Les héritiers de l’oubli : autour de Thou Shalt Forget avec Pierrot Ross-Tremblay

Publié le 26 mai 2020

Pierrot Ross-Tremblay est Titulaire de la Chaire de recherche en traditions intellectuelles et autodétermination autochtones et professeur à l’Institut de recherche et d’études autochtones de l’Université d’Ottawa;

Philippe Néméh-Nombré est candidat au doctorat en sociologie à l’Université de Montréal

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Couverture du livre

Pierrot et moi nous écrivons depuis bientôt un an au moment où parait Thou Shalt Forget, en novembre 2019 aux presses de l’Université de Londres. Nous nous écrivons au sujet du livre, justement, de sa parution prochaine, de ce qu’il représente, mais aussi, dans les mots ou dans ce qui leur échappe, du dialogue et des proximités possibles. Se parler, s’écouter, se comprendre. Parler ensemble, écouter ensemble, se comprendre ensemble peut-être. Je reçois le livre quelque part en octobre et le dévore; il est difficile et beau, il est précis, je l’approche de l’extérieur et en même temps il me parle tout près. Les dynamiques dont il est question m’apparaissent à la fois si insaisissables dans leur matérialité géohistorique et si familières quant à leur écho. Avec et au travers de l’expérience d’Essipit et des Essipiunnuat[1], Thou Shalt Forget traite des dimensions psychologiques du colonialisme et contextualise la production coloniale de l’oubli. Le 19 novembre 2019 à Tiohtià:ke, nous nous retrouvons dans un petit café pour en discuter.

Philippe Néméh-Nombré – Je suis très chanceux, Pierrot, d’avoir pu lire Thou Shalt Forget et d’en parler ensuite avec toi, de discuter à travers et à partir de ce travail important. J’ai beaucoup appris en lisant. Beaucoup. J’ai été très touché, aussi, par la profondeur de la démarche, par ce qu’elle permet très concrètement, et en même temps par les résonances qu’elle peut avoir, des résonnances peut-être en apparence un peu lointaines mais finalement tout à fait saisissantes, avec certaines réalités et sensibilités qui peuvent être plus près de moi. J’avais préparé quelques questions, mais je suggère surtout de laisser la discussion nous mener. Qu’en penses-tu?

Pierrot Ross-Tremblay – Oui, tout à fait. Je te remercie, Philippe, de prendre le temps d’engager cette conversation : non seulement elle amorce certainement un dialogue à plus long terme, mais aussi, déjà, permet d’échanger autour de ce livre qui est le résultat de plusieurs années de travail. Le processus de recherche et d’écriture fût aussi important que le résultat lui-même. C’est dans la nature même des recherches sur l’oubli et l’ignorance d’être insatisfaisantes, incomplètes et souvent litigieuses. Et de documenter sa propre communauté implique de reconnaître que nous sommes nous-mêmes affligés, dans une certaine mesure, des phénomènes que l’on étudie. Ce livre est le résultat de tout un processus de recherche communautaire, sur une décennie dans ma propre communauté à Essipit. Le livre rend compte de l’expérience de résistance des Essipiunnuat (« Humains de la rivière-aux-coquillages ») dans ce qu’on se rappelle comme la Guerre du saumon qui est survenue au début des années 1980, et, subséquemment, d’une lutte pour préserver la mémoire de l’évènement face à des forces et acteurs favorisant l’effacement et des formes de réécriture. Le contenu du livre est basé sur une trentaine de récits autobiographiques, dont 20 ont été enregistrés, de personnes ayant été impliquées dans l’évènement, dont des résistants dont les actions sont largement illustrées. L’ouvrage puise également dans les récits et l’expérience des Essipiunnuat de la génération ayant suivie celle de ceux qui ont vécu l’évènement. Le livre permet ainsi de démocratiser l’accès à la mémoire et la production de l’histoire des Essipiunnuat, de générer de nouvelles interprétations du passé et d’honorer la mémoire de ceux ayant mis leur vie en jeu pour défendre la souveraineté ancestrale pour les générations futures. Honorer une parole rendue quasi muette par le tissage d’un complexe code de silence. Plus la recherche a avancé, plus il m’est apparu nécessaire de comprendre notre relation au passé autant, sinon plus, que le passé lui-même; la mnémohistoire (étude de nos relations au passé) et l’amnésiologie (étude de l’oubli comme production) sont donc venues au cœur de ma démarche de recherche.

PNN – Douze ans. Le travail s’est échelonné sur douze ans.

PRT – Ma recherche doctorale avait pris forme lorsque je vivais à Matimekush-Lac John où j’ai pris réellement conscience de la condition du peuple innu et de la profondeur du colonialisme et des politiques génocidaires des gouvernements canadien, québécois et terre-neuvien, mais aussi des blessures internes engendrées par les structures coloniales et imposées des conseils de bande. C’est là aussi que j’ai réalisé sur le terrain à quel point les Innus formaient un peuple à part entière avec sa propre conscience historique et ses relations diplomatiques, mais que notre autodétermination et notre droit à disposer de nous-mêmes était mutilé autant par le régime constitutionnel que par l’hégémonie québécoise et l’influence démesurée des grandes entreprises extractives et de différents projets de « développement » sur le Nitassinan[2].

Mon premier projet de doctorat, développé à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) de l’Université de Genève, portait sur le droit des Innus à disposer d’eux-mêmes face au colonialisme interne au Canada. J’étudiais le peuple innu comme un acteur du droit international et les formes d’actions collectives conjuguant notre unité comme peuple, de même que les forces engendrant divisions et conflits en notre sein. J’ai également été bénévole aux Nations Unies, ce qui m’a permis de réfléchir sur le droit international et la prévention des génocides, et sur la défense de la dignité humaine dépendant avant tout de la capacité de résistance des gens, de leur puissance; et je me suis dit que si je ne pouvais rien faire chez moi pour améliorer le monde, je ne pourrais rien faire nulle part. En même temps, aussi, je voyais toute l’incohérence des milieux et des acteurs internationaux en matière de droits humains, où on dénonce les violations, mais sans qu’il n’y ait d’intervention, et sans qu’on ne prévienne la violence de masse de se reproduire. Donc le projet émerge, au début, d’une réflexion sur les génocides à travers laquelle je me suis dit que la meilleure façon de les prévenir était l’empowerment et l’acquisition de la puissance par les microgroupes. Et j’ai décidé de produire une histoire orale, une histoire orale de cette expérience d’auto-détermination et de développement communautaire avec le cas de ma communauté, que je voyais davantage du point de vue de ma génération à ce moment, sans bien connaître la perspective des Aînés.

Puis, suite à des discussions avec des Aînés à Matimekush Lac-John, j’ai décidé de travailler spécifiquement sur l’expérience de ma propre communauté, Essipit. À Matimekush-Lac John, j’ai eu une prise de conscience significative comme Innu et mes ami.e.s de Matimekush auront toujours ma reconnaissance pour leur hospitalité et leur générosité. Une rencontre décisive au niveau académique fût celle avec Colin Samson que j’ai entendu faire un discours au Groupe de travail sur les peuples autochtones à Genève en 2006. Sa dénonciation des politiques du gouvernement canadien envers les Innus m’avait tellement touché que je suis allé le voir et nous avons eu une longue discussion. C’était le début d’une amitié. J’ai alors décidé de transférer mon doctorat à l’Université d’Essex pour qu’il devienne mon superviseur, avec l’historien sud-africain Jeremy Krikler. Leur grande expertise en matière d’impérialisme, de colonialisme et de résistance et leur support fût primordial. Ils me permirent d’écrire ma thèse tout en retournant vivre dans ma communauté en 2007 avec ma famille.

C’est là qu’a commencé le travail de recherche et d’écoute des Aînés et des gens de la communauté. Évidemment, comme dans toute vraie recherche, les découvertes que l’ont fait sont étonnantes et changent les préjugés et perceptions que nous avions au départ. Sinon, est-ce réellement de la recherche? Les miens furent profondément bouleversés de plusieurs manières. Plus que le passé lui-même, j’en suis venu à m’intéresser aux causes profondes d’une forme d’oubli culturel que nous vivons comme héritiers d’une société génocidée, mutilée de sa mémoire et vivant au quotidien des formes avancées de colonialisme psychologique. J’étais moi-même, comme plusieurs de ma génération, accablé de cet oubli et d’une crise d’aut0référentialité. Le sujet est difficile mais impératif pour une reconnexion plus effective avec les sources de notre mémoire culturelle innue et une capacité plus grande de résistance, de mobilisation collective et une véritable auto-détermination, mais différente de celle définie par les gouvernements fédéral et provinciaux et émanant des bureaucraties des conseils de bande entièrement structurées à partir d’une grammaire étatique.

Outre la réflexion théorique et la reconstruction d’une certaine interprétation de l’expérience historique du groupe, la valeur de Thou Shalt Forget réside dans le récit des gens en tant que source de savoir et dans la manière extraordinaire des gens de se raconter et de faire confluer leurs histoires dans une nouvelle trame communautaire. L’intelligence des gens est fine et toujours étonnante, leur récit d’une richesse bouleversante, si l’on prend la peine de les écouter et d’y réfléchir sérieusement. Le croisement de leurs voix permet ainsi de jeter un regard nouveau sur ce que nous avons été, ce que nous sommes devenus et voulons ou pourrions être. La voix des gens est très puissante, surtout celle des Aînés qui ont vu et vécu, et qui n’ont pas peur de parler et de dire les choses comme elles sont. Ça m’a pris du temps pour bien comprendre ce qu’ils disaient, vivant moi-même de l’endoctrinement et étant gravement affecté par le colonialisme. Être un chercheur autochtone nous oblige à se décoloniser soi-même, à avoir le regard le plus clair possible, être conscient de nos propres lunettes et bagages emplis de colonialité. Cette recherche m’a transformée et je resterai à jamais reconnaissant envers les gens de ma communauté et redevable envers les Aînés.

Le livre apporte aussi une méthode pour approcher les mémoires difficiles et mieux saisir le sujet de l’oubli. Des gens de plusieurs pays, surtout les générations post-indépendances, s’intéressent aux aspects psychologiques du colonialisme et des tyrannies intérieures vécus dans la foulée des mouvements de décolonisation. Le livre inclut donc des « clés » d’interprétation, issues de la digestion du processus endogène de recherche lui-même et ce qu’il a révélé et c’est intéressant pour tous les chercheurs évoluant dans des contextes postindépendances et anciens pays colonisés. Comment est reproduit à l’interne le colonialisme au sein de nos petites communautés est une question cruelle mais nécessaire. La recherche doit nous aider à comprendre notre propre colonialisme, nos propres tyrannies, nos angles-morts et comment on se fait du mal à nous-mêmes. Comme l’a dit avec éloquence ma bonne amie Hadley Friedland, pour les petites communautés blessées, la question centrale demeure aussi de savoir « comment protéger ceux qu’on aime de ceux qu’on aime ». Creuser dans la mémoire collective n’est pas sans conséquences, surtout lorsque, contrairement aux chercheurs non-autochtones, nous et nos proches y vivons et avons un lien fort de filiation à la communauté où est menée la recherche.

Dans mon cas, plusieurs obstacles rencontrés sont décrits et nommés, les barrages sur le chemin de la remémoration sont devenus des données cruciales pour comprendre notre relation au passé, comme Essipiunnuat. Et certains barrages internes étaient très puissants. Personne ne peut vraiment nous aider lorsque l’on décide de prendre le sentier d’étudier l’oubli culturel chez soi, d’explorer nos « vérités », de bousculer l’héritage d’« omerta ». Tout ce qui cherche à nous museler, à nous faire taire ou mettre des bâtons dans les roues est crucial, surprenant, révélateur. De telles recherches sur les régimes internes de pouvoir peuvent devenir périlleuses pour le chercheur lui-même; certains souhaitent non seulement effacer des vérités troublantes, mais enterrer celui ou celle qui les portent. Mais cette dimension de l’expérience du chercheur investiguant les politiques de l’oubli est décisive.

PNN – Ça fait partie intégrante, justement, de ton travail. Ça a dû être extrêmement difficile.

PRT – On connaît le sort réservé aux dissidents et ceux qui ont décidé de « speak truth to power » (dire au pouvoir ses vérités) pour faire un clin d’œil à Edward Said. Dans mon cas, les difficultés ont été assouplies par un soutien indéfectible de mes proches et des Ainés et parce que j’ai obtenu la liberté académique qui est une protection immense pour un écrivain. Aussi parce que je vois aujourd’hui, je saisis le sens de ces difficultés et toute la valeur et les résultats du processus. Ce fut une grande leçon d’intégrité et d’humilité. Un chercheur intègre ne fait pas les choses pour plaire aux autorités, ne se laisse pas dominer par les menaces ou la peur et honore les vérités entendues, aussi difficiles soient-elles, incluant sur lui-même. Ceci dit, l’expérience du chercheur est effectivement rendue plus ardue quand on vit dans la communauté avec sa famille, ses parents, ses enfants et quand tout le monde est parent au sein du groupe, comme dans mon cas. Plonger aux profondeurs de l’oubli culturel nous oblige à revisiter les discontinuités, les ruptures et écouter plus attentivement les sources réelles des silences et des absences. Évidemment, dans des communautés ayant vécues et vivant le colonialisme, les politiques d’effacement et le génocide sur plusieurs générations, on doit faire face inévitablement aux traumatismes intergénérationnels, aux blocages, aux forces favorisant l’oubli et la dissimulation au profit d’une interprétation coloniale, favorable aux hommes et surtout aux hommes en situation d’autorité. Il y a donc une tension permanente, pas une mais plusieurs boîtes de pandore qui risquent à chaque instant de faire émerger dans le présent les raisons profondes du silence de l’oubli; un barrage qui empêche de remonter le cours de la rivière, un bâton dans les roues qui empêche d’avancer, une fuite, une interruption, une absence et autres. J’aime dire à mes étudiants de ne pas reproduire ce type de recherche « à la maison » sauf sous la supervision d’Aînés et/ou de chercheurs chevronnés.

Ce sont plusieurs Aînés et leur défense de la vérité et de l’intégrité qui m’a motivé à continuer, à surmonter les obstacles, à voir la recherche de la vérité comme un acte de guérison mais aussi un élément crucial de la justice communautaire. N’est-ce pas le rôle du chercheur que d’écouter d’autres sources et d’engendrer d’autres interprétations à partir de tous, et non seulement des chercheurs non-autochtones et des dirigeants? Comme professeur d’université, je peux me permettre de dire des choses que les autres ne peuvent pas, je ne travaille pas pour me faire aimer par les dirigeants locaux ou être populaire au sein des sociétés coloniales. Je ne perdrai pas mon emploi ou ma chaire de recherche car c’est mon travail d’investiguer, de rechercher la vérité et de permettre aux gens, surtout aux plus invisibles et marginalisés et ceux vivant des abus de pouvoir, de s’exprimer. Le chercheur émerge de sa recherche avec une vision nouvelle, plus claire et, comme je l’écris à la fin de Thou Shalt Forget, on arrive à la fin de la route avec des écorchures mais un cœur léger, et ceci n’a pas de prix.

Le livre expose aussi une méthode originale et c’est une des raisons pour lesquelles il a pris beaucoup de temps à publier. Tu te mets la main dans la cavité, tu vas chercher des récits qui sont très enfouis, ceux cachés ou réécrits ou réinterprétés. Des évènements que les gens sont forcés de taire et qu’on leur commande d’oublier… Dès le début, ma recherche se voulait un projet communautaire qui visait à documenter l’histoire orale de notre « système communautaire » mais, à mesure que j’avançais, l’accent a été mis davantage sur notre relation au passé jusqu’à tenter de saisir notre condition culturelle sans complaisance.  

PNN – La problématique central de la recherche n’était donc pas, au départ, articulée en fonction de ces questions de la relation au passé et de la production de l’oubli comme héritage colonial?

PRT – Pas du tout ou si peu. Par manque d’expérience, je percevais mal dans quelle mesure certains déterminants de l’oubli pouvaient être internes. J’étais en parti conscient d’être un héritier de l’oubli, comme plusieurs de ma génération, mais sans en connaître les causes collectives. Matimekush m’avait plongé au cœur de la condition de mon peuple mais pas particulièrement au sein de ma propre communauté ou j’avais vécu enfant. C’est une fois retourné sur plusieurs semaines au nutshimit (la vie en forêt), démarche ayant permis une certaine cicatrisation de mon identité culturelle et spirituelle, que j’ai pris conscience que l’oubli culturel, et surtout celui endogène ou que l’on produit nous-même comme personnes issues de peuples tyrannisés, était peut-être la plus grande menace au respect de nos ordres juridiques et à la protection de nos souverainetés ancestrales. Parce que l’oubli culturel avancé peut engendrer le non-accès aux récits de l’histoire et de la tradition orale qui portent ces normativités, et ainsi générer l’idée que nous n’avons pas d’histoire et d’ordres juridiques endogènes. Dans le livre, j’appelle cette croyance en notre propre absence le sui nullius, en tant que forme d’intériorisation de la doctrine du terra nullius. L’Ainé Herb Nabigon a utilisé l’expression de « hollow tree » (tronc creux) pour illustrer les effets psychologiques de l’oppression coloniale qui est d’être vidé de soi-même.Les politiques historiques du Canada sont fondées sur un commandement d’oublier, guidées par l’esprit génocidaire et raciste de leur premier Premier Ministre, John A. Macdonald. En se déconnectant de leur mémoire, et surtout à travers les ruptures de transmission intergénérationnelles, les Premiers Peuples devaient en venir à abandonner ce qui était sacré pour eux, leur terre ancestrale, et consentir à leur propre anéantissement. Même si on sait que les Premiers Peuples ont toujours résisté jusqu’à aujourd’hui, peut-on vraiment éviter la question des effets de ces politiques, aujourd’hui, dans nos communautés vivant toujours dans les structures élaborées par ce régime constitutionnel?

Après mon arrivée, certains « vieux » ont commencé à me parler d’un événement qui était extraordinaire pour eux, très important, et dont les jeunes de ma génération, moi y compris, n’avaient jamais entendu parler ou si peu : la Guerre du saumon. Un événement dont j’avais tout au plus, comme les autres de ma génération, quelques petites mémoires d’enfance; on savait que quelque chose de grave était survenu, mais on ne savait pas quoi, alors que c’était d’une importance majeure pour les plus vieux. Et cette rupture de la mémoire, précisément, a commencé à m’apparaitre particulièrement énigmatique et significative, tant par son ampleur que ses effets sur la transmission ou la non-transmission de notre héritage culturel.

Dans Thou Shalt Forget, j’amène le lecteur au-delà des perceptions qui circulent au sujet de ma communauté, Essipit. Je critique cette image cosmétique ainsi que ceux, certains Innus et d’autres Euroquébécois, qui contribuent à sa projection. Au-delà de la communauté « modèle », « moderne », sinon supérieure aux autres communautés parce que plus conforme aux paramètres que la société dominante définie comme « succès », je donne une voix aux Essipiunnuat eux-mêmes. Les images construites des Essipiunnuat, dans la recherche ou les médias, sont largement celles projetées par les « leaders » et les experts en communication, et les « mercenaires » ou ceux payés pour produire et maintenir cette image. Mais au-delà de cette représentation très « marketing », et derrière la « réserve qui a réussi » tel que projetée, il y a une autre communauté portée par les riches récits des gens eux-mêmes, avec des interprétations parfois différentes de celles que porte l’organe de communication de la communauté, des perspectives élaborées et souvent critiques du pouvoir et des mythes coloniaux québécois souvent colportés par les « consultants », « historiens », et autres personnes soumises à l’administration locale. Mais surtout, ces récits véhiculent des connaissances touchant l’histoire de la résistance du peuple innu face à plusieurs siècles d’hégémonie et d’oppression, de même que de riches savoirs ancestraux gardés précieusement et attendant d’être révélés à ceux qui sauront les entendre.

PNN – C’est ce qui est devenu l’urgence.

PRT – L’urgence de dire les choses comme les gens les voient. L’urgence de remettre en question le colonialisme interne, l’héritage de colonialité incluant la misogynie et le racisme. L’urgence aussi de faire le ménage dans l’héritage colonial qui empêche un réel partage des mémoires individuelles pour guérir les blessures de l’histoire et permettre une plus grande justice entre nous. La libération des récits, des vérités des gens est une puissante médecine, et on sait que l’oubli n’est pas très efficace sur le long terme. À mesure que j’avançais dans ma recherche, j’identifiais en moi-même des formes d’essentialisation que je percevais aussi dans mon environnement social immédiat. Ma soif de mémoire et du passé de la communauté m’amenait à mythifier l’histoire. Comme plusieurs de ma génération ayant vécu les conséquences du colonialisme avancé, et par besoin d’appartenance et de rapprochement, à l’image des jeunes de ma génération, j’étais dans un processus de revitalisation culturelle, de réappropriation, de reconnexion. Je découvrais des photos, des photos d’ancêtres, j’étais en exaltation, j’essentialisais et je mythologisais, sans trop questionner la mémoire de la communauté et comment sa relation au passé s’était constituée. Et je donnais une place démesurée aux interprétations du passé émanent des figures d’autorité locale. Je m’en suis rapidement aperçu, avec l’aide des Aînés et de mes superviseurs, et me suis donc tourné vers la mnémohistoire : mon propre rapport au passé et celui de ma génération, plutôt que le passé tel qu’il est ou serait lui-même. Je me suis intéressé aux pratiques mnémoniques. Qu’est-ce qu’on veut oublier et pourquoi?

PNN – Plutôt que ce dont on veut absolument se souvenir et transmettre.

PRT – À la fin du livre, les gens me parlent de ce qui doit être transmis pour assurer la continuité culturelle du groupe et comment. L’ouvrage joue certes un rôle de transmission de la mémoire collective. Il y a l’histoire orale et la mémoire de la résistance qui est cruciale mais le livre apporte une réflexion particulière, de l’intérieure, sur les différentes couches de non-transmission et leurs raisons. Cet aspect est très peu étudié dans la recherche. Une des raisons est que la recherche en lien avec les Premiers Peuples passe pratiquement tout le temps par les conseils de bande, l’élite et les hommes et qu’elle est alors mutilée des aspects plus sociaux et psychologiques de la vie des gens. Dans les faits, elle ne contient pas de critique du pouvoir et des dirigeants. La recherche est aussi souvent soumise au filtre imposé par des chercheurs non-autochtones, généralement Euroquébécois ou Français, imposant un puissant filtre en n’étant pas toujours conscients de leur propre héritage de colonialité, de leur relation particulière à l’autorité locale, et comment ils reproduisent le colonialisme dans leurs approches. Parfois, ces chercheurs ont des approches teintées de romantisme face au Premiers peuples et essentialisent à partir de leurs propres conceptions héritées des représentations coloniales des Autochtones. Il est aussi difficile de faire de la recherche sans passer par les conseils de bande et ces derniers jouent parfois ces jeux d’images en cachant des réalités plus complexes et visions plus diverses des réalités vécues à l’intérieur des communautés. Ces phénomènes de colonialisme en recherche, avec une intensité spécifique dans le domaine juridique, sont extrêmement problématique sur le long terme. Alors je me suis particulièrement intéressé à cet aspect du rôle du pouvoir interne en tant que déterminant de l’oubli tel qu’illustré dans les récits. Dans le dernier chapitre, les gens sont assez clairs autant sur ce qui nous mutile de nos mémoires que sur ce qui doit être transmis de notre inventaire d’expériences et comment.

Donc oui, l’enjeu de l’oubli culturel est devenu pour moi, dans les dernières années, l’enjeu majeur. Mais l’histoire de cet oubli et de sa production commence il y a bien plus longtemps, avec l’arrivée des Jésuites et leur guerre à nos rituels et cérémonies, et toutes les forces ayant tenté d’effacer et réécrire les récits et la contribution de nos riches civilisations. Qui peut faire l’histoire de ces effacements et comment? Qui s’intéresse réellement aux effets de la mémoire coloniale et sélective québécoise, par exemple, sur la condition culturelle des Innus, des Atikamekw, des Anishnabeg? Ça prend du courage et des moyens pour aborder ces questions dans le contexte où nous sommes constamment sous l’hégémonie de la société coloniale. Ce n’est pas populaire, on se fait beaucoup d’ennemis redoutables, surtout chez les ultra-nationalistes pour qui les représentations des « Autochtones » sont des enjeux de survie identitaire. Cette critique culturelle radicale du Québec a été nécessaire pour créer l’espace mental de réfléchir le colonialisme interne chez nous dans le contexte d’une absorption avancée de l’imaginaire colonial, mais là n’était pas l’objectif. Pour une fois, je voulais que l’attention ne soit pas détournée et soit entièrement consacrée aux Essipiunnuat.

PNN – Oui, je t’ai trouvé très courageux. Très courageux d’investir toutes ces imbrications et tensions, qu’on sent tout de suite à la lecture, de cette façon.

PRT – C’est qu’il y a le contexte de la communauté, l’histoire de nos familles à travers tout ça, cette volonté qu’ils ont eue comme les grands-parents et parents en général de nous préserver des traumatismes intergénérationnels et de toute souffrance ou des mémoires traumatiques de la communauté. Avec le temps, à force d’observer et d’écouter, j’en suis venu à mieux comprendre les silences intergénérationnels vécus et à apprécier chez les gens ce souci, modulé de silence et de réécriture, d’essayer de ne transmettre que le meilleur. Comme pour plusieurs de ma génération, on m’avait dit très peu de choses au sujet de la réserve et ce silence est devenu, avec le temps, le cœur de mes investigations. Comme chez plusieurs groupes ayant vécu l’oppression, j’y ai certes découvert des désirs de se distancer de certaines misères et émotions, de ne pas reproduire les traumatismes, de ne pas transmettre la souffrance aux enfants. Rappelons-nous que notre conditionnement à associer notre indigénéité avec douleur et souffrance, au cœur des politiques coloniales, a laissé des traces profondes. Le développement économique, la finance, les biens matériels ne guérissent pas les blessures de l’âme des familles et des groupes. Ni l’oubli et le déni.

J’ai donc plongé dans ces silences par l’écoute attentive et sur le long terme, tout en questionnant dans quelle mesure ces silences et cette réécriture de notre propre histoire de résistance cultivent l’ignorance et l’omerta. Dans quelle mesure ils tendent plusieurs pièges et risquent justement de favoriser la reproduction du colonialisme sur le long terme, entre autres en nous empêchant d’accéder à la riche mémoire plus ancienne du groupe et qui joue un rôle crucial dans la définition de ce qui est réellement sacré et non-négociable pour les personnes mais aussi pour le groupe.

PNN – Ta réflexion s’articule donc du début de ton doctorat jusqu’à bien au-delà de la fin de ta thèse. À quel moment, ou plutôt comment en viens-tu à préciser la direction de tes interprétations et conclusions, et la forme que leur diffusion prendra?

PRT – C’est au moment d’écrire la conclusion de ma thèse, en 2011, que de nouveaux éléments se sont révélés à moi. Pendant ma recherche, l’administration avait engagé un historien pour faire des entrevues sur l’histoire de la communauté avant que je fasse les miennes. Plusieurs personnes ont naturellement pensé que c’était la même recherche et la confusion s’est installée. Ça a momentanément saboté mon processus et m’a retardé de plusieurs mois. Ensuite, un universitaire québécois s’est présenté en mentor et m’a approché pour obtenir une version préliminaire de mon manuscrit en promettant la confidentialité. J’ai su par la suite que ce chercheur avait transmis la version préliminaire de ma thèse au conseil de bande et qu’une lettre fut envoyée au nom de ce chercheur à mon université, en Angleterre, m’accusant de manquer d’éthique. Heureusement que mon université a investigué, a compris le comportement inacceptable du chercheur et m’a protégé. Ces évènements m’ont fait comprendre dans quelle mesure mes recherches sur le passé, à partir du point de vue des gens, devenaient un enjeu de pouvoir majeur au sein du groupe; elles attaquaient l’interprétation unique servant le dirigeant en place. Il faut dire que le conseiller en communication du conseil de bande m’avait averti, avant que je finisse ma thèse, que mon cas en était maintenant un de « gestion du risque ». Mais plusieurs personnes m’encourageaient et me disaient qu’il était important de briser l’interprétation unique qui avait été constituée avec le temps.

Ces évènements et d’autres formes de violences psychologiques par la suite m’ont ouvert les yeux sur ce que des Aînés me disaient dans les récits mais que je ne voyais pas ou ne voulais pas voir parce que j’étais moi-même endoctriné. Je suis donc parti du travail de la thèse et des récits autobiographiques pour écrire le livre mais en ajoutant les clés d’interprétation m’ayant été subséquemment offertes par l’expérience, pour mieux lire les récits et leurs significations. Thou Shalt Forget décrit assez clairement des pratiques inhérentes à un régime de pouvoir autoritaire s’étant institué à l’intérieur de la communauté, à tout le moins jusqu’en 2016.

Mais le déclic, ou le processus de prise de conscience, c’est qu’à mesure que j’avançais dans ma recherche, et au travers de ce que les gens et surtout les vieux me disaient, j’ai compris ce qu’on vivait à l’intérieur de la communauté. Le fait de produire et de chercher à produire ce genre de savoir, et le fait de s’opposer ainsi au pouvoir, fait émerger des choses insoupçonnées, d’autres informations, des dimensions que l’on ne peut comprendre que lorsqu’on les vit personnellement. Les vieux m’avaient averti.

PNN – Tu vivais exactement ce que tu décris.

PRT – Il y a plusieurs éléments que je ne voyais pas. À mesure que les choses arrivaient, j’avais de nouvelles clés, de nouveaux outils pour décoder et j’ai rationalisé les obstacles. Puisqu’il m’est arrivé des choses de plus en plus dramatiques, ça a quand même pris du temps à digérer, d’où le temps que ça a pris pour en arriver à Thou Shalt Forget. Sept ans quand même pour digérer et m’assurer de voir clairement ce que je voulais dire, me coller aux récits des personnes et m’assurer que mes interprétations seraient le plus juste ou à tous le moins, bien réfléchies.

PNN – C’est une question que je pensais poser à la fin, mais je crois que c’est peut-être le bon moment : c’est peut-être tout simplement une décision pratique ou secondaire, mais est-ce qu’au contraire ce n’est pas une nécessité d’avoir publié en anglais?

PRT – Ah oui. Pour moi, ce que j’appelle l’exil épistémique est très important. Je ne pouvais pas, d’abord, faire une thèse au Québec parce que j’y manquais d’oxygène intellectuel, mais je ne pouvais pas non plus écrire sur ces questions en français. Le français a vraiment été imposé par la torture chez nous, en mutilant la langue innue, et en mutilant l’anglais aussi (parce que nous parlions aussi anglais dans la famille)[3]. C’est un autre niveau d’oppression. Et il fallait que je prenne une distance par rapport au Québec parce qu’on a tendance, nous-mêmes, à mutiler nos voix, à ne pas dire pour ne pas offusquer, choquer l’occupant. Par peur de ce réflexe que tu connais, dans le contexte du Québec, quand on parle de ces questions-là. Aller à Londres me mettait donc à distance, j’avais une liberté académique, et la place pour articuler une critique radicale du Québec, du Canada et du colonialisme sans aucun compromis; avoir assez d’espace pour voir les choses comme elles sont, autant que possible. Parce que le racisme est intériorisé aussi : parler du colonialisme québécois et de son intériorisation, dans la communauté, c’est tabou, peu de gens osent en parler. On arrive à un moment dans notre histoire où on ne peut plus se permettre le silence, au risque de devenir nous-mêmes des colonisateurs. C’est vrai pour les abus de pouvoir et autres, mais c’est vrai aussi en regards de l’oppression vécue par notre communauté par la colonisation à la sauce québécoise. Je ne me fais jamais d’amis en disant cela mais c’est nécessaire, je crois.

PNN – Est-ce que tu penses que le fait que le livre ne soit pas écrit en français peut jouer sur son utilité potentielle? Penses-tu que ça va limiter l’impact qu’il aura au Québec, et plus précisément à Essipit?

PRT – Nous travaillons présentement, avec un éditeur, sur une version française. Il est évidemment nécessaire que livre soit disponible aussi en français pour qu’il soit reçu dans l’espace francophone. Certains Essipiunnuat lisent l’anglais mais pas tout le monde. Les gens demandent une traduction intégrale et ont hâte de le lire. J’en profiterai pour en faire une deuxième édition améliorée car la version anglaise, est à mes yeux incomplète. À date, la réception a été très positive.

En ce qui concerne sa réception au Québec, elle n’est pas tant liée à la langue, même si c’est un obstacle, qu’à la critique virulente que je fais du colonialisme et des angles morts du Québec, incluant les récits de racisme et la violence coloniale dans le contexte de la Guerre du saumon. C’est inhabituel et dérangeant. J’assume aussi une posture autochtone ce qui est très peu présent dans l’univers académique francophone. Ces récits sont parfois durs à entendre et difficiles à accepter pour ceux qui s’entêtent à voir les Québécois comme des colonisés plutôt que des colonisateurs et occupants des terres ancestrales innues.

PNN – Est-ce qu’avant toi certaines personnes ont été dans cette même direction?

PRT – Il y a très peu de recherches conduites par les chercheurs autochtones portant sur le rapport au passé et les relations de pouvoir au sein de leurs propres communautés. Premièrement, même si le nombre de chercheurs augmente dans le monde académique, il y a encore peu de chercheurs autochtones, surtout pouvant travailler dans leur langue et en français, et pratiquement pas de professeurs d’universités jouissant de la liberté académique. C’est très exigeant de critiquer le pouvoir, surtout dans sa communauté. Ensuite, il faut dire que les recherches des non-autochtones mettent généralement de l’avant la perspective des dirigeants, souvent des hommes, et sont souvent rémunérés pour le faire. Ils dépendent aussi des conseils pour recevoir des certificats éthiques et pouvoir mener leurs recherches. Conséquemment, les perspectives critiques, du point de vue des gens eux-mêmes, sur les régimes internes de pouvoir et leurs effets sur l’accès au passé, sont absents, très absents pour des raisons évidentes. Dans un article datant de 2005[4], l’anthropologue Paul Charest a décrit ce phénomène et ses effets sur le long terme, celui des « mercenaires » mandatés par les administrations pour conduire des recherches; il en résulte une mutilation de savoirs cruciaux afférents aux relations de pouvoir au sein des communautés et des dimensions cruciales de la condition des Premiers Peuples. Alors tout ce qui touche au colonialisme psychologique est généralement évacué. C’est une autre des raisons pour lesquelles j’ai continué parce que cette posture critique servira d’autres communautés.

Les gens en parlent partout, mais le monde de la recherche tarde à mettre des mots sur ces phénomènes intérieurs. C’est la responsabilité des chercheurs autochtones. Il y a une grosse absence : le phénomène de l’oubli culturel est le plus important, et c’est celui dont on parle peu. Il touche les traumatismes intergénérationnels et c’est difficile à aborder. On s’en tient souvent à des analyses superficielles tandis qu’on ne peut pas faire l’économie de ces dynamiques et de cet exercice du pouvoir, surtout le pouvoir des hommes. On ne peut plus garder le silence sur les relations d’abus, par exemple. Déjà qu’on a affaire à l’État colonial canadien, au colonialisme étatique et culturel québécois et à l’esprit néolibéral qui domine le monde, si en plus on ne parle pas du mal qu’on se fait à nous-mêmes et qu’on reproduit, on ne s’en sortira pas. En anglais, il y a plusieurs formes d’expressions critiques des régimes internes de pouvoir mais pas ou peu en français.

On retrouve des expressions autochtones critiques dans diverses sphères, en chanson, en poésie, en théâtre, dans les romans et autres formes de récits. Il ne faut pas oublier les écrits de la grande pionnière des écrits anti-coloniaux chez nous, l’écrivaine An Antane Kapesh qui nous a ouvert la voie. En littérature, je mentionnerais ici le regard critique et très perspicace de Louis-Karl Picard-Sioui dans son excellent roman Kitchike – La grande débarque. Son portrait entre autres du chef Tuktuk est fort et symbolise des phénomènes politiques auxquelles plusieurs communautés sont confrontées. Ceci dit, nos récits anciens (atanukan) ou tradition orale contiennent tous les enseignements nécessaires pour prendre en charge ou à tout le moins guérir les abus de pouvoir externes mais aussi internes et l’exercice interne de la justice. Et les gens n’ont jamais cessé d’exprimer ces réalités, seulement elles ne sont pas bien documentées. Ce travail se fait présentement de plus en plus, entre autres via les récits de vie de femmes, dont des aînées, qui apportent un autre point de vue sur la réalité et la condition humaine. Ces récits nous parlent d’aspects sensibles, trop souffrants, dont personne ne veut parler, mais qui contribuent à la naissance de monstres. Et nos propres monstres, il faut persister à les approcher.

PNN – La première partie du livre met la table. Tu y présentes ce que les gens considèrent comme étant à l’origine de la Guerre du saumon, les sources externes dont le colonialisme, les politiques du gouvernement du Québec et les représentations que se font les Euroquébécois des Premiers Peuples et de leur souveraineté, mais aussi les sources internes dont le soulèvement de la communauté elle-même et son agencéité comme une source du conflit. Tu présentes la Guerre du saumon à partir de ce que les personnes interviewées en pensent et en comprennent. On comprend à la lecture du livre que certains récits de la Guerre du saumon ont été occultés et qu’une interprétation « unique » ou « unifiée » s’est constituée avec le temps, à l’intérieur de la communauté. De quels éléments s’agit-il? Qu’est-ce qui, concrètement, a été tu ou évacué?

PRT – D’abord, il faut dire que les déterminants externes à la guerre n’ont pas disparu après la guerre et que les colonialismes canadien et québécois entre autres, intériorisés à géographie variable, ont continué d’opérer. En particulier, la Guerre du saumon est loin d’être un récit glorieux pour les Euroquébécois; révéler ces récits peut engendrer des réactions très négatives, surtout chez les nationalistes. Il est encore tabou de parler du racisme envers les Premiers Peuples au Québec, les gens préfèrent généralement parler de « réconciliation » et de « métissage » comme façon d’échapper à la vérité portée par ceux qui ont vécus la guerre. En fait, les récits démontrent avec virulence la violence, le racisme, le négationnisme de l’époque en lien avec la souveraineté ancestrale innue, entre autres choses. Les politiciens nationalistes se sont très mal comportés comme en témoigne éloquemment le film d’Alanis Obomsawin Les évènements de Restigouche qui aide à se replonger dans cette époque trouble et aide à sentir la manière dont les Premiers Peuples étaient traités à l’époque par le gouvernement du Québec en particulier. Ces épisodes tendent à être effacés automatiquement par les Euroquébécois qui veulent garder une image positive d’eux-mêmes et protéger l’idée qu’ils se font de leur histoire, ce qu’ils se racontent par rapport à eux-mêmes, de leur idole aussi, René Lévesque. Ces visages du Québec sont difficiles à révéler également et c’est un déterminant majeur de l’oubli et de l’effacement de l’évènement, compte tenu de l’influence de la mémoire sélective québécoise sur les Essipiunnuat.

En ce qui concerne l’occultation de certains aspects de notre mémoire collective, un élément central, et il y en a plusieurs, est le fait qu’avec le temps le régime interne de la communauté est devenu de plus en plus monocratique, et c’est décrit en détail dans le livre. Cette réalité, qui n’était pas l’objet du livre au départ, en est devenue centrale. Comme dans tous les régimes qui deviennent monocratiques, c’est la participation collective, la participation de tous et toutes dans une œuvre collective qui avec le temps va être réinterprétée comme l’œuvre d’une cellule de quelques personnes et éventuellement d’une seule personne. On peut dire sans trop se tromper, pour paraphraser Orwell, que celui qui contrôlait le présent en est venu à contrôler le passé, et qu’en contrôlant le passé il en est venu à contrôler l’avenir. J’explique les effets de la monocratie sur le rapport des Essipiunnuat à leur passé dans la postface du livre intitulée L’intériorité des leaders comme enjeu public. C’est crucial de comprendre le rôle des leaders locaux dans le design de nos mémoires, dans l’écriture d’un récit selon la chronologie de leurs actions et à la gloire de leur grandeur. C’est un phénomène fascinant.

On voit clairement dans les récits du cours de la guerre que les héros ne sont pas les mêmes mis en scène publiquement 40 ans plus tard. Il n’y a pas eu un héro mais plusieurs héros, plusieurs résistants. La résistance est une réalisation collective, comme un filet dont les mailles émergent de toutes nos relations, de la force de nos liens. À travers les récits des participants, en croisant tout ce que les gens m’ont dit sur les figures et personnages de la guerre, on voit bien la dimension collective, l’esprit collectif du mouvement au départ. N’est-ce pas la promesse de l’histoire orale que de démocratiser la mémoire, de rendre justice à l’action de chacun dans la construction des œuvres collectives? La communauté a été construite par tous ses membres et la chronologie des actions d’un seul dirigeant peut faire ombre à la réalisation des personnes, et ne pas rendre fidèlement compte de l’expérience collective.

Donc, ce sont les récits individuels, en particulier des résistants qui ont été subséquemment marginalisés du pouvoir, qui sont les plus absents. Alors d’une part, Thou Shalt Forget permet de questionner qui on était à l’époque, ainsi que toute la normativité de cette mémoire, mais aussi d’autre part de s’interroger sur les raisons de l’effacement et de l’absence de ces récits de la guerre dans le présent, entre autres en raison justement de la distance qui a été prise entre les normes ayant émergées dans le cours de la guerre et l’ordre social actuel. Gardons à l’esprit que la mémoire de la résistance et de l’affirmation de la souveraineté ancestrale demeure un puissant socle permettant d’évaluer le présent, sinon de critiquer l’ordre actuel des choses, incluant la relation à l’État et à la terre, la québécisation de notre mémoire et l’avancée de la bureaucratie et des valeurs néolibérales. Avec d’autres déterminants de l’oubli de la résistance, il y a certes l’évacuation stratégique de certains aspects de l’expérience du groupe pour restreindre la capacité d’évaluation et de critique du pouvoir dans le présent, effacer le colonialisme québécois, légitimer des modes de contrôle social et une certaine vision de la politique voyant l’indigénéité comme une maladie à guérir; et favorisant, consciemment ou pas, l’assimilation au sein de la culture dominante.

PNN – J’aimerais poursuivre et te poser une question par rapport aux représentations, à l’auto-représentation et aux manières de se raconter et de se comprendre soi-même durant la guerre. Tu suggères qu’une esthétique de la lutte prend forme dans les mémoires de la Guerre du saumon, alors que les récits mythifient notamment certaines figures qui ont pris part à la guerre. Ne penses-tu pas que cette mythification de figures du passé rend difficile la mobilisation de l’esprit de la lutte dans le présent?

PRT – Au contraire, il me semble que cette réémergence de figures centrales à l’esprit de la génération passée libère des modèles justement possibles à actualiser dans le présent, elle libère un imaginaire insurrectionnel aussi proche qu’absent et une esthétique de la résistance. Ces figures émanent des récits des gens eux-mêmes et sont, dans le livre, la co-construction des participants eux-mêmes. Je rends compte de la manière dont les gens me l’ont raconté. Déjà, ils étaient généralement bouleversés au moment d’en parler : il y a quelque chose d’aussi important qui s’est produit il y a 40 ans, et personne n’en avait reparlé, pas même entre eux. C’est-à-dire que les jeunes n’en avaient jamais entendu parler et que les vieux n’en avaient jamais parlé. C’est fascinant! Et donc en les écoutant parler, dans toutes leurs émotions, ça commençait à se déployer et je voyais des récurrences très claires. On me parlait de tel ou tel personnage, avec tous les sentiments accompagnant le fait de se replonger dans ce soi passé. Lorsque les personnes commençaient à en parler, j’observais des changements dans leur comportement, des altérations qui témoignent véritablement de la prégnance d’un soi-passé collectif et de la normativité de la mémoire. Les Aînés parlent aussi abondamment dans le livre des enjeux entourant la mobilisation des jeunes citoyens Essipiunnuat dans le présent mais définissent justement la transmission intergénérationnelle et la connaissance d’une certaine pédagogie de la Guerre du saumon, avec les savoirs qu’elle implique, comme un déterminant majeur pouvant optimiser la lutte dans le présent.

Enfin, la normativité contenue dans ces mémoires est étonnamment antinomique avec ce qu’on est « apparemment » devenu, avec le type de discours, le type de dispositifs de pouvoir qu’on observe présentement. Donc oui, c’est un conflit profond que nous avons avec nous-mêmes, et d’actualiser cette mémoire peut avoir des effets étonnants dont la nostalgie exprimant la distance d’avec ce que nous étions et la critique sociale de ce que nous sommes, mais libère en même temps ce que nous pouvons devenir.

Alors finalement la question à laquelle j’essaie de répondre, vers la fin du livre, est donc celle à savoir plus largement en quoi le fait de se replonger dans les mémoires de la guerre change l’évaluation du présent, une question de mnémohistoire à savoir en quoi le passé peut être un miroir du présent.

PNN – En lisant, je me suis posé une question que je me pose souvent, qu’on se pose nécessairement lorsqu’on parle de ce qui se passe à l’intérieur de nos communautés. Quels genres de risques penses-tu que ça peut avoir, de faire « sortir » la critique à l’extérieur, à l’extérieur de la communauté? Je pose la question, parce que je me la pose très souvent.

PRT – Plusieurs des Aînés que j’ai rencontrés ont réitéré le rôle central que devait jouer l’honnêteté pour la guérison et le renforcement de nos relations familiales et communautaires. Si certains politiciens me disaient que j’étais trop « honnête » pour être considéré comme raisonnable, les Aînés de l’autre côté me disaient qu’il n’est raisonnable de penser une guérison et un avenir qu’à travers une posture d’honnêteté et que c’est du cercle et du partage de nos récits que peut émerger une logique supérieure. Tandis que dans le milieu politique de la communauté il y avait ceux qui me disaient de garder le silence pour ne pas déplaire aux « abuseurs », les gens proches de moi, tant à l’interne qu’à l’externe, me disaient : « On a besoin d’entendre cette histoire-là. On a besoin de savoir ce qui s’est passé et ce qui se passe. » Alors j’ai continué à avancer. À travers Essipit et ces espaces habités depuis des millénaires par les Premiers Peuples, c’est un peu l’archéologie du colonialisme en Amérique dans ses phases avancées qu’on peut effectuer. Rappelons que la critique vient des gens eux-mêmes, d’abord, et que cette critique ne s’adresse pas seulement aux Essipiunnuat mais la critique est aussi celle du régime constitutionnel canadien, et du Québec. Les histoires, dans cette recherche, racontent aux autres ce qui se produit s’ils jouent aux « bons Indiens » – voilà jusqu’où ira l’assimilation, voilà ses conséquences sur notre conscience de nous-mêmes, sur la défense de nos terres ancestrales. Si le livre inclut certes des critiques très dures du pouvoir interne, il honore avant tout les gens de la communauté. Ce qui est dit sur le pouvoir est quelque chose de bien connu et ayant été vécu dans la communauté. Le livre s’adresse certes aux Essipiunnuat, mais aussi à tous les Innus parce qu’Essipit, en se disant une communauté « innue », a une responsabilité face aux autres communautés.

Le trésor d’Essipit, ce n’est pas seulement ses entreprises communautaires et son économie originale ou ce que les slogans touristiques en disent. Sans sous-entendre que ce n’est pas un bel endroit, bien au contraire, je l’adore, mais il n’y a pas seulement ça : ce développement économique ne guérit pas les blessures profondes. Alors avec le temps, entre ce matérialisme, le racisme intériorisé, les questions d’identité, de racialisation, d’essentialisation, Essipit se retrouve à un carrefour où on peut faire une archéologie de toutes les étapes du colonialisme, et c’est un travail qui doit se faire.

Donc évidemment, j’ai pris les précautions nécessaires au niveau de l’éthique de la recherche en tant que telle. Mais tout ce qui se retrouve dans le livre, ce sont des choses connues et vécues dans plusieurs communautés – le colonialisme nous affecte tous. Alors pour ne pas créer de pression individuelle sur certaines personnes, et pour ne pas non plus mettre l’accent sur des individus, on a décidé de protéger l’anonymat. Cela dit notre communauté souffre du colonialisme et de la reproduction de ce dernier dont je parle dans le livre, et que peu de personnes ont la possibilité de mettre en lumière. Le défi a été de trouver un équilibre entre d’un côté l’histoire de la résistance et de l’autre nos zones d’ombre qui produisent et reproduisent des formes de tyrannie face à nous-mêmes, et dont on ne peut pas faire l’économie dans notre réflexion.

PNN – Tu me diras si je sur-interprète, mais j’ai l’impression que le livre entend aussi, en plus de décortiquer ce qui s’est produit et se produit à Essipit, faire le lien entre les effets des mêmes processus dans différents contextes.

PRT – Oui, entre autres de comprendre plus largement le commandement d’oublier et les aspects psychologiques du colonialisme vécus par les colonisé.e.s, et les effets de l’oubli aussi, entre autres sur la transmission intergénérationnelle et le consentement et aussi la résistance. Comment on en arrive à faire le récit de notre absence, comment on intériorise le concept du terra nullius au point d’être convaincu qu’on n’existe pas, d’expérimenter le sui nullius? C’est l’enjeu numéro un : comment peut-on défendre une souveraineté ancestrale si nous n’en connaissons pas les fondements, si nous ne connaissons pas la philosophie du droit innue? Comment résister à la vente et la destruction de nos terres ancestrales si nous ne connaissons pas notre relation profonde à la Terre et aux vies qui soutiennent les autres, sources de nos obligations et de notre responsabilité dont nous héritons de nos ancêtres et grands-parents? Ce qui nous aide le plus, en tant que colonisé.e.s, plutôt que de se détester nous-mêmes, c’est de se demander comment on est arrivé là, c’est-à-dire de comprendre le processus et la production pour comprendre que les choses peuvent être autrement, que notre situation actuelle est le résultat d’une histoire, de politiques d’oppression visant justement à nous anéantir. C’est l’équilibre que j’ai essayé de trouver, entre la mise à nu des designs de l’annihilation et les possibilités de transformer les choses, de penser la réversibilité et des formes nouvelles d’autodétermination effective.

Les enjeux afférents à la protection de la terre et de la dignité humaine, à savoir comment résister efficacement aux gouvernements et aux grandes corporations, sont plus actuels et universels que jamais.

PNN – Je pense, ou à tout le moins c’est la manière dont j’ai reçu et senti ce que je lisais, que ces conclusions sont et seront utiles mêmes au-delà des contextes nord-américains, et au-delà des contextes coloniaux d’occupation à proprement parler. C’est-à-dire que dans les contextes qui ont vécu et vivent le colonialisme autrement, je pense notamment aux peuples africains, ces choses ont le potentiel de résonner énormément. Après Thou Shalt Forget, ou dans sa continuité, vers où se dirigent tes recherches?

PRT – Je continue certes à étudier les formes d’abus de pouvoir, le racisme intériorisé et surtout la misogynie et ses effets, en autre via le personnage d’« Atshen » au sein de la tradition orale innue, aussi connu comme les Wetiko au sein de la grande famille anishnabe. Libérer la parole des femmes, des grands-mères, est prioritaire pour des raisons de vérité, de justice et de guérison. C’est mon obligation d’écouter et de permettre au plus grand nombre possible de femmes de faire confluer leurs récits dans une nouvelle trame nous permettant d’accéder à une contre-histoire, d’une histoire occultée, oppressée, en lien avec la Terre. C’est une question de santé collective d’entendre enfin la voix des femmes, leur critique du pouvoir des hommes et des dirigeants, leur vérité. Les abus de pouvoir des hommes, leurs effets intergénérationnels, et le silence qui les entoure sont un déterminant majeur de l’oubli et de la transmission. Donc libérer les récits des femmes et interroger le silence des hommes me semble prioritaire.

Mais les travaux de ma nouvelle chaire de recherche portent plus généralement sur les traditions intellectuelles autochtones afférentes à l’autodétermination au sein de nos histoires et traditions orales. Maintenant que j’ai creusé la question de l’oubli culturel et les obstacles nous séparant de nos héritages et inventaires d’expériences, je continue de plus bel à sortir des archives, d’un côté, les trésors d’oralité et témoignages de nos ancêtres et des Aînés et, de l’autre, à conduire des récits de vie dans le présent avec des gens s’étant battu pour protéger la terre et l’humain. La tradition orale est importante mais les récits de vie d’Aînés et des porteurs de savoir sont aussi centraux pour guider nos actions dans l’avenir, entre autres pour libérer notre imagination politique, mieux résoudre ensemble nos conflits et problématiques communes et optimiser nos capacités d’autodétermination. Ils savent que les choses ont été autrement et qu’elles peuvent, sinon doivent, être différentes pour préserver nos vies mais aussi la vie sur Terre. Dans ce nouveau corpus de récits que mon groupe de recherche constitue, j’y étudie nos ordres juridiques anciens et lois, mais aussi les conceptions de souveraineté ancestrale qui s’y déploient et comment ces obligations envers la terre peuvent se conjuguer et se configurer dans le présent. Ensuite, je travaille sur de nouveaux modèles d’autodétermination effective dont les designs prennent leurs sources dans nos traditions intellectuelles, dans nos épistémologies et récits, dont des prototypes de communautés autonomes expérimentales à l’extérieur des réserves sur les territoires ancestraux; des communautés fondées sur les valeurs et visions de nos philosophies anciennes et utilisant des technologies de pointe à bon escient, dont l’hologramme, pour renforcer nos autonomies, comme nos Ancêtres l’ont toujours fait.

Enfin, mon travail consiste à voir quels peuvent être et quels vont être les remèdes, de l’intérieur. Mon laboratoire organise ainsi des cercles et des mini-task force rassemblant des acteurs de diverses communautés faisant face à des enjeux et problématiques communes. Je poursuis toujours la même vision de faire confluer les personnes, les idées et les actions en vue d’engendrer une plus grande capacité à disposer de nous-mêmes, comme personnes, familles, communautés et peuples.  Je travaille depuis plus de 20 ans à agir pour la décolonisation au Canada et rendre effective la transition constitutionnelle : comment sortir de ce régime constitué pour annihiler et refonder nos vies collectives à partir de nos souverainetés ancestrales et riches épistémologies, et non dans des structures visant explicitement notre annihilation et conçues sur mesure pour que l’on abandonne nos terres ancestrales. Ce travail doit nécessairement se faire à partir d’un rétablissement de nos perspectives et récits comme points de référence valables.

PNN – Dépasser la critique, se nourrir de la critique plutôt que de culminer sur la critique.

PRT – Assurément, une critique de notre relation au passé pour mieux accéder à nos riches mémoires et traditions intellectuelles; une critique de l’ordre établi et des structures coloniales en mettant le doigt sur leurs finalités inhumaines et blessantes pour mieux exprimer nos besoins et aspirations; une critique de notre relation à la vie pour libérer un imaginaire politique nous permettant d’envisager une vie sur la terre et un mode de vie cohérent avec nos obligations envers les générations à venir. La critique de nos fondements épistémiques, de nos présupposés pour libérer l’esprit, la parole, le cœur et l’action; et se penser, non pas en vertu du mal qui nous a été fait, mais en vertu du bien que nous nous ferons, de notre potentiel de bienveillance, d’entraide, de respect de la terre, d’amour véritable de la vie. Mes prémisses de bases sont la Terre et l’Humanité comme évidence fondamentale. Le reste, nous l’écrirons ensemble.


[1] Innus d’Essipit, et plus exactement « Humains de la rivière-aux-coquillages ».

[2] « Notre terre » en innu-aimun.

[3] Voir la légende de l’image d’entête.

[4] Charest cite Garneau. Charest, P. (2005). « Les assistants de recherche amérindiens en tant que médiateurs culturels: expériences en milieux innu et atikamekw du Québec », Études/Inuit/Studies, 29: 1-2, pp. 115–129.