Lorsque le Canada a ouvert le feu sur ma Kokum Marianne avec une mitrailleuse Gatling

Publié le 12 novembre 2019

Affiche par Jerry Thistle, texte par Jesse Thistle et traduction par Florence Prévost-Grégoire

Avant 1870, la vie métisse s’organise autour de la colonie de la Rivière Rouge (CRR), là où se situe aujourd’hui Winnipeg. En 1869, après deux siècles de commerce réciproque entre les Premières Nations, les Métis·ses et les Européen·ne·s, la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) vend la Terre de Rupert au Canada, sans consulter les habitant·e·s autochtones de la région. La Terre de Rupert était un vaste territoire près de la baie d’Hudson et qui avait été arbitrairement cédé à la CBH en 1670 par le roi anglais Charles II. La charte de la CBH expirait en 1869, ce qui explique la vente du territoire au Canada. L’Angleterre en avait assez d’administrer la Terre de Rupert, qui, depuis les années 1860, n’était plus profitable.

Contrarié·e·s par le fait que leur territoire ait été vendu sans consultation en 1869, les Métis·ses, sous le leadership de Louis Riel, prennent les armes contre le Canada. Suite à la réussite de cette première résistance et à une série de négociations, les Métis·ses entrent dans la Confédération canadienne avec la Loi sur le Manitoba de 1870 (acte fondateur de la province du Manitoba). Le premier ministre Sir John A. McDonald n’honore cependant pas les termes de l’accord et, dans les années 1870, les Métis·ses perdent le territoire de Rivière Rouge à cause de l’arrivée massive de colons. Le Canada escroque les Métis·ses de Winnipeg en concédant instantanément des terres aux nouveaux immigrant·e·s anglo-ontarien·ne·s tout en bloquant les revendications territoriales des Métis·ses.

En 1873, les colons canadiens occupent près de 40 000 acres de terres dans les environs de Winnipeg – un déplacement qui pousse une foule de Métis·ses sans terres vers la Saskatchewan. À Batoche, en Saskatchewan, durant la Résistance du Nord-Ouest de 1885, les Métis·ses reprennent les armes pour défendre leurs terres contre un État-nation canadien toujours en expansion. Les Métis·ses vivent alors une défaite tragique. Le Canada réprime brutalement les défenses autochtones en envoyant une armée de plusieurs milliers de soldats armés, la Police montée du Nord-Ouest (PMNO), et une mitrailleuse Gatling pour combattre les centaines de Métis·ses mal équipé·e·s. En rétrospective, l’épisode de Batoche était une lourde démonstration du pouvoir de l’État contre les familles métisses – enfants et personnes âgées, femmes et filles, maris, frères et cousins – qui ont été attaquées et tuées alors qu’elles essayaient de protéger leur maison et leur mode de vie.

C’est lors de cet incident dévastateur à Batoche que l’on retrouve la combattante rebelle métisse de 16 ans, Marianne Morissette, née Ledoux. Selon ses descendant·e·s, Marianne cuisinait pour Louis Riel le jour où le général canadien Middleton ouvre le feu sur la ville de Batoche avec des canons et une mitrailleuse Gatling. Dans le feu de l’action, on dit que Riel aurait attrapé Marianne et l’aurait lancée à travers une fenêtre pour lui sauver la vie; elle se serait ensuite échappée dans la brousse. Traumatisée par la dévastation de Batoche et par la persécution des Métis·ses pendant des décennies après la Résistance du Nord-Ouest, Marianne aurait vécu dans la peur pour le restant de sa vie, se rappelant les souvenirs du temps où Sir John A. McDonald et les soldats canadiens terrorisaient et pendaient son peuple.

Texte sur l’affiche :

Batoche 1885

Quand le Canda a ouvert le feu sur ma Kokum Marianne avec une mitrailleuse Gatling.

Lorsque le Canada assiégea la ville métisse de Batoche, du 9 au 12 mai 1885, durant la résistance du Nord-Ouest, Marianne Morissette, âgée de 16 ans, était dans un des édifices touchés par les balles. Elle a failli y laisser sa peau.

Biographies

Jesse et Jerry Thistle sont des Métis-Cree de réserves routières de la Saskatchewan. Leur mère est une Métisse-Cree de Big River en Saskatchewan, et leur père est un Algonquin-Écossais de Toronto. Jesse, l’auteur, récipiendaire de la bourse P.E. Trudeau et de la bourse Vanier, a obtenu la médaille d’argent du Gouverneur général et est candidat au doctorat en histoire à l’Université de Toronto. Jerry, l’illustrateur, est un artiste multimédia qui se spécialise dans l’encre, la peinture, le crayon et le fusain et une diversité d’autres médiums, thèmes et formes d’expression artistique. L’héritage autochtone de Jerry influence son art et sa façon de connecter avec sa culture en plus de lui permettre de partager la riche histoire de sa famille. Les recherches de terrain de Jesse durant les étés 2013, 2014 et 2015 lui ont fourni les données nécessaires pour créer la trame narrative de cette affiche qui raconte la poignante histoire de leur arrière-grand-mère Marianne Morissette. Elle est le résultat de la fusion entre le travail de recherche de Jesse et la passion de Jerry pour l’expression de son autochtonité par l’art.

Pour en savoir plus

Adams, Howard, « Ottawa Invades the Northwest » dans In Prison of Grass: Canada from a Native Point of View, Toronto : New Press Toronto, 1975, p. 89-110.

Barkwell, Lawrence J., Veterans and Families of the 1885 Northwest Resistance, Saskatoon, SK : Gabriel Dumont Institute, 2011.

Podruchny, Carolyn et Jesse Thistle, « A Geography of Blood: Uncovering the Hidden Histories of Metis Peoples in Canada » dans Lehmkuhl, Ursala, Hans-Jurgen Lusebrink et Maurence McFalls (dir.), Spaces of Difference: Conflicts and Cohabitation, New York : Waxmann, 2016, p. 61-82.

Thistle, Jesse, « The Puzzle of the Morrissette-Arcand Clan: A History of Metis Historic and Intergenerational Trauma », MA thesis, University of Waterloo, 2016.