century Man, Foster montre que l’acte sexuel entre un homme et une femme n’était pas compris par l’entremise du concept d’orientation sexuelle, mais plutôt en termes maritaux, centrés autour de la procréation, de la famille et du foyer. Dans un tel contexte, la ligne de séparation majeure entre le normal et l’anormal se situe non pas au niveau du genre des partenaires, mais bien si elles et ils sont engagé.e.s dans des relations sexuelles au sein du mariage et menant à la procréation ou non[12]. Pour reprendre les termes de Julie Peakman : « Today, heterosexuality is defined as the opposite of homosexuality, also a late-nineteenth-century word, but in the early modern world, heterosexuality – in terms of an identity defined by a sexual relationship with the opposite sex – is better seen in opposition to celibacy and singleness[13]. »

La désintégration de l’hétérosexualité

L’idéal marital et reproductif décrit par ces historien.ne.s est fondamentalement différent du concept actuel d’hétérosexualité. Jonathan Ned Katz explique très bien ce que veut dire remettre en cause l’idée même de la fixité atemporelle et illusoire de ce qu’il appelle  l’ « Heterosexual Mystique » :

heterosexuality is not identical to the reproductive intercourse of the sexes; heterosexuality is not the same as sex distinctions and gender differences; heterosexuality does not equal the eroticism of women and men. Heterosexuality (…) signifies one particular historical arrangement of the sexes and their pleasures. To be sure, a reproductive necessity, distinctions between the sexes, and eroticism have been around for a long time. But sexual reproduction, sex difference, and sexual pleasure have been produced and combined in different social systems in radically different ways. Not until a hundred years ago, (…), were those ways heterosexual. (…) Our mystical belief in an eternal heterosexuality – our heterosexual hypothesis, is an idea distributed widely only in the last three-quarters of the twentieth century[14].

L’entreprise de Katz est brillante puisqu’il inverse le poids de la preuve et de la justification : en se basant sur la critique faite par Robert Padgug qui postule qu’aucune sexualité n’a d’essence transculturelle et transhistorique, c’est désormais l’hétérosexualité qui est passée à la loupe et dénaturalisée. L’historien parvient à montrer que ce n’est que très tardivement au XIXe siècle qu’émerge l’idée d’un instinct sexuel inné. Les termes d’hétéro et d’homosexualité furent d’ailleurs inventés en 1869 par Karl-Maria Kertbeny dans une lettre adressée à son ami Karl Ulrich. Les termes demeurèrent pendant longtemps instables et peinèrent à s’affirmer face à d’autres appellations compétitives – comme dionistes – au sein d’une médecine moderne en pleine création. Dans un article médical publié à Chicago en 1892, l’hétérosexualité fait référence à une maladie, soit à l’incapacité d’un individu de contrôler son instinct reproductif envers des individus du même sexe, ou du sexe opposé. L’hétérosexuel.le était ainsi coupable de dévier de l’idéal reproductif en cherchant une satisfaction sexuelle sans but procréatif. Selon Katz, cette idée, tout d’abord populaire dans les cercles médicaux, demeura dominante dans la culture des classes moyennes jusqu’aux années 1920[15]. De plus, ce qui est important de noter c’est qu’un seul instinct sexuel existe ici, soit un instinct reproductif et qu’une déviance n’est perçue que si les pratiques sexuelles d’une personne s’en éloignent – la sodomie entre un homme et une femme, ainsi que la masturbation entrent dans cette catégorie, tout comme dans une certaine mesure la fellation qui est aussi problématisée.

L’idéal procréatif structurera longtemps le regard que portèrent les sexologues sur l’instinct animal reproductif de l’humain. Comme la sexologie elle-même, la notion d’instinct sexuel est en pleine formation et en quête de légitimité scientifique à la fin du XIXe siècle. L’idéal reproductif est d’ailleurs toujours présent dans les travaux de Krafft-Ebing, qui fit beaucoup pour renforcer l’idée d’instinct sexuel à partir de 1886 avec la parution de Psychopatia Sexualis. Il est d’ailleurs celui qui popularisera l’emploi des mots hétérosexualité et homosexualité. Ce n’est que très lentement, à la charnière des XIXe et XXe siècles, via ses recherches, ainsi que celles de Moll, Westphal, Ulrich et Havelock Ellis (dont la dernière publication parut en 1928), que l‘idée d‘hétérosexualité prend forme[16]. L’époque vit notamment l’idéal sexuel victorien, centré autour d’un mysticisme marital romantique, être remplacé chez les médecins par l’idée d’un instinct sexuel animal, résultat du darwinisme scientifique ambiant. Néanmoins, ce n’est vraiment qu’avec les travaux de Sigmund Freud au cours des années 1900 et 1910, qu’elle devient dominante dans les cercles médicaux. Récupérant le concept d’instinct sexuel tel qu’articulé par ses prédécesseurs, Freud va en opérer une transformation essentielle : l’instinct sexuel selon Freud vise désormais le plaisir et la gratification sexuelle. Un instinct qui se développe par étape, de l’autoérotisme jusqu’à sa version optimale, c’est-à-dire le désir d’union avec le sexe opposé. Effectivement divorcé de l’idéal procréatif et marital, le plaisir sexuel avec le sexe opposé, dissocié de tout soupçon de perversion, est placé au centre de l’intimité, du mariage et de la vie de famille au cours de la première moitié du XXe siècle[17].

Autre élément important dans la déconstruction de la mystique hétérosexuelle : elle est un phénomène lié à la classe et à l’ethnicité. En effet, elle s’affirma surtout dans un premier temps parmi les classes moyennes blanches. Elle ne fut possible que dans une société dominée par des valeurs bourgeoises qui privilégia l’amour romantique et le compagnonnage marital, où au début du XIXe siècle le mariage fut redéfini progressivement comme l’union complémentaire et sentimentale entre un homme et une femme. De plus, le discours sur l’opposition binaire entre hétérosexualité et homosexualité se répandit lentement et de façon inégale dans la société. Il demeura longtemps un discours savant, confiné au jargon de cercles médicaux restreint. Sa diffusion auprès des médecins fut même entravée par la censure de certains États, qui interdisaient la circulation des ouvrages de sexologie[18]. Ce n‘est qu‘au cours des années 1920 que ces deux concepts opposés et complémentaires quittent vraiment les cercles médicaux, pour s’imposer dans les discussions des classes aisées et moyennes. Dans certains cas, il faudra même attendre encore plus tard au XXe siècle pour que ces idées se répandent vraiment dans les journaux, les magazines et l’ensemble des classes populaires. Cette conclusion de Katz est aussi corroborée par l’étude de D’Emilio et Friedman sur les discours médiatiques américains[19], ainsi que par celle de George Chauncey sur les communautés « gaies » de New York entre 1890 et 1940[20]. Allan Bérubé souligne d’ailleurs le rôle de la Seconde Guerre mondiale dans la naissance de l’identité gaie, ainsi que dans la diffusion du concept d’orientation sexuelle dont elle dépend. En effet, la mobilisation générale de la population pour soutenir l’effort de guerre favorisa selon lui la création de réseaux d’hommes – plus que de femmes – partageant les mêmes inclinations, et amena un partage d’idées sans précédent[21]. Un phénomène similaire est d’ailleurs évoqué, mais en plus limité, pour le Canada anglais par l’historien Gary Kinsman[22].

La désintégration de l’homosexualité

La désintégration du concept d’hétérosexualité implique celle de l’homosexualité, qui est aussi un concept moderne qui ne s’applique pas à une époque plus lointaine. Michel Foucault, dans son Histoire de la sexualité, 1, La volonté de savoir, avait daté la naissance de l’homosexualité moderne, en 1870, avec un article médical de Westphal décrivant l’inversion sexuelle :

La sodomie – celle des anciens droits, civil ou canonique – était un type d’actes interdits ; leur auteur n’en était que le sujet juridique. L’homosexuel du XIXe siècle est devenu un personnage : un passé, une histoire et une enfance, un caractère, une forme de vie ; une morphologie aussi, avec une anatomie indiscrète et peut-être une physiologie mystérieuse. Rien de ce qu’il est au total n’échappe à sa sexualité. Partout en lui, elle est présente : sous-jacente à toutes ses conduites parce qu’elle en est le principe insidieux et indéfiniment actif ; inscrite sans pudeur sur son visage et sur son corps parce qu’elle est un secret qui se trahit toujours. Elle lui est consubstantielle, moins comme un péché d’habitude que comme une nature singulière. Il ne faut pas oublier que la catégorie psychologique, psychiatrique, médicale de l’homosexualité s’est constituée du jour où on l’a caractérisée – le fameux article de Westphal en 1870, sur les « sensations sexuelles contraires », peut valoir comme date de naissance – moins par un type de relations sexuelles que par une certaine qualité de la sensibilité sexuelle, une certaine manière d’intervertir en soi-même le masculin et le féminin. L’homosexualité est apparue comme une des figures de la sexualité lorsqu’elle a été rabattue de la pratique de la sodomie sur une sorte d’androgynie intérieure, un hermaphrodisme de l’âme. Le sodomite était un relaps, l’homosexuel est maintenant une espèce[23].

Si ce passage a révolutionné l’histoire de l’homosexualité, l’historiographie s’est depuis lors éloignée de cette thèse, d’autant plus qu’elle concerne surtout l’homosexualité masculine, au détriment des femmes qui sont sous-représentées dans les sources judiciaires et médicales utilisées pour l’articuler. Depuis les années 1970, les historien.ne.s ont pu constater l’instabilité très tardive du concept d’homosexualité dans les mentalités et documenter sa longue naissance. Comme expliqué précédemment, le mot homosexualité fut inventé en 1869 par Karl-Maria Kertbeny, dans une lettre à son ami Karl Ulrich. Les deux hommes militaient ensemble pour la reconnaissance du caractère inné et bénin des « sentiments sexuels contraires ». Leur objectif était politique : tous deux revendiquaient, en Autriche-Hongrie et dans ce qui allait devenir l’Allemagne, la décriminalisation des actes sexuels entre hommes. Dès 1864, Ulrich distingua les uranistes et les uraniades des dionistes. Tirés du Banquet de Platon, les deux premiers termes font référence à des individus éprouvant un sentiment sexuel contraire à leur sexe biologique. Contrairement aux dionistes attirés par le sexe opposé, les uranistes possédaient un désir féminin ancré dans le corps d’un homme et les uraniades un désir masculin ancré dans un corps féminin. Ils et elles restaient néanmoins pour Ulrich et Kertbeny des enfants de la nature et injustement réprimés. Westphal récupéra l’idée d’inversion sexuelle en 1870, mais en décrivant celle-ci comme une maladie. Foucault a donc partiellement raison lorsqu’il affirme que Westphal inaugure la médicalisation et la pathologisation de l’homosexualité, puisque celui-ci en fit un mal inné, mais curable. Néanmoins, cette compréhension se construisit en dialogue, parfois conflictuel, avec d’autres professionnels ou militant.e.s. De plus, ce n’est vraiment qu’avec la dissémination des œuvres de Krafft-Ebing, traduites en anglais à partir de 1891, que l’emploi du mot homosexualité se répandit vraiment dans les cercles médicaux. La chronologie établie ici est loin d’être exhaustive, mais elle illustre l’inconstance et la multiplicité des discours qui ont façonné l’idée d’homosexualité[24].

D’autres historien.ne.s ont souligné la présence d’éléments plus anciens que le XIXe siècle dans la figure de l’homosexuel.le, ce qui tend à brouiller la frontière temporelle nette initialement établie par Foucault. Dans Long Before Stonewall, Thomas A. Foster, souligne d’ailleurs qu’une opposition nette entre actes et identités est beaucoup trop simpliste et se fait d’un point de vue moderniste qui obscurcit la réalité. Les conclusions tirées par tous les auteurs.trices de ce collectif tendent toutes aussi à indiquer que ce qui distingue le monde préindustriel du monde contemporain est l’habilité du désir homoérotique à apparaître à certains moments dans l’imaginaire collectif comme étant similaire à d’autres actes pécheurs dont tous et toutes sont potentiellement capables et à d’autres moments comme étant distinct et lié au caractère d’un individu. Pour reprendre Foster : « … In the modern world, same-sex sex becomes more consistently and firmly, if still inconsistently, attached to personhood and identity[25]. »

En ce qui concerne les perversions ou déviances sexuelles au sens plus large, Julie Peakman abonde dans le même sens, tout en insistant sur leur aspect culturellement construit, résultat d’entrelacs complexes d’idées et de croyances historiquement changeantes. La perversion sexuelle était comprise à l’époque moderne et jusqu’au tournant du XXe siècle comme toute pratique s’éloignant de la sexualité matrimoniale et reproductive, la fornication (entre partenaires de sexe différents ou non), l’adultère, la sodomie (pas qu’entre hommes), la fellation, la masturbation, ainsi qu’une multitude de positions sexuelles, étaient ainsi considérées comme des perversions. Très tard au XVIIIe siècle et longtemps au XXe siècle, elles étaient perçues simultanément comme des crimes commis contre la religion et contre la nature. À ce titre, la définition de la marginalité sexuelle à l’époque témoigne de l’émergence des nouvelles conceptions naturalistes du corps et du monde, cohabitant avec une compréhension biblique et théologique préexistante de la sexualité. Comme Foster, Peakman souligne le chevauchement entre deux conceptions de la perversion sexuelle : entre actes relevant d’une déchéance morale que tous et toutes peuvent commettre et caractéristique innée d’un type d’individu particulier, qui s’initie pendant les Lumières. Néanmoins, aucune notion moderne d’homosexualité n’y est présente[26].

Est-il alors possible de faire l’histoire de l’homosexualité avant le XXe siècle ou la fin du XIXe siècle ? Bien sûr, si l’on met le lectorat en garde et qu’on utilise le terme au sens large, comme portemanteau désignant l’histoire de l’amour, des comportements et pratiques sexuelles, du désir, ou encore de l’érotisme entre partenaires de même sexe. Par contre, lorsque le concept d’homosexualité projette dans le passé des idées propres au mouvement gai et lesbien du XXe siècle, ainsi qu’à l’orientation sexuelle telle que nous la concevons aujourd’hui, aucune histoire de l’homosexualité n’est possible. Il en va de même pour l’hétérosexualité ou la bisexualité.

L’héritage essentialiste et constructiviste

Cette réalisation arrive après plusieurs décennies de débat parmi les historien.ne.s de l’homosexualité séparé.e.s en deux camps opposés. Les essentialistes cherchaient les traces d’une minorité homosexuelle à travers le temps. Les constructivistes étaient, quant à eux, plus attaché.e.s à comprendre les façons propres qu’eurent chaque société d’organiser et de comprendre le désir. Leur but était d’éviter les anachronismes commis lorsqu’on interprète le passé à l’aide de notre système de catégorisation sexuelle actuel, lequel devait lui-même être déconstruit et historicisé. Ce débat s’est calmé depuis la fin des années 1990. Reflétant les développements de l’historiographie, Robert Nye parle maintenant plutôt d’un constructivisme modéré. Rejetant ainsi la permanence transhistorique de nos catégorisations, représentations et pratiques sexuelles actuelles, le débat est désormais selon Nye non plus de savoir si le sexuel et l’érotique sont culturellement construits ou innés, mais bien de voir dans quelle mesure le culturel et le corporel sont combinés ensemble. Autrement dit, une approche du passé qui est consciente du caractère construit de nos schèmes de pensée, mais qui garde en tête la matérialité immédiate du corps[27].

L’approche décrite par Nye a le mérite de laisser s’exprimer la diversité et l’altérité du passé, tout en évitant de courir le risque de l’exagérer outre mesure. D’ancrer dans la matérialité du réel le culturellement construit. En méditant sur les enjeux du débat, Eve Kosofky Sedgwick a d’ailleurs eu une réflexion d’une grande sagesse. Sans nier les contributions importantes des historien.ne.s essentialistes faites au cours de la libération gaie et lesbienne à partir des années 1970, elle développe une critique qui s’étend aussi bien aux historien.ne.s essentialistes qu’aux constructivistes.  Au début des années 1990, en pleine crise du Sida qui n’allait se calmer – sans jamais disparaître – qu’avec l’avènement de la trithérapie en 1996, Sedgwick dénonce les risques de dérives contenus autant dans le discours essentialiste que constructiviste. Dans Episthemology of the Closet, elle s’inquiète du fait que la quête des origines de l’homosexualité puisse être récupérée par un discours homophobe cherchant à mieux endiguer le mouvement gai et lesbien : « … there is no unthreatened, unthreatening conceptual home for a concept of gay origins[28]. » L’homosexualité possède-t-elle une essence innée? Si c’est le cas, la science ne l’a pas encore identifiée. Au-delà des explications psychanalytiques désormais largement discréditées, les expert.e.s ne s’entendent toujours pas. À ce jour, aucune des théories scientifiques hormonales, génétiques ou environnementales n’est vraiment concluante. Peu importe la réponse à cette question, l’historien.ne doit être humble et se poser la question suivante : Est-ce bien son rôle de mettre à jour cette matrice hypothétique ? À la suite de Sedgwick, je ne crois pas.

Vers une histoire des possibles sexuels, érotiques et affectifs

Une narration inclusive

Le but d’une telle réflexion ne vise pas qu’à favoriser la production d’un plus grand nombre d’études soulignant les possibles entre partenaires de même sexe, bien que cette conséquence découlant d’un discours plus inclusif est loin d’être mauvaise et est même souhaitable. En évitant de reproduire dans le passé une classification basée sur l’opposition hétéro/homo, la déshétérosexualisation du passé présente un potentiel beaucoup plus large. Déshétérosexualiser le passé permet de réinterroger celui-ci pour essayer de voir comment notre façon de comprendre la sexualité est culturellement construite, instable, changeante et complexe. De voir quelles contingences locales ou transnationales l’ont façonné. Cela permet aussi d’apporter un éclairage nouveau sur l’érotisme et l’expression des désirs, qui furent des facteurs sociaux d’inclusion ou d’exclusion – de normalisation ou de marginalisation – importants. Quelques suggestions tirées de l’histoire québécoise serviront ici à illustrer brièvement le propos et peut-être susciter des questionnements. Cette liste est loin d’être exhaustive et reflète plutôt des intérêts de recherches personnels.

Une enquête très intéressante pour l’historicisation des désirs et de la sexualité est de retracer l’émergence des nouveaux paradigme, notamment ceux des identités homosexuelles ou hétérosexuelles. Les historien.ne.s de l’homosexualité au Québec incluent des chercheurs comme Ross Higgins, impliqué dans le mouvement gai montréalais depuis 1975. Le travail de recherche de Higgins depuis les années 1990[29] sur l’histoire du mouvement, du village gai et de ses communautés et de leurs identités fait échos à ceux de Line Chamberland[30]. Pierre Hurteau s’est intéressé au discours sur l’homosexualité dans la société québécoise depuis la fin du 19e siècle[31], alors qu’Irène Demczuk et Frank Remiggi, ont beaucoup fait pour sortir de l’ombre les histoires des communautés gaies et lesbiennes de Montréal depuis les années 1950[32]. Plus récemment, Patrice Corriveau, Virginie Pineault et Dominique Dagenais ont retracé l’histoire d’hommes ayant aimé d’autres hommes face aux tribunaux, ainsi que l’émergence de sociabilités homosexuelles en milieu urbain au Québec[33].

Ces travaux sur l’homosexualité sont historiquement en adéquation avec leur sujet d’étude : ils étudient l’expérience entre partenaires de même sexe via le prisme de l’homosexualité à une époque où ce régime de vérité est en place ou en voie de l’être. En gardant en tête la critique établie plus tôt dans cet article, nous pouvons nous demander : quelles furent les modalités de l’émergence de ces concepts au sein de la société québécoise ? Ancrée dans un cadre atlantique, quelle est la part d’américanité, pour reprendre le fameux terme de Gérard Bouchard[34], dans l’héritage sexuel européen tel qui évolua dans la vallée laurentienne ? Quand pouvons-nous dire que les notions d’orientations sexuelles se sont implantées au Québec ? Une brève comparaison entre les discours judiciaires ou médicaux et ceux de la presse populaire sur les scandales sexuels suffit à illustrer que l’impact de la médicalisation de l’homosexualité fut très tardif dans les mentalités. À ce titre, mes propres recherches  sur le traitement médiatique québécois du scandale d’Oscar Wilde en 1895 ou d’autres scandales subséquents au XXe siècle sont parlantes. Si le vice, la honte, et la décadence morale dominent le discours médiatique, peu ou rien ne se rattache aux idées médicales et au concept d’orientation sexuelle[35]. Les mémoires, la correspondance et les journaux intimes sont aussi des fenêtres intéressantes sur le sujet. Quand Elsa Gidlow et ses amis cherchent à comprendre leurs sentiments au cours des années 1910 à Montréal, les travaux des sexologues ne font que marginalement partie de leurs référents culturels et s’ils le sont c’est surtout parce qu’ils sont en contact avec un étudiant en psychologie de l’Université McGill. Leur compréhension de l’amour entre partenaires de même sexe est beaucoup plus tributaire de la tradition classique héritée de l’antiquité gréco-romaine. Ce détail illustre qu’au début du XXe siècle les explications médicales de l’homosexualité avaient un impact limité sur l’identité des personnes qu’elles concernaient[36]. Cette enquête, encore dans son enfance, mériterait d’être poursuivie et étendue au concept d’hétérosexualité lui-même[37].

Déshétérosexualiser le passé apporterait aussi un éclairage nouveau sur une foule de discours normatifs : manuels scolaires, manuels de bonnes mœurs, manuels sexuels, prescriptions religieuses et morales, codes de conduite régulant la sexualité, règlements institutionnels, etc. L’étude du normatif hors d’un cadre hétéronormatif permet de réinterroger le pourquoi de ces discours, les motivations de l’exclusion et d’évaluer quelles figures de la marginalité sexuelle ou érotique furent utilisées pour renforcer les idéaux valorisés. Les études de la construction du soi, de l’identité culturelle, du genre, mais aussi des interactions sociales s’en trouveraient éclairé sous un jour nouveau.

Dans un contexte nord-américain marqué par un lourd bagage colonial, imaginons un instant ce que pourrait nous apprendre une histoire de la diversité sexuelle sur la période coloniale au Québec, autant sous le régime français que britannique. Philippa Levine et Ann Laura Stoler, ont bien montré l’importance du facteur sexuel dans l’impérialisme européen en Asie[38], ce que Jennifer Spear fait aux États-Unis pour la Louisiane française[39].  Les travaux de Joane Nagel documentent quant à eux le rôle des perceptions liées à la sexualité dans la naissance du racisme et du sexisme moderne chez notre voisin du sud[40]. Qu’est-ce qu’une telle enquête historique nous apprendrait sur l’histoire des Premiers peuples, sur leurs relations avec les Européen.ne.s, sur le racisme, ainsi que sur l’impérialisme et le colonialisme en contexte canadien ou laurentien ? Qu’en est-il de la diversité sexuelle prémoderne le long du Saint-Laurent ? Comment celle-ci devint-elle un enjeu pour l’état colonial, puis québécois ou canadien ? Les coutumes sexuelles des Premiers Peuples, ainsi que l’altérité de leur façon d’organiser les genres et leurs rôles sexuels, fascinèrent les explorateurs, les religieux et les représentants des autorités coloniales. Les relations qu’ils écrivirent, leur correspondance, les textes de loi régissant les relations entre Européen.ne.s et Autochtones, ainsi que la littérature intime en comporte des traces. Par exemple, outre la polygamie et une certaine liberté sexuelle des femmes et des hommes, la bispiritualité en fascine plus d’un. Le Jésuite Jacques Marquette en donne une description dès 1674, tout comme le fera plus tard le Baron de Lahontan, Bacqueville de la Potherie sous le régime français, ou Alexander Henry de la Compagnie de la Baie d’Hudson au XIXe siècle[41]. Si la transformation de l’écosystème fait autant partie de l’entreprise coloniale au Québec que le peuplement ou la conquête du territoire, comment la colonisation de la sexualité ainsi que des rôles genrés y étant associés s’y insère-t-elle ? La résistance aux modèles sexuels européens prit-elle part à une lutte plus large contre le colonialisme? Quel en est l’héritage actuel? Autant de questions qui contribueraient à placer le récit historique national sous un éclairage nouveau, particulièrement à une époque où la représentativité de la diversité et la réconciliation avec les peuples autochtones sont des enjeux sociaux et politiques majeurs.

Homoérotisme, homosociabilité et homoaffectivité : une histoire de l’intimité ?

Une relecture non-hétéronormative du passé québécois est aussi favorable à un projet plus grand que l’histoire de la sexualité. Un projet qui rapproche l’étude de l’érotisme de l’histoire des émotions et pourrait être qualifié d’histoire de l’intimité. Toujours visionnaire malgré toutes les critiques qu’on peut lui adresser, Michel Foucault écrivait en avril 1981 dans De l’amitié comme mode de vie, parut dans la revue gaie française Gai Pied :

Aussi loin que je me souvienne, avoir envie des garçons, c’était avoir envie de relations avec des garçons. Ça a été toujours pour moi quelque chose d’important. Non pas forcément sous la forme du couple, mais comme une question d’existence : comment est-il possible pour des hommes d’être ensemble ? de vivre ensemble, de partager leur temps, leur repas, leur chambre, leurs loisirs, leurs chagrins, leur savoir, leurs confidences ?[42]

Ce questionnement, très émouvant, semble d’une candeur désarmante. Néanmoins, lorsque l’on s’arrête pour considérer la place – déjà marginale – accordée à l’étude des affects entre partenaires de même sexe, l’on se rend vite compte que bien souvent l’étude ne dépasse pas l’examen des actes sexuels directs en eux-mêmes. Bien souvent, l’analyse se base surtout sur l’étude de la répression judiciaire de ces actes en public ou en privé. L’étude d’un érotisme plus large, basé sur l’amitié, l’amour, ou encore la camaraderie – qui ne divisent pas les individus et leurs comportements entre hétéro et homosexualité – est encore peu approfondie. Face à ce constat, trois concepts émergeant au sein de l’histoire de la sexualité – surtout de l’homosexualité – présentent un certain potentiel.

L’emploi du concept d’homoérotisme, qui englobe les possibles érotiques et sexuels entres hommes ou entre femmes, d’homosociabilité, qui réfère aux phénomènes et lieux de socialisation unisexes, ainsi que celui d’homoaffectivité, qui désigne l’amour (ou affection) entre personnes de même sexe, se répandent lentement depuis quelques années dans les études de l’homosexualité et de la sexualité. Ils font échos à l’appel lancé par Alan Bray dans The Friend. Il y dénonce l’appauvrissement conceptuel de l’étude de la sexualité, comprise uniquement en termes de pratiques sexuelles. Bray préconise plutôt d’inclure dans l’analyse les pratiques et les phénomènes affectifs ne résultant pas nécessairement en contacts physiques directs[43]. D’une part, l’approche permet d’éviter de réduire l’expérience affective des partenaires de même sexe à leurs actes sexuels. D’autre part, elle permet de mieux tenir compte des possibles émotionnels entre personnes de même sexe ou de sexes différents. Ainsi pour Bray, il faut aussi historiciser les liens familiaux, l’amour, l’amitié, l’amitié passionnée et les désirs plutôt que la seule sexualité. Il s’agit aussi d’élargir le récit historique pour mieux tenir compte des diverses associations homosociales et relations éthiques possibles entre partenaires de même sexe. Apprentissage, tutelle, compagnonnage et plusieurs autres types de relations homosociales ont pu fournir l’occasion à des relations homoérotiques d’éclore et de s’épanouir. O’Donnell et O’Rourke font aussi la promotion d’une vision élargie de l’histoire de la sexualité, qui inclut l’histoire des affections. Elle devient ainsi une enquête de l’intimité, qui va au-delà de l’étude des pratiques et des classifications sexuelles, pour explorer les façons d’être ensemble et d’exprimer ses sentiments[44].

Par exemple, l’amour et l’amitié ont pu offrir un moyen culturel pour deux partenaires de se dire, de se comprendre et d’expérimenter leurs attachements / attirances réciproques, dans un contexte autrement hostile. D’autant plus que l’époque moderne, puis contemporaine, furent les héritières de la tradition néoplatonicienne qui faisait depuis la Renaissance la promotion de l’amitié passionnée entre deux hommes ou deux femmes[45]. Basé sur l’héritage antique, le néoplatonisme influençait déjà le concept d’amitié passionnée depuis le XIXe siècle à travers la redécouverte des écrits de Platon, de Cicéron, ainsi que d’Anacréon et de Pindare. Le compagnon devenait « un autre soi » par la communion, voire l’union, des âmes de chaque ami au sein de l’amitié. Dans la correspondance de l’époque, ce genre d’amitié est souvent perçu comme la forme la plus élevée et la plus intense d’amour. Georges Rousseau souligne lui aussi dans ses travaux l’importance du rôle de l’amitié passionnée dans l’éclosion de relations homoérotiques pour les hommes occidentaux lettrés ou de l’élite au XVIIIe siècle et bien au-delà. La correspondance tenue entre de tels hommes devient elle-même un espace discursif éroticisé où se déploient leurs relations[46].

Plusieurs études réalisées par des historiennes ont aussi mis en lumière l’importance de l’amitié pour comprendre les relations amoureuses entre femmes jusqu’au tournant du XXe siècle. Un regard qui remédie fort heureusement à l’invisibilisation de l’amour entre femmes, phénomène qui s’explique parce que les récits  sont souvent construits à l’aide de sources médicales, religieuses, ou juridiques, qui ne problématisent que l’acte de pénétration ou d’excitation phallique (sodomie, bestialité, masturbation, adultère hétérosexuel, etc.). Ainsi, à l’aide de journaux intimes, de correspondance et de romans, Lillian Faderman a montré la centralité du thème de l’amitié dans l’expression de l’amour et de l’homoérotisme féminin depuis la Renaissance[47]. Si Faderman rejetait la possibilité de relations sexuelles accompagnant ce type de discours, les avancées de la recherche et la redécouverte de nouveaux journaux intimes – dont ceux d’Anne Lister – laissent désormais penser le contraire. Ainsi, Martha Vicinus retrace entre 1778 et 1928 l’intense affection – ou amour – qui unirent plusieurs femmes entre elles et purent induire l’expression d’un érotisme particulier[48]. Sharon Marcus abonde dans le même sens, tout en soulignant qu’en plus de l’amitié passionnée, d’autres traditions homoérotiques féminines existaient au XIXe siècle. Dans plusieurs « mariages entre femmes », une femme était considérée comme le mari de la seconde, alors que dans un autre type de relations, plus « familiales », une première assumait le rôle social de mère pour la seconde, témoignant de l’influence du modèle familial et marital ambiant dans la façon de structurer les relations entre femmes[49].

Le phénomène de l’amitié passionnée est d’ailleurs brièvement mentionné dans la dernière édition de l’ouvrage de synthèse Canadian Women : A History[50]. D’autres historien.ne.s spécialistes de l’histoire du Canada ou du Québec ont commencé à inclure les concepts d’homoérotisme, d’homoaffectivité et d’homosociabilité dans leur analyse. C’est le cas de Steven Maynard, qui appelle à étudier le potentiel homoérotique des camps de bûcherons et minier – lieux homosociaux s’il en est – de l’Ontario des XIXe et XXe siècles, soulignant au passage l’œillère hétéronormative qui déforme le regard de certains historien.ne.s pour qui la rudesse des hommes des camps est gage d’absence de relations sexuelles ou d’affections de même sexe[51]. Adèle Perry, montre bien que de telles relations étaient possibles dans les camps de Colombie-Britannique à la fin du XIXe siècle, où l’absence de femmes conduisit même à une redéfinition temporaire de la domesticité[52]. Brian Martin souligne l’importance des bûcherons comme figures majeures de la masculinité de la frontière dans la société québécoise à la même époque. Des hommes qui pouvaient toutefois être engagés dans des amitiés passionnées et éprouver parfois des désirs envers leurs compagnons[53], un peu à la façon des coureurs de bois tels que décrits par Carolyn Podruchny[54]. Dans le cas des collèges classiques franco-catholiques québécois, le principe d’homoaffectivité a beaucoup de potentiel puisque les collèges étaient des milieux homosociaux par excellence, ainsi que les héritiers de la tradition classique néoplatonicienne valorisant l’amitié entre camarades. Christine Hudon et Louise Bienvenue, explorent le phénomène au cours du XXe siècle dans leurs plus récents travaux[55]. Les possibilités épistémologiques ouvertes par cette approche demeurent très nombreuses et s’appliquent autant aux liens unissant des partenaires de même sexe que de sexes différents, facilitant un discours inclusif et sorti des catégorisations actuelles de la sexualité.

Conclusion : le potentiel engagé du passé

Une histoire des possibles sexuels, affectifs et érotiques, libérée des catégorisations et des idées reçues actuelles et de l’hétéronormativité, présente un grand potentiel. Elle permettrait d’historiciser de façon plus approfondie le passé sexuel québécois, ainsi que d’apporter un éclairage différent sur plusieurs phénomènes politiques, sociaux et culturels ayant marqué la population. Elle favoriserait aussi la composition d’un récit historique québécois ouvert à la pluralité des relations possibles entre partenaires de même sexe ou non. Ce qu’il y a de plus fascinant pour le chercheur en histoire de la sexualité, c’est que plus le regard se porte sur des époques lointaines, plus l’altérité de celles-ci s’affirme, sans jamais devenir complètement étrangères. Les sexualités prémodernes – ou préindustrielles – sont encore moins étudiées que la période postérieure à 1850 au sein de l’historiographie canadienne ou québécoise. Cette tendance est source d’un grand nombre de possibilités, dont quelques-unes ont été évoquées au passage dans cet article.

Enfin, favoriser l’histoire de la sexualité au Québec présente le potentiel de construire une narration du passé qui est inclusive et représentative de sa diversité. Parlant ici d’un point de vue – je l’avoue – très personnel, une narration inclusive de la diversité sexuelle du passé représente un engagement social. Sans être présentiste, le présent est un des buts d’une telle histoire et reflète les luttes et les enjeux sociaux contemporains. Joan Wallach Scott affirmait en 2004 : «The point of looking to the past was to destabilize the present, to challenge patriarchal institutions and ways that legitimated themselves as natural[56].» Ce principe féministe est idéaliste, mais puissant. Il s’inscrit à mon sens en continuité avec les luttes du mouvement de libération des communautés LGBTQIA2* contre l’hétéronormativité, au-delà de la simple tolérance. Les historien.ne.s ont la possibilité de contribuer depuis leur champ d’expertise à l’élaboration au sein de l’espace public d’un discours progressif ouvert aux échanges, ainsi que plus inclusif et représentatif de la diversité présente ou passée. Ils et elles ont, dans une certaine mesure, la responsabilité de jouer ce rôle.

La question de la représentation de la diversité sexuelle – sans parler de la diversité de genre – dans l’espace public demeure encore aujourd’hui une question vitale. Ceci est particulièrement important pour une communauté dont les membres, surtout les plus jeunes, sont toujours plus à risque de vivre des problèmes de santé mentale, de discrimination, de harcèlement, ou d’isolement. Pas plus tard qu’en 2013, on nous apprenait que les jeunes LGBTQIA2* étaient plus à risque d’être porté.e.s au suicide, alors qu’en 2014 des études canadiennes concluaient que dans certaines régions urbaines comme Toronto, entre 25 et 40 % des jeunes de la rue s’identifiaient comme LGBTQIA2*[57]. Plus près des historien.ne.s, l’hétéronormativité historique impose le silence et exclut la diversité sexuelle du passé. Or, le silence et l’exclusion de la mémoire sont des violences et des oppressions ordinaires et contribuent indirectement au problème. Néanmoins, les choses changent et laissent penser à une ouverture croissante face aux études de la diversité sexuelle – ou du moins d’une sexualité inclusive de la diversité. Outre les exemples tirés de l’historiographie québécoise évoqués plus tôt, à l’heure où l’Université McGill a tenu en octobre 2018 le premier mois d’histoire LGBTQIA2* dans une université canadienne, plusieurs institutions d’enseignement supérieur québécoises offrent même des cours d’histoire de la sexualité ou de l’homosexualité, ou encore de théorie queer. Ce fait, conjugué à l’engouement croissant dont semble jouir l’histoire de la diversité sexuelle et de genre en Occident depuis quelques années porte à l’espoir. L’histoire de la sexualité – et de sa diversité – continuera à s’épanouir.

Past, and Present.

We’re here, we’re queer, and we’re fabulous.


Pour en savoir plus

CLARK, Ana, Desire : A History of European Sexuality, New York, Routledge, 2008.

CORBIN, Alain, L’harmonie des plaisirs : les manières de jouir du siècle des Lumières à l’avènement de la sexologie, Paris, Perrin, 2008.

CROMPTON, Louis. Homosexuality and Civilization, Cambridge MA, Harvard University Press, 2003.

DUBERMAN, M.B., Martha Vicinus and Georges Chauncey (dir.). Hidden from History : Reclaiming the Gay and Lesbian Past, Meridian, Penguin Books, 1989.

FOUCAULT, Michel. Histoire de la sexualité : L’Usage des plaisirs, Paris, Gallimard, 1984 ; Histoire de la sexualité : Le Souci de soi, Paris, Gallimard, 1984.

HAGGERTY, George. Men in Love : Masculinity and Sexuality in the Eighteenth Century, New York, Columbia University Press, 1999.

KORINEK, Valerie J. Prairie Fairies : A History of Queer Communities and People in Western Canada, 1930-1985, Toronto, University of Toronto Press, 2018.

MUCHEMBLED, Robert, L’orgasme et l’Occident : Une histoire du plaisir du XVIe siècle à nos jours, Paris, Éditions du Seuil, 2005.

PEAKMAN, Julie. A cultural history of sexuality, 6 volumes, New York, Berg, 2011.

TRUMBACH, Randolph. Sex and the Gender Revolution (Chicago & London: The University of Chicago Press, 1998).

WEEKS, Jeffrey. Making Sexual History, Cambridge, Polity Press, 2000.


[1] Libby Brooks. « Scotland to embed LBGTI teaching across curriculum  », The Guardian, 9 novembre 2018 [En ligne] https://www.theguardian.com/education/2018/nov/09/scotland-first-country-approve-lgbti-school-lessons (page consultée le 1er février 2019)

[2] Un exemple de bonne synthèse pour le ou la chercheur.euse voulant se familiariser avec l’état de la question : Julie Peakman et al.. A Cultural History of Sexuality, Oxford, Berg Publishers, 2011. S’étalant sur six volumes, la série couvre plus de 2800 ans d’histoire occidentale, de l’Antiquité jusqu’au 20e siècle. L’ensemble est accessible et représentatif d’une approche féministe intersectionelle de l’histoire et comporte une imposante bibliographie.

[3] « Définitions sur la diversité sexuelle et de genre », Interligne [En ligne] http://interligne.co/wp-content/uploads/2014/04/Definitions-diversite-sexuelle-et-de-genre.pdf

[4] Idem.

[5] Citées dans : Tom Warner. Never going back : A History of Queer Activism in Canada, Toronto, University of Toronto Press, 2002. pp.10-13.

[6] Michael Warner, Fear of a Queer Planet : Queer Politics and Social Theory, Minneapolis University of Minnesota Press, 1993.

[7] Idem. Je souligne.

[8] Eve Kosofsky Sedgwick, Epistemology of the Closet, Berkeley, University of California Press, 1990, p. 43.

[9] Ibid., p. 40.

[10] David M. Halperin, How to do the History of Homosexuality, Chicago, University of Chicago Press, 2004, p. 100.

[11] Pour plus de détails, voir : Estelle B. Freedman et John D’Emilio, Intimate Matters : A History of Sexuality in America, New York, Harper & Row, 1988.

[12] Thomas A. Foster, Sex and the Eighteenth-Century Man : Massachussetts and the History of Sexuality in America, Boston, Beacon Press, 2006.

[13] Julie Peakman (dir.). A Cultural History of Sexuality : In the Enlightenment, Oxford, Berg, 2011, p. 33.

[14] Jonathan Ned Katz, The Invention of Heterosexuality, New York, Penguin Books, 1995, p. 14.

[15] Ibid., p. 57.

[16] Harry Oosterhuis soutient une thèse similaire dans Stepchildren of Nature : Krafft-Ebing, Psychiatry, and the Making of Sexual Identity, Chicago, University of Chicago Press, 2000.

[17] Jonathan Ned Katz, The Invention…, p. 83.

[18] Pour plus de détails, voir : Harry G. Cocks, Nameless Offences?: Homosexual Desire in the Nineteenth Century,London, I.B. Taurus, 2003; Sean Brady, Masculinity and Male Homosexuality in Britain, 1861-1913,Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2005.

[19] Estelle B. Freedman et John D’Emilio, Intimate Matters.

[20] George Chauncey Jr., Gay New York?: Gender, Urban Culture, and the Making of the Gay Male World, 1890-1940, New York, Basic Books, 1994.

[21] Allan Bérubé, Coming Out Under Fire : The History of Gay Men and Women in World War II, Chapel Hill, University of North-Carolina Press, 2010.

[22] Gary Kinsman, The Regulation of Desire, Montréal, Black Rose Books, 1987, p. 109.

[23] Michel Foucault, Histoire de la sexualité 1, La Volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, pp. 58-59.

[24] Voir note 18.

[25] Thomas A. Foster (dir.), Long Before Stonewall : Histories of Same-sex Sexuality in Early America, New York, NYU Press, 2007, p. 8.

[26] Julie Peakman (dir.), Sexual Perversions, 1670-1800, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2009, pp. 42-43.

[27] Robert A. Nye (dir..), Sexuality, Oxford, Oxford University Press, 1999, p. 10.

[28] Eve Kosofsky Sedgwick, Episthemology..., p. 43.

[29] Ross Higgins, De la clandestinité à l’affirmation : pour une histoire de la communauté gaie montréalaise, Montréal, Commeau et Nadeau, 1999. Les travaux de Higgins se conjuguent avec ses efforts pour sauvegarder la mémoire LGBTQIAS*, entraînant en 1985 la fondation des Archives Gaies du Québec (AGQ) ; Ross Higgins etvec Line Chamberland, « Mixed messages: lesbians, gay men and the yellow press in Quebec and Ontario during the 1950s and 1960s »  dans Ian McKay (dir.), The Challenge of Modernity: a Reader on Post-Confederation Canada. Toronto, McGraw-Hill Ryerson, 1992, p. 422-431.

[30] Line Chamberland, Mémoires lesbiennes, Montréal, Les Éditions Remue-Ménage, 1996.

[31] Pierre Hurteau, « L’homosexualité masculine et les discours sur le sexe en contexte montréalais de la fin du XIXe siècle jusqu’à la Révolution tranquille », Histoire sociale / Social History, vol. XXVI, no. 51 (mai 1993), pp. 41-66.

[32] Irène Demczuk et Frank Remiggi (dir.), Sortir de l’ombre les histoires des communautés lesbienne et gaie de Montréal, Montréal, vlb éditeur, 1998.

[33] Patrice Corriveau, La répression des homosexuels au Québec et en France : Du bûcher à la mairie, Montréal, Septentrion, 2006 ;  Dominique Dagenais, Culture urbaine et homosexualité : Pratiques et identités homosexuelles à Montréal, 1880-1929, thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal, 2017. Virginie Pineault, Les Clubs de « Manches en Lignes » et du Dr Geoffrion : sociabilités gaies, discours publics et répression dans la région de Montréal, 1860-1910, mémoire de maîtrise, Université de Montréal, 2012.

[34] Gérard Bouchard, Genèse des nations et cultures du Nouveau Monde. Essai d’histoire comparée, Montréal, Boréal, 2000.

[35] Voir par exemple « Anglais et Français », La Patrie, 29 avril 1895, p. 2. ou encore « Wilde and Taylor Sentenced », Quebec Morning Chronicle, 27 mai 1895, p. 1.

[36] Elsa Gidlow, Elsa, I Come with my Songs : The Autobiography of Elsa Gidlow, San Francisco, Booklegger Press, 1986.

[37] Une amorce de ce projet a été présentée lors d’un segment radio à l’UQAM : « L’homosexualité et l’hétérosexualité : Des inventions ? » Segment radio, Histoire de passer le temps, pour Choc.ca le 23 novembre 2018. Disponible en ligne via http://www.choq.ca/episodes/histoire-de-passer-le-temps/emission-du-23-novembre-2018/ ; et a fait l’objet d’une présentation plus poussée à l’Université McGill le 15 février 2019 sous le titre « The Effeminate, the Degenerate, and the Psychopath : Toward a History of Modern Sexual Identities in Quebec (1895-1959) ».

[38] Philippa Levine, Prostitution, Race and Politics?: Policing Venereal Diseases in the British Empire,New York et London, Routledge, 2003; Ann Laura Stoler, Carnal Knowledge and Imperial Power?: Race and the Intimate Colonial Rule, Berkeley et Los Angeles, University of California Press, 2002.

[39] Jennifer Spear, « Indian Women, French Women, and the Regulation of Sex in French Louisiana » dans Elizabeth Reis (dir.). American Sexual Histories, 2e edition, New York, Blackwell, 2012, pp. 56-72

[40] Joane Nagel, Race, Ethnicity, and Sexuality?: Intimate Intersections, Forbidden Frontiers, Oxford, Oxford University Press, 2003.

[41] Pour le Père Marquette, voir par exemple les Relations Jésuites, volume 59, 1674 ; Pour le Baron de Lahontan, voir son Nouveaux voyages de M. le Baron de Lahontan dans l’Amérique Septentrionale, La Haye, Les Frères l’Honoré, 1703. ; Pour Bacqueville de la Potherie, voir Histoire de l’Amérique Septentrionale, Paris, Nyon Fils, 1753. ; Pour Alexander Henry voir  Travels and adventures in Canada and the Indian territories, between the years 1760 and 1776, Londres, I. Riley, 1809. À noter qu’il ne s’agit pas ici d’une liste exhaustive.

[42] Michel Foucault, « De l’amitié comme mode de vie », Gai Pied, no 25 (avril 1981), pp. 38-39

[43] Allan Bray, The Friend, Chicago, University of Chicago Press, 2006.

[44] Katherine O’Donnell et Michael O’Rourke (dir.), Love, Sex, Intimacy, and Friendship Between Men, 1550-1800,Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2003.

[45] George Haggerty, « Male Love and Friendship in the Eighteenth Century » dans Katherine O’Donnell et Michael O’Rourke (dir.). Love, sex, intimacy, and friendship…, pp. 71-76.

[46] Allan Bray, «A Traditional Rite for Blessing Friendship » dans Katherine O’donnell et Michael O’Rourke (dir.), Love, sex, intimacy, and friendship…, p. 94.

[47] Lillian Faderman, Surpassing the Love of Men : Romantic Friendships and Love between Women from the Renaissance to the Present, New York, William Morrow, 1981.

[48] Martha Vicinus, Intimate Friends?: Women Who Loved Women, 1778-1928, Chicago, University of Chicago Press, 2004.

[49] Sharon Marcus, Between Women?: Friendship, Desire, and Marriage in Victorian England, Princeton, Princeton University Press, 2009.

[50] Gail C. Brandt et al., Canadian Women?: A History, Toronto, Nelson, 2011.

[51] Steven Maynard, « Rough Work and Rugged Men?: The Social Construction of Masculinity in Working-Class History », Labour / Le Travail, vol. 23 (printemps 1989), pp. 159-169.

[52] Adele Perry, On the Edge of Empire?: Gender, Race, and the Making of British Columbia, 1849-1871, Toronto, University of Toronto Press, 2001.

[53] Brian Martin, « Bûcherons : Forest Fraternity and Frontier Masculinity in Quebec », Québec Studies, no 56 (hiver 2013), pp. 85-105.

[54] Carolyn Produchny, Making the Voyageur World. Travelers and Traders in the North American Fur Trade, Lincoln, University of Nebraska Press, 2006.

[55] Christine Hudon et Louise Bienvenue, « Entre franche camaraderie et amours socratiques, l’espace trouble et ténu des amitiés masculines dans les collèges classiques (1870-1960) », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 57, no 4 (2004), pp. 481-507. L’article fut repris dans Louise Bienvenue, Christine Hudon et Ollivier Hubert, Le collège classique pour garçons, Montréal, Fides, 2014.

[56] Joan Wallach Scott, « Feminism’s History», Journal of Women’s History, vol. 16 (été 2004), p. 21.

[57] Une étude sur le sujet est disponible en ligne, co-écrite par Line Chamberland et Isabelle Bédard : « Les jeunes des minorités sexuelles – Le risque suicidaire », Revue du CREMIS, vol. 6, no1 (printemps 2013), [En ligne] http://www.cremis.ca/revue-du-cremis/recherche/les-jeunes-des-minorites-sexuelles-le-risque-suicidaire ; Alex Abramovitch, Young, Queer and Trans, Homeless and Besieged : A Critical Action Research Study of How Policy and Culture Create Oppressive Conditions for LGBTQ Youth in Toronto’s Shelter System, thèse de doctorat, University of Toronto, 2014. ; S. Gaetz, B. O’Grady et al. Without a Home : The National Youth Homelessness Survey, Toronto, Candian Observatory on Homelessness Press, 2016.