Nous sommes toujours là : parcs nationaux, dépossession coloniale et résilience autochtone

Publié le 17 septembre 2020
Image par Nancy Kimberley Philipps

Présentation : Wacey Little Light Traduction : Laure Henri

Pour de nombreux•ses Canadiens et Canadiennes, le réseau des parcs nationaux est une source de fierté et reflète un important effort collectif de conservation d’une nature « vierge » visant à faire profiter de ces espaces les générations futures. Cette affiche révèle toutefois un point de vue différent : la « conservation » des parcs nationaux canadiens est en effet vécue par plusieurs peuples autochtones comme la continuation du processus violent qu’est la colonisation.


À partir des années 1880, ainsi que tout au long des premières décennies du XXe siècle, le gouvernement fédéral a mis sur pied un réseau national de parcs dont l’objectif était la conservation et la marchandisation de zones « naturelles » – on cherchait ainsi à faire contribuer ces terres à l’économie capitaliste ainsi qu’au processus d’édification de la nation. Dans le cadre de cette opération, toutefois, de nombreuses communautés autochtones furent déplacées de force hors des limites nouvellement établies de ces parcs.

En 1885, mes ancêtres, ainsi que tous les autres peuples Niitsitapi et Îyâhe Nakoda, furent arrachés de leur territoire traditionnel (celui qui porte maintenant le nom de l’Alberta) afin de permettre la création du parc national Banff. D’abord baptisé Banff Hot Spring Reserve, puis Rocky Mountain Park, le parc de Banff fut le tout premier parc national du Canada. Depuis, plus de quarante parcs nationaux ont vu le jour sur le territoire qu’on considère aujourd’hui comme le Canada, chacun d’entre eux ayant sa propre histoire de dépossession coloniale.


Le réseau des parcs nationaux du Canada s’appuie sur l’effacement historique des Premiers Peuples ainsi que sur le mythe de la préservation d’une « nature sauvage » stérile. Les autorités qui étaient à l’origine responsables de la mise sur pied de ce réseau considéraient les Autochtones comme une menace au gibier sauvage et aux arbres, et ce en dépit du fait que, depuis des temps immémoriaux, nos peuples ont eu leurs propres systèmes de gestion écologique. Nous avons toujours fait partie intégrante du paysage naturel; chaque montagne, chaque rivière, chaque animal possède son propre nom dans les langues que ces terres ont mises au monde.


Le territoire qu’on appelle le Canada n’a jamais été une Terra nullius – il n’a jamais été une terre vide. Parcs Canada s’est servi de la « conservation » pour justifier la colonisation ininterrompue qui a eu lieu en Alberta et ailleurs. La « conservation » comprenait certes la protection de certains de nos cousins à quatre pattes, de nos Arbres Grand-Mères, de nos Rochers Grand-Pères et de nos Terres, mais plusieurs éléments ne furent pas protégés par cet effort de « conservation » : les bisons, chassés jusqu’à l’extinction presque totale afin de vider les plaines et forcer la soumission coloniale de nos peuples en les affamant; nos cultures et nos pratiques ancestrales liées à ces territoires, des pratiques considérées comme « primitives » et « sauvages » et qui devaient donc être détruites; nos enfants, arraché•e•s de force à leurs familles et envoyé•e•s dans des pensionnats alors même que plusieurs de ces parcs étaient en train d’être créés; nos femmes, nos filles et nos personnes bispirituelles qui, depuis l’arrivée des colons, ont été prises pour cibles.


Cette « conservation » ne concernait les peuples et les cultures autochtones que lorsqu’on jugeait que les touristes pourraient en profiter. Dans les années 1890, lorsque le réseau des parcs nationaux a eu besoin de divertir les touristes qui arrivaient par le chemin de fer du Canadien Pacifique, il a fait appel à nous, ces peuples qu’il venait tout juste de déposséder de leurs terres. Se déroulant à partir de 1894 jusqu’aux années 1940, les Jours des festivités indiennes de Banff ont été créés pour amuser les touristes dont étaient remplis les trains coincés à Banff. Les Autochtones devaient vivre dans des tipis, porter des habits « traditionnels » et danser, tandis qu’au même moment des Canadiens et des Canadiennes plaidaient en faveur de notre expulsion des terres et de notre assimilation. Nos peuples étaient invités à danser pour les touristes en vacances qui pouvaient ensuite « visiter » notre territoire, devenu parc national.


Les touristes ignoraient toutefois que ces performances nous permettaient d’entretenir le lien qui nous unit à la terre. Car si nous avons effectivement été déracinés, notre connexion au territoire est demeurée intacte : nous utilisons encore à ce jour les mêmes espaces que nos ancêtres; nous cueillons toujours les herbes médicinales, nous touchons toujours les eaux. Nous exerçons toujours notre souveraineté sur notre territoire – vos parcs. Si nous avons dansé pendant les Jours des festivités indiennes de Banff, c’était pour conserver ce rapport à la terre, et nous continuerons ainsi de danser sur la Loi sur les parcs nationaux du Canada, comme on peut le voir sur cette affiche.


L’image utilisée pour l’arrière-plan de l’affiche est une photographie de la Two-Young-Man lodge de la nation Îyâhe Nakoda. Elle a été réalisée pendant les Jours des festivités indiennes de Banff de 1925 et est conservée aux archives Glenbow. L’image en avant-plan est un dessin qui représente Shenoa Show en danse libre sur le site de la ville de Banff, le 22 août 2017*. Bien que ces images évoquent deux périodes fort éloignées l’une de l’autre, elles dialoguent entre elles et s’éclairent l’une l’autre pour révéler la résilience et la résurgence des Autochtones. Ces images servent également de rappel à tous ceux et celles qui profitent actuellement des parcs nationaux : les Premiers Peuples font encore usage de ces terres. Nous ne les avons jamais quittées. Nous sommes toujours là. Les parcs nationaux ont toujours été et seront toujours des territoires autochtones.

Wacey Little Light (Stommikiisokkou) est membre de la nation Siksika, qui fait partie de la Confédération des Pieds-Noirs et qui est issue du Traité no 7. Il étudie au baccalauréat en écotourisme et en leadership de plein air à l’Université Mount Royal de Mohkinstsis (Calgary). Wacey se consacre à l’apprentissage et à l’enseignement des Savoirs ancestraux et traditionnels et il est également passionné par la création médiatique et artistique.


Nancy Kimberley Philipps (Ihtsiiyiaakíí) est une fxmme colonisatrice queer qui habite le territoire du Traité no 7 (soit les terres d’origine des Niitsitapi, des Îyâhe Nakoda, des Tsuut’ina et de la nation Métisse). Elle poursuit des études de maîtrise en anthropologie muséale à l’Université de la Colombie-Britannique, sur les terres non cédées des xwm? kw?y? m, skwxwu?7mes et selí lw it . Elle est aussi pédagogue, autrice et artiste.


*Nous tenons à remercier chaleureusement Shenoa Snow (Mountain Sage Woman; Holy Sun Woman), de la Nation Îyâhe Nakoda, de nous avoir permis de la dessiner en danse libre.

Pour en savoir plus:
Binnema, Theodore et Melanie Niemi. « ‘Let the Line Be Drawn Now’ : Wilderness, Conservation, and the Exclusion of Aboriginal People from Banff National Park in Canada ». Environmental History 11, no 4 (2006) : 724–750.


Clapperton, Jonathan. « Naturalizing Race Relations : Conservation, Colonialism, and Spectacle at the Banff Indian Days ».
Canadian Historical Review 94, no 3 (2013) : 349–379.

Francis, Daniel. The Imaginary Indian : The Image of the Indian in Canadian Culture. Vancouver, BC : Arsenal Pulp, 1992.


Jago, Robert. « Canada’s National Parks are Colonial Crime Scenes. » The Walrus,30 juin, 2017. https://thewalrus.ca/canadas-national-parks-are-colonial-crime-scenes/.

The Secret Life of Canada. Episode 1 : The Secret Life of Banff. Passport 2017, 35:20. 31 août, 2017. https://passport2017.ca/articles/episode-1-secret-life-banff.


Snow, Chief John. These Mountains are Our Sacred Places : The Story of the Stoney People. Calgary, AB : Fifth House, 2005.