Les prisons pour migrant·e·s ne sont pas une solution humaniste

Publié le 26 septembre 2019

Lettre de soutien à la mobilisation contre la prison pour migrant·e·s à Laval

Depuis presque un an, un réseau d’organismes et d’individus lutte activement contre la construction d’une nouvelle prison pour migrant·e·s à Laval. Or, cette campagne se trouve menacée par le recours aux tribunaux par l’entreprise Tisseur Inc. Nous considérons que cette initiative établit un dangereux précédent.

Alors que tous les regards sont rivés sur les États-Unis et le mouvement de contestation contre les établissements de détention considérés par certains comme des « camps de concentration », le Canada demeure plus ou moins épargné par les critiques.

Pourtant, l’État canadien dispose bel et bien de sa propre infrastructure dont le rôle est de contrôler le mouvement migratoire en détenant de manière indéfinie et en expulsant plusieurs milliers de personnes. Si les Canadiennes et les Canadiens compatissent avec le sort des personnes migrantes et réfugiées aux États-Unis, pourquoi ne le seraient-ils pas avec celles et ceux qui voient non seulement leurs droits bafoués, mais également leur vie menacée?

Le mythe du Canada « bon samaritain » : la détention n’est pas une solution humaniste

Ainsi, en 2017-2018, le Canada a détenu environ 8 355 personnes, dont 151 mineur.e.s (sept n’étaient pas accompagnés par un adulte), dans ce que le gouvernement canadien appelle des « centres de surveillance de l’immigration » (CSI). Derrière ce langage orwellien se cache le fait que ces établissements ne servent qu’à une seule chose : séquestrer des individus que l’État canadien, tout comme certains médias, présente comme un « danger » pour la population. La réalité est tout autre : dans la  très grande majorité des cas, les personnes sont détenues par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) pour des motifs administratifs. À ce propos, il est important de souligner que les agent·e·s de l’ASFC agissent autant en policier·ière·s de l’immigration, qu’en procureur·e·s de l’État et parfois même en juges.

Ce sont là des pouvoirs tout à fait extraordinaires qui sont les réminiscences de l’histoire de ce pays en ce qu’ils sont étroitement liés aux pratiques et politiques coloniales, racistes, capacitistes et discriminatoires du Canada. En effet, l’État canadien stigmatise depuis sa fondation certains groupes en fonction de leur appartenance nationale, raciale ou ethnique, à commencer par les peuples autochtones.

Par ailleurs, en raison du mythe de « bon samaritain » que le Canada s’est construit et continue de propager, la population canadienne peine à reconnaître le registre sanglant des violations et des violences dont est responsable ce pays et ses compagnies non seulement sur les terres volées aux Premiers Peuples, mais aussi à travers le monde comme en Amérique latine et en Afrique. Le mouvement des populations du Sud vers le Nord que nous observons n’est pas le fruit du hasard.

Le contexte actuel n’a donc rien d’atypique. En effet, le passé n’est jamais que le passé, ce qui se passe là-bas ne se passe pas que là-bas, et ce n’est que lorsque la mémoire collective flanche que nous retournons aux vieilles impulsions chauvines. C’est pour s’y opposer que notre réseau a lancé une vaste campagne afin de faire arrêter la construction d’un nouveau centre de détention à Laval.

Briser la contestation en passant par les tribunaux

En juin 2019, Tisseur Inc., une entreprise sise à Val-David, a obtenu le contrat d’entrepreneur général pour construire le nouveau centre de détention à Laval. Le 5 août dernier, les travaux ont commencé. Espérant convaincre l’entreprise et son personnel de ce que signifie ce projet, nous avons organisé un piquet d’information devant le siège social de Tisseur à Val-David.  La compagnie a immédiatement réagi en se tournant vers les tribunaux : le 23 août, la Cour supérieure du Québec a accordé une injonction temporaire interdisant à Solidarité sans frontière de retourner au siège de Tisseur à Val-David. La compagnie vient d’obtenir une injonction permanente contre Solidarité sans frontières. Nous n’avons pas les moyens dont disposent les compagnies privées comme Tisseur afin de défendre nos droits.

C’est donc dans l’urgence que nous écrivons cette lettre :  nous considérons qu’il s’agit d’un précédent dangereux qui ouvre la porte à l’usage du système de justice pour intimider et faire taire les contestataires. Dans le passé, la société minière aurifère canadienne Barrick Gold a également eu recours aux tribunaux pour empêcher la publication de l’ouvrage Noir Canada. Dans les deux cas, l’objectif est de censurer, d’intimider et de faire taire les critiques.

Peu importe la décision des tribunaux, nous avons le droit — et le devoir — de faire entendre notre voix : l’emprisonnement « humain » n’existe pas. Ce ne sont pas les conditions de détention qui sont en cause, mais le système lui-même qui profite de la vulnérabilité de personnes migrantes et réfugiées. C’est contre cela que nous nous opposons et continuerons à nous opposer.

Signataires[1]

Solidarité sans frontières, Alternatives, Centre Afrika, Centre des femmes de Laval, Centre des femmes solidaires et engagées, Centre for Gender Advocacy, Centre international de solidarité ouvrière (CISO), Centre justice et foi, Coalition contre la répression et les abus policiers (C.R.A.P), Collectif opposé à la brutalité policière (COBP), Comité d’action de Parc-Extension, Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL), Conseil central du Montréal métropolitain-CSN, Fédération des femmes du Québec, Hoodstock, Leap Montreal – Saut Montréal, La Ligue des droits et libertés, Le Collectif Ensemble avec les personnes migrantes contre le racisme, Le Projet Accompagnement Québec Guatemala (PAQG), Planners Network-Montréal, P.O.P.I.R. – Comité Logement, Pour une dignité politique, Projet Accompagnement Solidarité Colombie (PASC), QPIRG Concordia, QPIRG McGill, Services juridiques communautaires de Pointe Saint-Charles et Petite-Bourgogne, Solidarité Sans Frontières-Sherbrooke, Stella, l’amie de Maimie, Table de concertation de Laval en condition féminine (TCLCF), The Union for Gender Empowerment Collective, Voix juives indépendantes – MTL, Women of Diverse Origins-Femmes de diverses origines.


[1] Pour ajouter votre organisation, veuillez écrire à solidaritesansfrontieres@gmail.com.