Présences et absences : historiciser les (dis)continuités et (in)interruptions des voix et expériences autochtones*

Publié le 28 mai 2020

Jonathan Lainey, Brian Gettler, Philippe Néméh-Nombré, Adèle Clapperton-Richard et Christine Chevalier-Caron

 

Après avoir entendu cela, j’étais perplexe […] jamais je n’avais entendu mon père, ni les autres Innu, ni les vieux raconter cette histoire. […] Mon père est très âgé, il a quatre-vingt-onze ans. […] je lui ai aussitôt récité ce que j’avais entendu dire. […] mon père s’est mis à rire puis me confie : « Voyons, n’écoute pas ce mensonge. L’histoire que tu as entendue aujourd’hui, l’étranger vient de l’inventer ».

An Antane Kapesh, Je suis une maudite sauvagesse, 1976

Les enjeux autochtones actuels sont nombreux. L’héritage des pensionnats, le triste sort des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées, l’appropriation culturelle, les mascottes à l’effigie autochtone, la nouvelle affirmation identitaire des « Métis de l’Est », la « carte de statut autochtone » qui donnerait droit à des avantages hautement convoités, la précarité des langues autochtones (avec l’Assemblée générale des Nations Unies qui a proclamé 2019 l’année internationale des langues autochtones), les questions territoriales toujours non-résolues, ou l’histoire et les perspectives autochtones dans les manuels scolaires du Québec et ailleurs au Canada sont autant de sujets qui soulèvent les passions et polarisent les opinions. À chaque semaine, les médias abordent de tels sujets, mais le font rarement en profondeur[1]. Ce contexte social, politique et intellectuel est grandement influencé sinon propulsé par les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR), par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (UNDRIP) de même que par différents mouvements sociaux populaires tels Idle No More et les Water Protectors.

Les voix et discours autochtones sont en même temps, à ce titre, de plus en plus présents, visibles, entendus, bruyants. Les productions musicales, littéraires et théâtrales, le cinéma, les plateformes médiatiques ou encore les perspectives environnementales autochtones expliquent entre autres pourquoi un certain public apparaît friand d’informations sur ces sujets et souhaite mieux comprendre ce qu’il observe. Dans un contexte où beaucoup affirment sur la place publique une volonté de promouvoir la « réconciliation », il devient critique de sonder et de nuancer ce qu’on entend par ce terme tout en approfondissant les enjeux actuels à la lumière du passé, qu’il soit lointain ou très récent, ainsi que des présences autochtones.

Ce devoir est également criant au sein de l’enseignement, des recherches et de l’administration universitaires où, en plus de la réconciliation, on discute et débat des concepts connexes d’« autochtonisation » et de « décolonisation », souvent, comme nous signale une littérature interdisciplinaire croissante, sans avoir préalablement évaluer et mesurer leur sens et leur portée[2]. Des questions similaires se posent au sein d’un large éventail de nos institutions publiques, par exemple au niveau des écoles, des services policiers et des corps législatifs. Comment (et peut-on) autochtoniser et décoloniser ces institutions tout en s’engageant dans un processus de réconciliation au sein de la société au sens large si on ne sait toujours pas à quoi ces idées réfèrent clairement ?

Afin d’en débattre sous de nouveaux éclairages, nous invitons donc artistes, universitaires, étudiants-es, militants-es et autres à nous faire parvenir leurs contributions de types variés : articles de fond, textes de rubriques, essais, entrevues, recensions de livres, d’expositions, de colloques, de films ou de documentaires, textes biographiques, etc. Ces contributions peuvent explorer notamment les pistes suivantes:

  • Historiographie, commémorations, histoire publique et invisibilisée, enseignement de l’histoire
  • Dimensions historiques des enjeux actuels (militantisme, dépossession, violence, marginalisation, résistance)
  • Arts et esthétiques autochtones, responsabilité des artistes à l’égard des représentations
  • Invisibilisation, visibilisation et hyper-visibilisation
  • Affirmation, reconnaissance et existence(s) des Autochtones
  • Pratiques et pensées d’autochtonisation, de décolonisation et de réconciliation, expériences de résistance, solidarités
  • Colonialité(s), postcolonialité(s), décolonialité(s)
  • Territoires, spatialités et communautés
  • Enseignement et mise en récit de l’histoire autochtone
  • Perceptions à l’égard des Autochtones dans l’histoire nationale
  • Présence et absence dans les discours et les récits présents ou passés
  • Principes et pratiques de recherche en contexte autochtone
  • Autorité(s), juridiction(s), loi(s)

Histoireengagée.ca valorise l’analyse de l’actualité à la lumière de l’histoire, et les initiatives visant à questionner les oublis, silences, et stéréotypes qui traversent les récits « officiels » de l’histoire. N’hésitez pas à nous soumettre des propositions contribuant à l’une ou à l’autre de ces démarches.

Veuillez nous faire parvenir vos propositions sous forme de courtes présentations/résumés d’environ 250 mots d’ici le 15 juillet 2020, à l’adresse suivante : contributions@histoireengagee.ca. Les balises de rédaction varient selon la forme des contributions. Pour plus de détails, cliquez ici.

* Cet appel a été publié une première fois le 20 décembre 2018


[1] Bien-sûr il y a des exceptions. Par exemple, le site “Espaces autochtones” de Radio-Canada offre de l’information sur les grands enjeux et? se veut un lieu de parole pour comprendre l’actualité autochtone. De même, la deuxième série de documentaires radios d’Histoire d’enquêtes produites par Radio-Canada et la journaliste Anne Panasuk, « Chemin de croix », se penche sur des cas de disparition d’enfants autochtones: https://ici.radio-canada.ca/premiere/premiereplus/justice-fait-divers/5548/histoires-enquete-reportage-proces-affaire-judiciaire.

[2] Linda Tuhiwai Smith, Decolonizing Methodologies: Research and Indigenous Peoples, 2nd ed. (London: Zed Books, 2012); Eve Tuck and K. Wayne Yang, “Decolonization Is Not a Metaphor,” Decolonization: Indigeneity, Education & Society 1, no. 1 (2012), https://jps.library.utoronto.ca/index.php/des/article/view/18630/15554 ; Adam Gaudry and Danielle Lorenz, “Indigenization as Inclusion, Reconciliation, and Decolonization: Navigating the Different Visions for Indigenizing the Canadian Academy,” AlterNative: An International Journal of Indigenous Peoples 14, no. 3 (2018): 218–27