« La passion d’Augustine » : l’expertise musicale des religieuses

Publié le 17 avril 2015

Micheline Dumont, historienne

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La Passion d'Augustine, 2015.

La Passion d’Augustine, 2015.

Un article du Devoir, le 30 mars 2015, nous apprend que le film de Léa Pool, « La passion d’Augustine », rencontre un succès populaire. Les recettes au guichet approchent du million après dix jours dans les salles. Ce film vient rappeler la réalité d’une tradition mal connue aujourd’hui : l’expertise des religieuses dans l’enseignement de la musique.

Cet enseignement s’est répandu avec le foisonnement des pensionnats de jeunes filles, lieu principal de l’instruction féminine, à partir du milieu du XIXe siècle. Rapidement, les religieuses ont ajouté la musique au programme scolaire. D’une part, parce que cela répondait à une demande expresse des parents. D’autre part, parce que cela permettait d’augmenter le prix de la pension. Des recherches ont démontré que les revenus des pensionnats étaient majorés de 15 %, grâce à l’enseignement de la musique. Dans un petit pensionnat rural, un couvent de quelques 60 pensionnaires, on dénombrait dix pianos en 1950. Or, on comptait 175 établissements en 1950, dont 55 dans des villages. Cela fait beaucoup de pianos et beaucoup de religieuses musiciennes!

Chaque congrégation a progressivement structuré cet enseignement, par l’octroi de diplômes-maison. À partir des années 1920, plusieurs congrégations se sont même dotées d’une école supérieure de musique. Le cursus musical s’est alors étendu jusqu’au baccalauréat et chaque congrégation a négocié son affiliation à une université pour faire reconnaître ses diplômes. C’est une question complexe et les archives révèlent de longues discussions entre les autorités universitaires et les congrégations religieuses. Plusieurs congrégations changent d’université quand elles ne peuvent pas s’entendre avec les responsables. La première affiliation date de 1926 et progressivement, on en compte une dizaine. Les dernières se produisent après 1950, dont l’école supérieure des Sœurs Sainte-Croix qui avait pourtant formulé sa demande dès 1922.  

Les diplômées se comptent par centaines. Manon Mendez  a dénombré plus de 2500  bachelières en musique, entre 1927 et 1960, dans cinq congrégations seulement. (La formation professionnelle des filles dans les écoles supérieures de musique tenues par les religieuses (1926-1960)   Université de Sherbrooke, 1990)

Cet enseignement était rigoureux. Le personnel était religieux et laïc. Il permettait aussi à quelques religieuses douées d’exercer leurs talents.   Claire Rhéaume a retrouvé, dans les archives des congrégations religieuses, des centaines de partitions musicales, 568 en fait, écrites par des religieuses : musique vocale religieuse, musique instrumentale pour soliste (piano surtout), musique instrumentale pour ensemble (La création musicale chez les religieuses de trois communautés montréalaises, Université de Montréal, 1987). Les premières compositrices québécoises ont été formées par leurs professeures religieuses nous explique Marie-Thérèse Lefebvre dans son ouvrage La composition musicale des femmes au Québec. (Remue-ménage, 1991).

Léo-Pol Morin, un des premiers historiens de la musique au Québec, est catégorique : « La musique a été de tout temps une affaire de femmes ».   C’est ce que démontre aussi l’historienne Odette Vincent dans La vie musicale au Québec. (IQRC, 2000).

Toutefois, l’expertise des religieuses a été contestée, à la fois par les universités à partir des années 1940 et par les instances gouvernementales, qui ont mis en place les nouvelles structures éducatives au moment de la Réforme Parent. Par exemple, ne pouvant s’entendre avec l’Université de Montréal, la célèbre école Vincent d’Indy à Outremont s’est affiliée à l’université de Sherbrooke en 1970. Plusieurs écoles supérieures se sont intégrées dans un cégep ou ont été transformées en cégep privé. En fait, c’est le statut d’école professionnelle que l’on contestait aux écoles de religieuses. « La création ou le maintien d’écoles spécialisées n’est qu’un dédoublement inutile et préjudiciable à la qualité de l’enseignement », écrivait-on dans Le Devoir, le 14 novembre 1967.

Le film de Léa Pool vient illustrer, par la fiction cinématographique, un autre épisode de la mainmise de la société québécoise sur les compétences et les établissements mis en place par les religieuses. On comprend sœur Augustine d’avoir abandonné sa vocation religieuse, comme tant de femmes, au tournant des années 1970.