Les rébellions de 1837-38 : la situation à Québec*

Publié le 2 février 2011

Luc Nicole-Labrie

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On pourrait vaguement qualifier de révolution « de la faim » ce qui se passe ces jours-ci dans certains pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. C’est une simplification, mais la Tunisie (suivez les informations sur The Guardian et un dossier sur Libération.fr) et l’Égypte (The Guardian, Cyberpresse.ca), sans parler du Yémen, de la Jordanie ou même de l’Algérie plus tôt en janvier voient tantôt des manifestations populaires ou tantôt des gouvernements qui tombent au nom de meilleures conditions de vie (emploi, logement, nourriture). Rien, au Québec n’a jamais pris cette proportion en termes de mouvement populaire. Mais en matière de soulèvement, le Québec a bien connu les rébellions de 1837-38 (ou rébellions des patriotes).

Source : consultation en ligne, 30 janvier 2011.

Pendant le soulèvement des patriotes, Québec est la capitale de la colonie du Bas-Canada. En ce sens, elle est le siège de l’Assemblée législative, celle-là même où les élus du Parti patriote (nommé Parti canadien avant 1826 et dirigé par Louis-Joseph Papineau) travaillent et y ont fait adopté les 92 résolutions le 21 février 1834. Ce « programme » se confirme à travers l’élection plébiscitaire de l’automne 1834, où 77 représentants sur 84 sont patriotes, incluant des anglophones. Présentées simplement, les 92 résolutions étaient un ensemble de 92 propositions pour réformer le système parlementaire colonial. Parmi les principaux défenseurs de ces résolutions se trouve Elzéar Bédard (ci-haut), premier maire de Québec, un patriote modéré.

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Source : R.J. Lane, « Archibald Acheson, governor of British North America» (1828), consultation en ligne, 29 janvier 2011.

Pour réagir, Londres nomme, à l’été 1835, Archibald Acheson, comte Gosford, pour remplacer Lord Aylmer en tant que gouverneur du Bas-Canada. Aylmer avait maladroitement tenté de mettre les patriotes au pas, s’attirant les foudres d’une grande partie de la population. Gosford se présente rempli de bonnes volontés et prononce un premier discours accueilli très favorablement :

[…] Quant à l’impression générale qu’il nous a paru produire, elle est favorable sans contredit, et il a fait concevoir des espérances, celle surtout que nous aurions une session fructueuse, chose de grande importance à la suite de deux sessions qui ont été sans résultats pour les besoins ordinaires du pays. (Le Canadien, mercredi 28 octobre 1835, p.2)

Cette possible lune de miel est de courte durée, alors que des informations en provenance du Haut-Canada confirment aux patriotes que Gosford n’a pas la liberté pour répondre aux demandes issues des 92 résolutions. Les travaux de l’assemblée seront inévitablement ralentis par cette crise. On essaie certes de continuer de réformer les institutions avec des démarches plus symboliques qu’efficaces, notamment avec la tentative de réforme constitutionnelle menée par le député patriote Augustin-Norbert Morin (ci-bas), du comté de Bellechasse, en 1836.

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Source: Théophile Hamel, « L’honorable Augustin-Norbert Morin, Président de l’Assemblée législative de la province du Canada, 1848-1851 » (1854), La Chambre des communes, collection patrimoniale, numéro O-430, consultation en ligne, 20 janvier 2011.

Mais l’hiver 1836-37 sera rude, du point de vue de la politique. Le ministre de l’intérieur britannique, John Russell, écrit 10 résolutions qui rejettent intégralement celles des patriotes. Cette nouvelle, qui atteint Québec au printemps, donne lieu à de grandes assemblées publiques, un peu partout dans la colonie.  La plus courue dans la ville est celle du 4 juin, organisée par A-N Morin où le rédacteur du journal Le Canadien affirme avoir compté plus de 2000 habitants (5 juin 1837, p. 2). Mais les tensions grimpent dans la ville entre patriotes modérés, radicaux et sympathisants britanniques. Ces tensions éclatent rarement en affrontements violents, mais des escarmouches entre sympathisants (patriotes d’un côté et « constitutionnalistes » de l’autre) et du vandalisme sur leurs locaux respectifs sont communs, surtout quand viennent des élections (c’est le cas de la partielle du début juillet 1837 où les combats ont « fait couler beaucoup de sang » (Le Canadien, 7 juillet 1837, p.2).

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Source : « Robert Shore Milnes Bouchette », consultation en ligne, 30 janvier 2011.

À Québec, les patriotes les plus en vus sont cependant des modérés : en plus de Bédard et Morin, on pense aux députés Amable Berthelot et George Vanfelson. Mais Robert S. M. Bouchette (ci-haut), un patriote radical (et fondateur du journal patriote bilingue Le Libéral) et ses partisans prennent beaucoup de place. Les deux groupes seront dans une situation pratiquement irréconciliable dès le début de l’été 1837. On sait alors qu’un affrontement est imminent. Le plus important affrontement à Québec se déroule le 19 novembre 1837 entre plusieurs centaines de patriotes et de constitutionnalistes, en marge d’un discours de l’avocat patriote J-Édouard Turcotte (ci-bas). Les avertissements en vue de l’interdiction complète des assemblées se poursuivent.

L’honorable Joseph-Édouard Turcotte

Source : Théophile Hamel, « L’honorable Joseph-Édouard Turcotte, Président de l’Assemblée législative de la province du Canada, 1862-1863 » (1865), La Chambre des communes, collection patrimoniale, numéro O-431, consultation en ligne, 20 janvier 2011.

Il est également connu que les affrontements des rébellions auront surtout lieu dans la vallée du Richelieu. Durant l’hiver 1837-38, Québec, ville de garnison, est sous le coup de sévères règles de police urbaine dont un couvre-feu imposé par une milice « constitutionnaliste », levée rapidement pour remplacer l’armée mobilisée dans la vallée du Richelieu. L’absence des députés (la dernière session parlementaire, qui débutait le 18 août 1837 était prorogée le 26 août) et le climat s’apparentant à l’occupation ont maté bon nombre de patriotes de Québec, souvent plus enclin à la discussion qu’au combat et au soulèvement.

*Publié sur Histoire et Société.