« Les Autochtones et l’histoire du Québec » : un compte rendu

Publié le 7 novembre 2017

Par Cassandre Roy Drainville, candidate à la maîtrise en histoire à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et collaboratrice pour HistoireEngagee.ca

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Affiche du 70e Congrès de l’IHAF. Crédit : CIEQ.

Comment intégrer l’histoire autochtone dans le récit historique québécois? Comment commémorer le passé trouble des pensionnats? Quelles sont les avenues possibles pour un meilleur dialogue entre historiens issus des études autochtones et ceux des autres champs de la discipline? La table ronde sur les Autochtones et l’histoire du Québec qui s’est tenue le 21 octobre dernier dans le cadre du 70e Congrès de l’Institut d’histoire de l’Amérique française a permis d’aborder plusieurs pistes de réflexion reliées à ces questions. Retour sur ce panel stimulant.

Pour un meilleur dialogue

D’abord, tous les participants ont constaté qu’actuellement, les spécialistes des études autochtones travaillent rarement en relation avec les historiens étudiant le Québec, notamment les spécialistes de l’histoire nationale, seigneuriale ou politique. L’inverse est tout aussi vrai : la plupart des chercheurs préfèrent ne pas mentionner les Autochtones dans leurs travaux, ne se sentant pas à la hauteur de la tâche. Pourtant, tous sont affirmatifs sur une chose : il faut éviter à tout prix de rester cloisonné à l’intérieur de son champ d’études et prioriser le travail d’équipe[1].

Fort heureusement, de plus en plus de chercheurs et chercheuses intègrent une approche dite « décentrée » à travers laquelle ils et elles combinent l’histoire autochtone avec d’autres champs, dont l’histoire culturelle et l’histoire transnationale. Prenons par exemple le récent ouvrage de Gilles Havard sur les coureurs de bois, qui présente une perspective plus large sur le monde autochtone et nous permet ainsi de mieux comprendre les interactions entre « Blancs » et « Sauvages »[2]. Au croisement entre l’histoire continentale et l’histoire des contacts interculturels, l’ouvrage s’intéresse au coureur de bois, l’exemple par excellence de la rencontre et du mélange entre Européens et Autochtones. Grâce à ce livre, les universitaires peuvent repenser leur interprétation de l’histoire nord-américaine.

La thèse d’Isabelle Bouchard[3], présentée brièvement lors de la table ronde, exemplifie aussi très bien les bienfaits de la rencontre entre deux champs. En étudiant les dynamiques locales autochtones dans une approche seigneuriale et en élargissant son corpus documentaire aux archives notariales, l’auteure aborde les Chefs amérindiens comme une composante de l’élite rurale du monde laurentien. Ceux-ci participent à la dynamique et à l’économie seigneuriale, bien qu’ils demeurent différents des autres propriétaires terriens puisqu’ils ne disposent pas de véritable pouvoir coercitif. Cette approche lui permet aussi de montrer les liens entre la fin du régime seigneurial et la mise en place des premières lois qui créent les réserves, nous invitant à revoir les fondements sur lesquels repose la construction du discours sur l’exclusion des Autochtones au XIXe siècle.

Ce mélange des champs permet ainsi de construire un récit historique plus complet et inclusif. Néanmoins, beaucoup de travail reste à faire. Les historiens non spécialistes des études autochtones sont encore très peu nombreux à intégrer cette catégorie dans leurs travaux, ce qu’on remarque d’ailleurs dans les livres d’histoire du Québec.

La place des Autochtones dans le récit historique québécois

Tous se sont entendus pour déplorer le peu d’espace accordé à l’histoire des Autochtones dans les livres d’histoire au Québec. Brian Gettler, professeur adjoint au département d’histoire de l’Université de Toronto, a d’ailleurs mentionné deux courants historiographiques qui mettent la figure de l’Autochtone de côté; l’un « négationniste » allant jusqu’à nier la validité des revendications autochtones, l’autre « national québécois » porté à évacuer l’histoire des Premières Nations de l’espace national.

Doctorante de l’Université de Montréal travaillant sur la construction de l’altérité dans le cursus scolaire au XIXe siècle, Catherine Larochelle ajoute que lorsque les populations autochtones sont représentées dans le discours national, c’est uniquement dans une perspective d’altérité. L’Autochtone est en marge, il est l’Autre. Or, nous sommes à même de constater que les manuels d’histoire actuels perpétuent cette image stéréotypée et cette mise au ban de l’histoire des Premières Nations. L’Autochtone est présent, mais personne ne semble faire l’effort de lui trouver une trame narrative adéquate. Il est donc bien souvent introduit dans un encadré, ou ici et là entre deux chapitres (à l’exception de la période des premiers contacts où les Autochtones sont très présents, ce qui ne fait que renforcer leur effacement subséquent).

De son côté, l’anthropologue Marie-Pierre Bousquet (Université de Montréal) a souligné qu’au moment d’entreprendre ses études au Québec, elle a vite remarqué que ses origines françaises ne la plaçaient pas en position de désavantage. En ce qui concerne l’histoire des Peuples autochtones, elle a réalisé que ses collègues québécois avaient les mêmes lacunes fondamentales qu’elle. Pire encore, selon Larochelle, les rapports d’altérité négatifs fabriqués par l’école n’auraient engendré ni plus ni moins que l’acquisition par la jeunesse québécoise d’un sentiment d’autorité perdurant à l’âge adulte et se propageant dans les différentes institutions de la société québécoise. Un rapport d’autorité où l’Autochtone est surtout perçu comme un personnage fictif plutôt que réel.

Pour remédier à ce problème, Stéphane Savard, professeur à l’Université du Québec à Montréal, propose le retour aux synthèses. Il serait temps selon lui que les historiens issus de différentes disciplines travaillent ensemble et favorisent le travail de synthèse, permettant de produire une histoire du Québec revampée accordant une place plus importante aux Peuples autochtones au sein de la trame nationale.

Or, est-ce la seule solution? Brian Gettler ajoute qu’il est possible de les intégrer à l’historiographie québécoise grâce au territoire. L’histoire de la construction et de l’aménagement du territoire québécois et canadien ainsi que l’histoire de la colonisation permettent de faire le pont entre l’histoire des Peuples autochtones et l’histoire québécoise. Toutefois, pour ce faire, il faut rompre avec l’idée d’une frontière définie.

Savard ajoute que pour incorporer plus activement les Autochtones dans l’histoire politique québécoise des années 60 et 70, il serait pertinent de les intégrer à une catégorie issue de cette histoire politique, catégorie que Pierre Bourdieu nomme « mouvements sociaux et groupes de pression »[4]. Conscient que les Peuples autochtones sont beaucoup plus que des groupes de pression, Savard estime que ce changement de catégorie peut ultimement permettre aux historiens et historiennes d’intégrer leurs histoires à la trame québécoise avec plus d’aisance. À terme, cela permettrait une meilleure compréhension des prises de décision étatiques.

Gettler souligne toutefois qu’il faut intégrer les Autochtones dans l’histoire québécoise tout en évitant de leur projeter notre vision du monde. Il est primordial de ne pas tomber dans le piège de l’anachronisme, ou même du colonialisme. Comment pouvons-nous alors arriver à historiciser et contextualiser « de la bonne manière » des épisodes faisant intervenir les Autochtones, des épisodes qui contiennent l’histoire et la mémoire de peuples jusqu’ici exclus du récit national?

Commémorer les pensionnats

La commémoration des pensionnats existe depuis les années 1990 au sein des communautés. Même si elle est limitée dans des espaces bien précis (les réserves ou les sites d’anciens pensionnats), plusieurs événements organisés permettent à la population de se souvenir : cérémonies dans d’anciens pensionnats, cercles de parole, marches, feux sacrés et cérémonies de guérisons, etc.

Marie-Pierre Bousquet s’est intéressée à la place de ces pensionnats autochtones dans l’histoire du Québec et s’est demandée : de quoi faut-il se souvenir? Comment transmettre le passé traumatique et les épisodes de violence? Sans avoir de réponse claire, elle souligne qu’à l’heure actuelle, l’histoire associée aux pensionnats est surtout expliquée à l’aide de termes moraux. Il s’agit d’une histoire qui fait intervenir une certaine responsabilité collective, alors que l’historien ne devrait jamais avoir à porter un jugement de valeur. Au lieu de chercher à comprendre pourquoi et comment ce passé a pu se produire, les pensionnats sont plutôt devenus un objet émotionnel et appellent aux bons sentiments.

Bousquet ajoute que le mât totémique récemment mis en place à Montréal pour se souvenir des pensionnats ne permet pas à la population québécoise de comprendre les liens qui les unissent avec les communautés ayant vécu cet épisode traumatique. Le créateur du totem inauguré en mai dernier provient lui-même de la Colombie-Britannique, ce qui nous conduit à avoir une perspective pancanadienne sur les pensionnats. L’utilisation de symboles liés aux Premières Nations de la côte ouest vient brouiller la dimension québécoise de l’histoire des pensionnats, puisque ces symboles sont complètement détachés du territoire et des traditions amérindiennes régionales. Ce genre de commémoration perpétue les perspectives historiques véhiculées par l’école et est en déphasage avec l’histoire du Québec.

Conclusion

Maxime Gohier, professeur à l’Université du Québec à Rimouski et président de la séance, a mentionné rapidement, en conclusion, que les historiens devraient voir l’histoire des Premières Nations comme un « objet comme les autres ». Ce commentaire a soulevé une certaine controverse puisque certains panellistes, dont Bousquet et Savard, ont clairement souligné ne pas être d’accord avec ces propos. Le temps manquant pour en discuter davantage, Gohier n’a pas pu expliquer le fond de sa pensée. Il semble, après coup, que cette affirmation ait été une nouvelle invitation aux historiens non-spécialistes des études autochtones à se donner la légitimité de traiter des Premières Nations dans leurs travaux. Il semblerait qu’à trop vouloir encadrer ce champ d’études, non seulement devient-il en quelque sorte intouchable, mais il est en même temps placé ironiquement dans une sorte de « réserve intellectuelle ». Considérer l’histoire des Autochtones comme les autres champs aurait donc surtout à voir avec la manière de l’étudier, de l’aborder.

Cela dit, nous sommes à même de constater que l’intégration de l’histoire autochtone au sein du milieu universitaire, de l’enseignement de l’histoire et de la commémoration pose de nombreux défis aux historiens et historiennes. Non seulement ceux issus d’autres champs de la discipline se défendent encore de ne pas être des spécialistes lorsqu’ils intègrent l’histoire autochtone (deux des panellistes se sont excusés), mais les intégrations faites dans les livres d’école sont minimes et n’effectuent pas de lien avec le récit historique principal. La commémoration des pensionnats, quant à elle, suscite encore trop d’émotions pour permettre à l’historien de se positionner objectivement ou du moins, de mettre cette vision objective de l’avant dans l’espace public. Soulignons tout de même que cette table ronde a permis de noter ces problèmes, de proposer des solutions faisables et très intéressantes, tout en montrant les efforts déjà déployés par plusieurs pour favoriser l’interaction entre l’histoire autochtone et d’autres champs connexes.

Enfin, il convient de mentionner qu’aucun panéliste n’était issu des Premières nations, ce qui aurait sans doute été une étape nécessaire au décloisonnement du débat et un premier pas vers la réconciliation de l’historiographie québécoise avec les Peuples autochtones qui, pour l’instant, continuent d’évoluer en parallèle du reste de la société québécoise, dans le discours historique comme au quotidien.

Pour en savoir plus

BOUCHARD, Isabelle. Des systèmes politiques en quête de légitimité : terres, pouvoirs et enjeux locaux dans les communautés autochtones de la vallée du Saint-Laurent (1760-1860). Thèse de doctorat en histoire, Université du Québec à Montréal, 2017.

HAVARD, Gilles. Histoire des coureurs de bois. Amérique du Nord, 1600-1840. Paris, Les Indes savantes, 2016, 904 p.

ROSENTHAL, Nicholas G. « Beyond the New Indian History: Recent Trends in the Historiography on the Native Peoples of North America ». History Compass, vol. 4, n° 5 (2006), p. 962-974.

WARREN, Jean-Philippe. « Penser l’histoire politique au Québec avec Pierre Bourdieu : précisions conceptuelles et défis pratiques ». Bulletin d’histoire politique, vol. 22, n° 2 (hiver 2014), p. 7-21.


[1] L’article de Rosenthal, paru en 2006, souligne aussi l’enjeu de l’absence de dialogue et montre cependant que de plus en plus de travaux en histoire autochtone essaient d’intégrer une approche décentrée. Voir : Nicholas G. Rosenthal, « Beyond the New Indian History: Recent Trends in the Historiography on the Native Peoples of North America », History Compass, vol. 4, n° 5, 2006, p. 962-974.

[2] Gilles Havard, Histoire des coureurs de bois. Amérique du Nord, 1600-1840, Paris, Les Indes savantes, 2016, 904 p.

[3] Isabelle Bouchard, Des systèmes politiques en quête de légitimité : terres, pouvoirs et enjeux locaux dans les communautés autochtones de la vallée du Saint-Laurent (1760-1860), Thèse de doctorat en histoire, Université du Québec à Montréal, 2017.

[4] Jean-Philippe Warren, « Penser l’histoire politique au Québec avec Pierre Bourdieu : précisions conceptuelles et défis pratiques », Bulletin d’histoire politique, vol. 22, n° 2, hiver 2014, p. 12.