La contribution canadienne à la démocratisation du Mexique : une entrevue de Maurice Demers avec Jean-Pierre Kingsley à propos du processus électoral en 2012

Publié le 27 juillet 2012

Maurice Demers, Université de Sherbrooke

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Jean-Pierre Kingsley

Encore une fois, le résultat des élections présidentielles au Mexique est contesté. Il faut dire que le processus de démocratisation du pays est encore jeune et fragile. Pendant près de 70 ans, le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) a gouverné ce pays. Un allié des États-Unis, bénéficiant d’une économie florissante de la fin des années 1940 au début des années 1970, le Mexique a longtemps été gouverné par un parti politique qui dominait tous les leviers politiques et socioéconomiques du pays; une dictature parfaite diront plusieurs. L’élection de 1976 fait tomber les prétentions démocratiques du régime, car José López Portillo (PRI) est élu avec près de 92 % des voix, étant le seul candidat dont le nom figurait sur les bulletins de vote… Cette fâcheuse situation incite le parti au pouvoir à lancer un processus de démocratisation en 1977, afin de mieux intégrer les partis d’opposition dans la démarche électorale. C’est la première phase de l’ouverture démocratique. En 1988, alors que le candidat de la coalition de gauche semble sur le point d’emporter l’élection présidentielle, le système qui comptabilise les votes flanche… et fait ressortir une tendance complètement différente lorsqu’il reprend du service trois heures plus tard. L’élection de Carlos Salinas de Gortari (PRI) est entachée par les irrégularités du processus électoral. On décide donc de créer un institut indépendant pour gérer les élections, l’Instituto Federal Electoral (IFE), afin d’approfondir les procédures de réformes démocratiques. À terme, ces dernières permettront aux partis d’opposition d’obtenir une majorité de députés au Congrès (en 1997) et au candidat du Partido Acción Nacional (PAN), Vicente Fox, de ravir la présidence au PRI en 2000. Mais le virage démocratique du Mexique est loin de se terminer avec la perte de pouvoir du PRI.

Invité par des collègues travaillant pour l’Institut Fédéral électoral (IFE) mexicain, je me suis rendu au Mexique pour assister au processus électoral de 2012 en tant qu’observateur international. Lors des journées d’information organisées par l’IFE pour les observateurs étrangers, Jean-Pierre Kingsley, directeur général des élections du Canada de 1990 à 2006, a présenté une communication concernant le processus de réformes électorales au Mexique entrepris depuis le début des années 1990. Il révélait pour la première fois la collaboration étroite du Canada à l’élaboration du système actuel. Je me suis entretenu avec M. Kingsley pour en savoir plus sur la contribution canadienne à ce processus d’amélioration du système électoral mexicain. M. Kingsley, qui a reçu du Président Fox, en 2006, la médaille de l’aigle d’or aztèque, le plus grand honneur décerné à un étranger par le Mexique, m’a aussi fait part de ses impressions sur le processus électoral de 2012.

  • Vous avez présenté une communication très instructive à l’occasion du processus électoral de 2012 dans ce pays. À quel titre et pour quelles raisons la direction de l’IFE vous a-t-elle invité à Mexico?

La direction m’a invité en tant que personne qu’elle connait très bien depuis 1992, comme une personne qui a participé très activement à l’élaboration du système électoral mexicain et en qui elle a toujours eu une grande confiance. Je suis d’ailleurs invité aux élections tous les 3 ans. Depuis l’élection de 1994, j’ai aussi participé à des symposiums à plusieurs occasions; il faut dire que j’ai une relation très amicale avec les différentes personnes qui ont été présidents et conseillers de l’Institut fédéral électoral (IFE).

  • Comment ce contact s’est-il institué?

Au printemps de 1992, j’ai été invité par le Federal Electoral Commission des États-Unis qui organisait une petite conférence sur les différents systèmes électoraux dans la ville de Savannah (Géorgie); une cinquantaine de représentants de différents États avaient été invités. Fernando Franco, juge de la cour suprême au Mexique, qui à l’époque était juge-président de ce qui s’appelait le Tribunal fédéral électoral (TRIFE), était de ceux-là. Au début des années 1990, le Mexique était en pleine réforme électorale (et cherchait à mieux connaître les systèmes étrangers). Or, comme les élections aux États-Unis sont gérées par les 50 états de façon autonome – les 1000 comtés ont des lois qui peuvent être différentes –, les Mexicains ne pouvaient pas trop se fier au système américain pour leur réforme. Le système canadien devenait donc un cas intéressant pour M. Franco. Les Américains étaient toujours intéressés à entendre ce qui se passait chez leurs voisins et c’est pour quoi ils ont invité ce Mexicain, Fernando Franco, et ce pourquoi ils m’ont aussi invité. Ils avaient une curiosité polie à propos du système canadien, moins pour le système mexicain, mais ils voulaient que l’on échange de l’information. Quand nous avons eu terminé, M. Franco et moi sommes allés nous promener le long de la rivière. On a établi une certaine relation et puis il m’a dit qu’il aimerait ça me rappeler.

  • Et que s’est-il passé après ce premier contact? Le Canada a-t-il joué un rôle dans l’approfondissement de la démocratisation du processus électoral au Mexique?

Carlos Salinas de Gortari

Il faut dire que les Mexicains cherchaient à connaitre qui avait le meilleur système électoral au monde. Ils voulaient former un partenariat pour élaborer un système qui dépasserait ce système-là; c’était leur objectif. Ils devaient surmonter l’élection de 1988, dont le résultat avait été, de toutes évidences, falsifié. Cuauhtémoc Cardenas (candidat de la gauche en 1988) était largement en avance alors que l’on effectuait le décompte; on a interrompu celui-ci pour un problème technique et, tout d’un coup, quand le décompte a repris trois heures plus tard, il était perdant (Carlos Salinas de Gortari, du PRI, a remporté l’élection). Tout le monde a alors compris ce qui s’était passé. Les membres les plus éclairés du PRI (qui formait le gouvernement à l’époque) se disaient qu’il fallait absolument nettoyer le système électoral, parce qu’autrement, ils allaient perdre la face sur la scène internationale. Donc,  ils nous ont invités à collaborer à ce processus et Fernando a étudié le système électoral canadien et la démocratie qui en résulte. C’est peut-être un peu vantard de le dire, mais le Canada est vraiment exemplaire sur ce plan-là. On a le droit de se plaindre de notre démocratie, mais sur le plan international c’est quelque chose qui se présente excessivement bien et qui est très bien vu à travers le monde. Alors, Fernando m’a dit : « écoute, on aimerait envoyer une délégation chez vous. Quatre membres de mon tribunal et quatre cadres supérieurs de l’Instituto electoral federal. » Suite à cette visite, j’ai reçu un appel comme quoi l’on voulait établir un partenariat plus formel.

Fernando Franco voulait aussi collaborer avec les Américains, même si les Mexicains avaient compris que ces derniers n’avaient pas de système électoral centralisé – ils l’avaient bien vu quand on était à Savannah. Les Mexicains sont des gens extrêmement savants, ce sont des gens qui étudient les choses en profondeur. Ils ont des gens qui sont formés aux plus grandes universités à travers le monde. C’est comme ça depuis des générations. Mais ils voulaient quand même voir des Américains là. Donc ils ont pensé inviter la International Foundation for Electoral System (IFES).   Coïncidence : j’étais sur le conseil d’administration du IFES, organisme que j’ai dirigé en 2007. Alors, on a fait des séries de conférences de trois ou quatre jours, où les trois organismes se rencontraient. On épluchait chaque sujet électoral : le bulletin de vote,le registre électoral, les contrôles financiers, etc. Ces rencontres ont eu lieu tous les deux ou trois mois, durant une bonne année. Comme les Américains déléguaient chaque fois une personne différente, ils n’avaient jamais la même personne qui venait du même organisme électoral – ils étaient obligés d’aller piger à différents endroits : en Californie pour un sujet, à New York pour un autre et ainsi de suite. Leurs présentations n’avaient pas de fil conducteur, ce qui n’était pas pour aider les Mexicains. Mais il était important pour les Mexicains qu’ils soient là, car ils savaient très bien que le gouvernement américain avait l’œil sur ce qui se passait avec le système politique au Mexique.

  • Est-ce que l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) a eu une influence importante sur ce processus de démocratisation au début des années 1990?

Le Mexique s’était engagé, si je me souviens bien, à démocratiser le pays et à faire en sorte que le système électoral satisfasse aux normes internationales. Il était donc important que les Américains soient des interlocuteurs de ce processus. Mais, entre nous, le Canada était le partenaire avec lequel ils avaient de vrais échanges à propos de l’amélioration de leur système. Nous avons donc collaboré avec ce processus de démocratisation du système électoral; mais on n’a pas touché à ce que font les députés une fois qu’ils sont élus. La démocratie parlementaire, on n’a pas touché à ça non plus. Ce n’était pas à nous de décider… C’est la raison pour laquelle je parle de démocratie électorale.

La série de rencontres organisées au Canada, aux États-Unis et au Mexique a contribué à réformer le système à temps pour l’élection présidentielle de 1994; j’ai toujours considéré que cette élection a été un tournant pour le Mexique. C’était une élection libre, même si ça n’a pas changé le gouvernement à l’époque (je pense que le peuple n’était pas prêt). 

Il y avait deux grands domaines qu’ils leur restaient à corriger : l’accès aux médias et le contrôle des dépenses électorales. En ce qui a trait aux techniques électorales, ils avaient monté un système impeccable ou à-peu-près. Ils avaient d’abord créé un registre électoral des électeurs (ce qu’ils appellent le padrón electoral)  au coût d’un milliard de dollars américains! C’était l’équivalent de 34 000 nouvelles écoles!   Je me souviens très bien qu’Arturo Núñez Jiménez était directeur de l’IFE à l’époque. C’est ce même Arturo, soit dit en passant, qui vient d’être élu gouverneur de l’État de Tabasco représentant le Partido de la Revolución Democrática (PRD). Je l’ai appelé pour le féliciter. C’est lui, donc, qui était directeur exécutif à l’époque; Fernando Franco et lui ont élaboré le système électoral et le tribunal électoral mexicain. Quand on parle de tribunal là-bas, seulement le tribunal électoral, on parle d’au-dessus de 500 personnes qui ne font qu’administrer la justice électorale à cœur de jour. Ce ne sont pas des emplois temporaires. Vous imaginez, nous qui n’avons personne qui fait ça pour gagner sa vie tous les jours. On a le commissaire aux élections, mais ce n’est pas un système de cours ça. Ce n’est pas un système de contestation pour demander un recomptage, etc. 

Après l’élection de 1994, on a réalisé que sur le plan technique on avait bien réussi, mais que pour avoir une élection vraiment équitable il valait mieux contrôler l’accès aux médias et baliser les dépenses électorales. C’est donc après 1994 que l’on a introduit des mesures pour corriger cela, à temps pour l’élection de 1997 (qui n’était pas présidentielle). C’est aussi à ce moment que l’on a fait la réforme et que le Tribunal Federal Electoral (TFE) est devenu le Tribunal Electoral del Poder Judicial de la Federación (TEPJF). Donc, c’est devenu un pouvoir électoral qui fait partie du système de cours avec lequel les Mexicains sont très familiers; cela lui a donné une allure plus professionnelle.

Entre temps, quand les Mexicains voulaient perfectionner leur système pour permettre, par exemple, aux citoyens vivant à l’étranger de voter, le Canada était impliqué automatiquement; chaque fois qu’un nouveau sujet était abordé, on était automatiquement invité. À un moment donné, Arturo Núñez m’a demandé de lui donner une copie de tous les formulaires d’Élections Canada. Je lui ai dit, il y en a plus de 400… Un an après, il me présente un livre contenant une version mexicaine de tous nos formulaires; ils avaient rebâti le schéma de notre système électoral (comment rapporte-t-on les dépenses, etc.).

  • Après toutes ces réformes, comment le système électoral mexicain se comparait-il avec le système canadien?

La grande différence entre les systèmes c’est que le nôtre est foncièrement basé sur une grande confiance dans l’électeur, avec des vérifications qui s’imposent, mais des vérifications subtiles tout de même. Les Mexicains ne pouvaient pas accepter cela, voilà pourquoi ils ont inventé la fameuse carte électorale qui est à la base de leur registre. Cette carte comporte leur photo, leur signature, leurs empreintes digitales et un code alphanumérique de dix caractères. En plus de ça, la carte comporte les dates des élections; une fois que l’on a voté, la carte est indentée. De plus, on marque le pouce avec de l’encre indélébile. C’est la base de leur registre électoral, registre qui a été établi avant le nôtre.

  • Est-ce que les réformes mexicaines ont influencé la mise à jour du système au Canada dans les années 1990?

Pas dans le détail, puisque que leur système est beaucoup plus élaboré que le nôtre, mais le fondement et l’approche nous ont inspirés. À force de discuter et de comprendre leurs questions, il vous faut comprendre des choses à propos de votre propre système que vous n’aviez pas considérées. C’est intéressant ça. On se fait demander : pourquoi vous faites cela? On réfléchit… C’est pour ça qu’on fait ça?… Notre système était basé sur un système de confiance, une confiance quand même mitigée. On allait voter dans un bureau de vote qui faisait partie de notre environnement. Le Canada avait longtemps été à prédominance rurale. On ne pouvait pas vraiment se présenter et être quelqu’un d’autre. Il n’y avait pas de fraude comme au Mexique. Mais il y avait des bras de cassés quand le vote n’était pas secret… Quand on commence à comprendre notre propre système, on se demande « est-ce de cette façon-là que ça fonctionne? ». À force de discuter de notre propre système, de se questionner sur son fondement, on apprend des choses sur son fonctionnement. Et on apprend des choses, évidemment, qui sont intéressantes sur le système des autres. Je dois admettre que même les Américains ont appris des choses de ces échanges, même si dans mon for intérieur, j’ai la conviction qu’ils peuvent en apprendre davantage qu’on peut en apprendre d’eux…

Je vous dis tout cela (à propos des échanges que nous avons eus avec le Mexique et des réformes qui ont résulté dans ce pays), car ces mesures ont été introduites pour convaincre le peuple que leur système empêcherait toute fraude. Car, si un mot explique les grandes difficultés du système mexicain, c’est le mot « fraude ». Moult discussions ont eu lieu entre les dirigeants et moi là-bas à ce propos. C’est pour cette raison que j’ai une grande confiance dans le système mexicain actuel; vous l’avez vu : une personne ne peut pas voter sans que sa photo concorde avec celle de la liste électorale. C’est un système qui est basé sur un manque de confiance et c’est un système qui est étanche, où il est très difficile de falsifier des informations.

  • En effet, je partage cette impression. Mais j’aimerais revenir sur vos paroles à propos des réformes des années 1990 : on voulait donner l’impression qu’il était impossible de falsifier les résultats. Effectuons un retour en arrière. Considériez-vous le système mexicain comme un système pleinement démocratique au début des années 1990? Car 1994 a peut-être représenté un tournant d’un point de vue technique, mais tout le monde se rappelle cette élection comme celle où le candidat Luis Donaldo Colosio Murrieta (PRI) a été assassiné en pleine campagne électorale.

Oui, j’étais à Mexico quand c’est arrivé. Quand l’assassinat de Colosio est survenu, la crainte chez les gens bien-pensants – ceux qui voulaient réformer le système électoral – c’est que cet assassinat pouvait ébranler la nation. On se demandait : « mais qui est derrière ça? Est-ce que cela va s’arrêter là? » Car c’est quand même un peuple qui a connu beaucoup de violence dans son histoire, pensons seulement à la Révolution mexicaine. Beaucoup de sang a été versé dans l’histoire mexicaine, ce n’est pas comme l’histoire du Canada. Si l’on regarde des photos de l’époque, on constate que tout le monde était armé jusqu’aux dents!

  • Oui, effectivement la Révolution mexicaine fut une guerre civile dévastatrice : sur une population de 15 000 000, environ 1 000 000 de personnes meurent et 1 000 000  s’exilent aux États-Unis; toutes les régions du pays sont touchées, hormis, peut-être, la péninsule du Yucatan qui fut moins touchée. Mais est-ce que l’assassinat de Colosio en 1994 est venu ébranler le processus de réformes électorales?

Non, le parcours était tracé pour les réformes. Les gens qui étaient en place, les Fernando Franco, les Arturo Núñez, les Manuel Carillo (qui étaient en charge des relations internationales) et leurs collaborateurs étaient profondément convaincus du besoin de réformer le système. Sans pour autant admettre directement qu’il y avait eu de très grandes difficultés, c’était clair que l’objectif était de réformer en profondeur le système. Tous ceux qui avaient moindrement un sens de l’histoire récente du Mexique comprenaient tout de suite cette nécessité. Donc, la grande crainte était de ne pas réussir à refonder le système et d’en faire un système étanche afin de limiter au maximum les possibilités de fraude. On se demandait aussi si une nouvelle révolution n’allait pas surgir : qu’est-ce qui va se passer ce soir, demain, cette semaine? Pour un étranger comme moi, c’était un peu épeurant.

  • Comment expliquez-vous que la méfiance envers le système perdure aujourd’hui au Mexique?

Il y a une tranche de la population qui s’apparente à la principale partie perdante des dernières élections, la coalition de gauche (PRD, Partido del Trabajo et Movimiento ciudadano) qui alimente cette méfiance. Le candidat de gauche, Andrés Manuel López Obrador, a perdu avec un écart très mince en 2006; ce dernier avait su faire sortir les gens dans la rue pour dénoncer le résultat de l’élection. L’élection de 2006 a ébranlé leur société, encore une fois. Je pense qu’il va peut-être tenter, encore une fois, de faire sortir son monde… mais là il y a 7 points d’écart entre lui et le candidat gagnant. Ce n’est plus 0.56 % de différence, c’est 7 grands points. C’est immense. C’est au-dessus de 3 000 000 d’électeurs. On ne peut pas dire, comme il semble le faire, qu’il y a de la tricherie avec des millions de votes. Imaginez-vous de la tricherie pour des millions de votes? Comment peut-on exécuter ça (avec le système actuel)?

Andrés Manuel López Obrador

López Obrador est capable de faire sortir un million de personnes dans la capitale (c’est une personne sur 24 à Mexico). Il est capable de les faire sortir au Zócalo. Mais je pense qu’il ne serait pas capable de donner au mouvement la même envergure qu’il avait la dernière fois, avec autant de ferveur de la part des gens. C’est bien beau dire que l’on a la preuve que 5 millions de votes ont été achetés, mais il faut le démontrer. De plus, on affirme en même temps qu’à Tabasco, à Mexico et aux autres endroits où la gauche a été victorieuse, que tout a été correct… Ça commence à ressembler à de la loufoquerie.

De plus, des juges vont pouvoir analyser ces éléments de preuve. Il va peut-être réussir à faire annuler des votes. Il y a certainement eu des abus à certains endroits. Je n’ose pas penser et dire que le système est impeccable, mais il est difficile de mettre sur pied quelque chose de meilleur. On verra bien l’envergure de ces irrégularités, mais ça ne sera rien pour remplacer les élections présidentielles. Les sondages étaient clairs et précis sur ce plan-là.

Mais pour revenir à la question principale, « est-ce que l’on sent encore la méfiance envers le système », je peux dire que chaque fois qu’il y a un événement qui trouble le Mexique, les gens se disent qu’il faut faire attention. Ils savent qu’ils sont embarqués sur la bonne voie, qu’ils ont fait de grands progrès; mais ils sont également convaincus que ce n’est pas complété. Ils ont compris que ça va prendre au moins une génération entière. 

  • Le retour du PRI au pouvoir vous semble-t-il une cause de préoccupation? Cela représente-t-il une certaine forme de régression?

Sincèrement, je ne crois pas. Parce que le PRI, avec ses 12 ans de purgatoire, a su, je pense, chasser les dinosaures qui l’habitaient et qui en menaient encore large dans le parti. Même lors des élections de 2006, j’avais rencontré le candidat du PRI à l’époque, Roberto Madrazo : c’était incroyable. C’était comme voir quelqu’un revenir du passé. Il avait fait en sorte qu’on le rencontre dans le bureau chef du parti, avec la photo des 150 personnalités prédominantes dans l’histoire du PRI sur les murs (ou à peu près). C’était d’un autre monde. Et puis, cette fois-ci, nous avons vu un candidat (Enrique Peña Nieto) qui était beaucoup plus éclairé; je l’ai rencontré aussi. 

Enrique Peña Nieto

Cet homme-là, il est rentré dans la salle, on était à peu près une centaine, il a fait le tour de la table, a donné la main à tout le monde. On voit tout de suite qu’il est d’un style différent. Évidemment, il y aura des gens dans le PRI qui vont vouloir revenir à la vieille époque. Dans notre système politique, on a aussi des gens qui sont conservateurs de nature, on a des gens qui sont plus libéraux de nature. Mais, je pense que le PRI a changé. En même temps, je me dis que si jamais ce n’est pas le cas, ils vont se faire sortir lors de la prochaine élection. Le peuple commence à comprendre. C’est ce que j’ai vu dans cette élection-là; c’est aussi ce que l’on a constaté dans les nouvelles démocraties des pays de l’Europe de l’Est. Maintenant que l’on a des sauvegardes démocratiques, on peut se permettre de revenir avec l’ancien parti, lui donner une autre chance, car il sait gouverner. C’est, selon moi, le sens qu’il faut donner à ces dernières élections.

  • Merci beaucoup pour votre témoignage très instructif.