Hommage à Jean-Pierre Kesteman, l’historien

Publié le 8 novembre 2016

Par Karl Bourassa, historien-consultant

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Cantons-de-l'Est. Crédit : Pascal Scallon-Chouinard.

Cantons-de-l’Est. Crédit : Pascal Scallon-Chouinard.

Je ne connaissais pas personnellement Jean-Pierre Kesteman[1]. Il ne m’a pas enseigné, je ne lui ai même jamais parlé. Cependant, étant moi aussi historien des Cantons-de-l’Est, je l’ai connu à travers ses écrits historiques. Durant mes études, j’ai eu à le lire très souvent et aujourd’hui pour mon travail, je m’y réfère à chaque nouveau projet de recherche. Les travaux de M. Kesteman ne sont pas seulement des lectures obligées pour quiconque s’intéresse à l’histoire des Cantons-de-l’Est, ce sont aussi des lectures agréables et bien racontées.

Il existe aujourd’hui une quantité importante d’écrits historiques de qualité à propos de l’histoire des Cantons-de-l’Est. Avant M. Kesteman par contre, l’historiographie de la région était beaucoup plus mince tant en quantité qu’en qualité. Il y avait certes les vieux ouvrages datant de la fin du XIXe siècle[2], dont la méthodologie est discutable. Il y avait aussi les écrits de l’abbé Gravel, presque toujours d’un point de vue religieux et ceux de Maurice O’Bready. Cependant, tous deux se basaient sur les prémisses des auteurs du XIXe siècle. Dans cette optique, Jean-Pierre Kesteman, sans être un pionnier à proprement parler, peut être considéré comme l’historien qui a transformé notre compréhension de cette histoire. Il est donc devenu par le fait même une référence. Si tous les étudiants de l’histoire des Cantons-de-l’Est ont sans doute lu M. Kesteman, ils n’ont pas tous lu Gravel ou O’Bready.

Jean-Pierre Kesteman a écrit sur nombre d’aspects de l’histoire de la région, mais trois travaux majeurs sont à retenir et sont encore aujourd’hui des références en la matière. Premièrement, en 1986, sa thèse de doctorat à propos du développement industriel de la région et de sa bourgeoisie au XIXe siècle en démontre les particularités par rapport au reste du Québec[3]. Deuxièmement, il réalise en 1998, avec l’aide de deux collègues, la référence, la bible dans le domaine : Histoire des Cantons-de-l’Est[4]. C’est sans contredit sa plus importante contribution. Finalement, son Histoire de Sherbrooke[5] en quatre tomes parus entre 2000 et 2002 est l’apport le plus important à l’histoire de Sherbrooke, ville reine de la région.

En revanche, il est important de mentionner que Jean-Pierre Kesteman n’a pas écrit uniquement sur les Cantons-de-l’Est du point de vue de Sherbrooke. Il a su prendre le pouls de la région à partir de différents points de vue, autant celui de plus petites villes, comme Coaticook, que celui de peuples minoritaires isolés comme les Écossais gaéliques.

Jean-Pierre Kesteman. Crédit : Université de Sherbrooke.

Jean-Pierre Kesteman. Crédit : Université de Sherbrooke.

C’est aussi grâce à Jean-Pierre Kesteman qu’il a été possible de détruire certains mythes historiques difficiles à défaire. Il s’est attaqué à certains mythes fondateurs de la région. Entre autres, il a démontré que la région n’a pas été colonisée, dès le départ, seulement par des loyalistes, mais plutôt par des colons américains à la recherche de terres à bas prix. C’est une découverte majeure pour l’histoire régionale. Pour finir, je dirai que c’est une perte majeure pour l’ensemble de la communauté historienne qui perd un passionné, mais aussi un scientifique. Sa contribution est sans égale pour l’histoire des Cantons-de-l’Est et ses écrits resteront longtemps une référence.

Pour en savoir plus

KESTEMAN, Jean-Pierre. «Les premiers journaux du district de Saint-François (1823-1845)». Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 31, n° 2 (1977), p. 239-253.

KESTEMAN, Jean-Pierre. «Les travailleurs à la construction du chemin de fer dans la région de Sherbrooke (1851- 1853)». Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 31, n° 4 (1978), p. 525-545.

KESTEMAN, Jean-Pierre. «La Condition urbaine vue sous l’angle de la conjoncture économique : Sherbrooke, 1875 à 1914». Revue d’histoire urbaine, vol. 12, n° 1 (1983), p. 11-28.

KESTEMAN, Jean-Pierre. Les débuts du canton d’Ascot et de la ville de Sherbrooke (1792-1818). Sherbrooke, Université de Sherbrooke, 1984, 25 p.

KESTEMAN, Jean-Pierre. Une bourgeoisie et son espace : industrialisation et développement du capitalisme dans le district de Saint-François (Québec), 1823- 1879. Thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal, 1985.

KESTEMAN, Jean-Pierre. Histoire de Lac-Mégantic. Lac-Mégantic, Ville de Lac-Mégantic, 1985, 349 p.

KESTEMAN, Jean-Pierre. La ville électrique : un siècle d’électricité à Sherbrooke, 1880-1998. Sherbrooke, Olivier, 1988, 234 p.

KESTEMAN, Jean-Pierre, Peter SOUTHAM et Diane SAINT-PIERRE. Histoire des Cantons de l’Est. Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 1998, 829 p.

KESTEMAN, Jean-Pierre. Les Écossais de langue gaélique des Cantons de l’Est : Ross, Oscar Dhu, Morrison et les autres… Sherbrooke, Éditions GGC, 2000, coll. «Patrimoine», 88 p.

KESTEMAN, Jean-Pierre. Un débat de l’Université : conscience et méthode de la crise. Sherbrooke, Éditions du CRP, 2000, 7 fascicules.

KESTEMAN, Jean-Pierre. «Au pays des « sectes ». La difficile percée de l’anglicanisme dans le comté de Stanstead au XIXe siècle». Études d’histoire religieuse, vol. 66 (2000), p. 9-28

KESTEMAN, Jean-Pierre. Histoire de Sherbrooke. Sherbrooke, Éditions GGC, 2000-2002, coll. « Patrimoine », 4 tomes.

KESTEMAN, Jean-Pierre, en collaboration avec BOISCLAIR, Guy et Jean-Marc KIROUAC. Histoire du syndicalisme agricole au Québec (UCC-UPA), 1924-2004. Montréal, Boréal, 2004 (1984), 464 p.

KESTEMAN, Jean-Pierre. Tout au long de la rivière Magog. Se promener du lac Memphrémagog à la Cité des rivières. Sherbrooke, Éditions GGC, 2004, coll. «Patrimoine», 243 p.

KESTEMAN, Jean-Pierre. «L’un, le multiple et le complexe. L’université et la transdisciplinarité». A contrario, vol. 2, no 1 (2004), p. 89-108.

KESTEMAN, Jean-Pierre. Les chars électriques : histoire du tramway à Sherbrooke, 1895-1932. Sherbrooke, Éditions GGC, 2007, coll. «Patrimoine», 2007), 170 p.

KESTEMAN, Jean-Pierre. «Ruralité et mondialisation dans les Cantons-de-l’Est du Québec. Le regard de l’historien». Revue d’études des Cantons de l’Est, no 29-30 (automne 2006 et printemps 2007), p. 5-18.

KESTEMAN, Jean-Pierre. «Séjourner et repartir. Mobilité géographique, rééquilibrages sociaux et culturels dans une région du Québec : le cas des Cantons-de-l’Est aux XIXe et XXe siècles». Histoire Québec, vol. 18, no 1 (2012), p. 8-17.

KESTEMAN, Jean-Pierre, Monique NADEAU-SAUMIER et Jean-Pierre PELLETIER. «MRC de Coaticook». Continuité, n° 140 (2014), p. 10-19.


[1] L’historien Jean-Pierre Kesteman est décédé le 26 octobre 2016 à l’âge de 77 ans.

[2] Notamment les travaux de C. M. Day, de B. F. Hubbard et de L. S. Channell, tous datant de la seconde moitié du XIXe siècle.

[3] Jean-Pierre Kesteman, Une bourgeoisie et son espace : industrialisation et développement du capitalisme dans le district de Saint-François (Québec), 1823- 1879, thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal, 1985.

[4] Jean-Pierre Kesteman, Peter Southam et Diane Saint-Pierre, Histoire des Cantons de l’Est, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 1998, 829 p.

[5] Jean-Pierre Kesteman, Histoire de Sherbrooke, Sherbrooke, GGC, 2000-2002, coll. «Patrimoine», 4 t.