Proposition visant à améliorer les perspectives de carrière des diplômés en histoire au-delà du milieu universitaire

Publié le 16 mars 2017

Par Robert Talbot, pour la Société historique du Canada

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Vu de l’extérieur, le lien entre un diplôme en histoire et un emploi non universitaire rattaché à l’histoire est loin d’être évident. À titre d’instructeurs en Histoire qui tirent profit financièrement et intellectuellement des milliers d’étudiants qui assistent et participent à nos cours chaque année, il nous incombe de rendre le lien entre un diplôme en histoire et les emplois connexes à l’histoire plus évident pour les étudiants, les employeurs et le public en général.

L’étude et la pratique de l’Histoire doivent s’appuyer sur leurs propres mérites. Développer une compréhension plus nuancée et critique du passé est fondamental pour cultiver une citoyenneté informée, encourager un engagement critique envers la société et pour exprimer la vérité à ceux qui sont au pouvoir. De plus en plus, notre métier se fait dans un contexte idéologique qui tend à privilégier les affaires et les résultats économiques avant tout. Les administrateurs, les étudiants et même les parents demandent maintenant aux historiens de répondre aux inquiétudes entourant les carrières de récents diplômés en histoire.

On peut aisément comprendre ces préoccupations. Par exemple, selon le plus récent sondage mené auprès de diplômés des universités de l’Ontario, quelque 46 pour cent des diplômés en sciences humaines de la province de 2012 ont réussi à trouver du travail à temps plein qui soit « quelque peu apparenté » ou « étroitement lié » aux compétences qu’ils avaient développées à l’université avant 2014-2015. Parmi les diplômés en sciences humaines qui travaillaient, seulement 0,2 pour cent avaient trouvé du travail à titre de professeurs ou chargés de cours dans une université[1]. De toute évidence, nos étudiants doivent regarder ailleurs que dans le milieu universitaire afin d’identifier les possibilités de carrière qui correspondent à leurs intérêts et compétences, mais encore là, les perspectives sont incertaines.

Bien que les compétences acquises par les historiens puissent être employées de diverses façons dans l’économie moderne, de nombreux parents, d’étudiants éventuels et d’employeurs potentiels ne le réalisent pas toujours. Cette carence au niveau de la sensibilisation a sans aucun doute contribué aux défis actuels en matière d’inscription et peut aussi contribuer aux difficultés des diplômés en histoire à trouver un emploi qui correspond à leurs compétences. Si les professeurs n’éduquent pas les étudiants à propos des différents types de compétences qu’ils ont développées et sur la façon dont ces compétences correspondent à différents types d’emploi, ils pourraient ne pas penser à quérir ces emplois et ils ne sauront forcément pas comment faire leur propre publicité auprès d’employeurs éventuels. Et si les employeurs ne savent pas que les étudiants d’histoire ont les compétences qu’ils recherchent, alors ils ne chercheront pas à embaucher ces étudiants non plus.

Par exemple, l’analyse de politiques est l’un des genres de travail auquel les diplômés de l’histoire sont particulièrement bien adaptés, compte tenu de la recherche, de la rédaction, de la synthèse d’information et des techniques d’analyse critique qui sont primées dans notre domaine ainsi qu’à la lumière de leurs sensibilités aux contextes historiques cruciaux qui informent et parfois guident les sujets de politique d’aujourd’hui. Pourtant, « l’histoire » n’était pas parmi les quelque 50 domaines de spécialisation d’enseignement que le gouvernement du Canada considérait acceptables lors d’une récente campagne de recrutement à l’intention de nouveaux agents de politique[2].

En conséquence, comment pouvons-nous contribuer à améliorer les perspectives de carrière de nos diplômés, plus précisément autre que dans le milieu universitaire ?

Un certain nombre d’historiens et de départements font des efforts pour relever ce défi. Pour sa part, la SHC œuvre présentement à mettre sur pied un site Internet intitulé « Pourquoi un diplôme en histoire » où seront affichés les profils d’étudiants diplômés et leurs emplois actuels. Tout en reconnaissant que le contexte opérationnel de chaque université est différent, nous croyons que les mesures supplémentaires, énoncées ci-dessous, pourraient être prises par les départements et par les professeurs.

Par exemple, les départements d’histoire pourraient :

– Élaborer et mettre en œuvre un plan de communication ou une campagne de promotion visant à sensibiliser les élèves, les parents, les professeurs, les médias et les employeurs aux compétences acquises grâce à un diplôme en histoire et à l’application de ces compétences sur le marché du travail. Par exemple :

  • Le placement d’éditoriaux et une campagne de sensibilisation auprès de la presse écrite locale et des médias en ligne.
  • Une collaboration plus étroite avec les bureaux de relations extérieures au niveau postsecondaire et les organismes de recrutement.
  • Un engagement direct avec les employeurs locaux pour identifier les compétences qu’ils recherchent chez les candidats et les encourager à inclure l’histoire et les compétences connexes parmi les exigences clés dans les concours d’emploi.
  • Fournir de l’information aux écoles secondaires locales et aux parents des futurs étudiants en histoire sur la valeur d’un diplôme en histoire, y compris les avantages intellectuels et professionnels qu’il comporte.

– Au besoin, rebaptiser et / ou faire la refonte des cours afin qu’ils reflètent mieux les compétences transférables ou « générales » que le cours procure[3].

– Travailler plus étroitement avec les centres de perfectionnement professionnel postsecondaires et veiller à ce que les professeurs et les étudiants participent à des ateliers axés sur l’emploi qui réunissent des étudiants et des employeurs de divers horizons professionnels.

– Créer un « comité de professions » départemental afin d’étudier les cheminements de carrière des anciens élèves et de trouver des façons pour faire le pont entre les étudiants et les employeurs potentiels.

– Se pencher sur la façon dont les diplômés de premier et de deuxième cycle peuvent intégrer des cours d’autres domaines de spécialisation qui sont en demande auprès des employeurs.

– Informer la SHC sur les activités que le département et les membres du corps professoral ont entrepris et prévoient entreprendre afin d’améliorer les cheminements de carrière de leurs diplômés à la prochaine réunion des directrices et directeurs de département.

Pour leur part, les professeurs et chargés de cours pourraient :

  • Donner aux élèves un aperçu des compétences spécifiques qu’ils développeront dans leurs cours et leur expliquer comment ils pourront communiquer celles-ci à des employeurs potentiels.
  • Encourager les étudiants à assister aux séances organisées par le centre de développement de carrière de leur université ; ou inviter des professionnels de la région qui œuvrent à l’extérieur du milieu universitaire et qui ont une formation en histoire pour qu’ils viennent partager les compétences qui sont liées à leur travail et leur carrière avec la classe.
  • Le cas échéant, donner des travaux aux élèves qui reflètent plus fidèlement le genre de projets que pourraient faire les étudiants sur le marché du travail à l’extérieur du milieu universitaire. En plus de développer des compétences et des expériences tangibles qui sont plus pertinentes pour les employeurs, ce genre d’affectations permettra aux étudiants d’analyser le passé d’une nouvelle façon.

Par exemple, les élèves pourraient :

  • Élaborer une analyse de rentabilisation d’un nouveau lieu historique qui contiendrait une explication du contexte stratégique, une analyse des risques et des possibilités, des recommandations et une gestion après l’approbation du site.
  • Écrire une analyse de rentabilisation d’un évènement historique qui s’est produit dans le passé, du point de vue d’un administrateur qui aurait été vivant à l’époque – par exemple un traité historique, un accord commercial, une entente d’affaires, un syndicat, une grève, une alliance ou un engagement militaire.
  • Écrire un rapport de suivi d’un événement historique ou d’une réunion entre des dirigeants dans l’histoire, du point de vue de quelqu’un qui était là.
  • Rédiger une note d’information contenant des renseignements généraux, des considérations stratégiques et des recommandations de suivi au sujet d’un événement ou d’une problématique historique, pour un personnage historique ou un responsable qui aurait été vivant à l’époque.
  • Produire un rapport d’analyse médiatique basé sur des reportages de journaux, de radio ou de télévision lors d’un événement historique, ou sur l’introduction d’une « nouvelle » technologie ou d’un « nouveau » produit.
  • Développer une campagne publicitaire ou une stratégie de communication pour un produit ou une technologie de consommation historique, axée sur des acteurs historiques.
  • Créer un calendrier pour l’accomplissement d’une série de tâches ou d’événements qui font partie d’une initiative ou d’un développement historique plus large.
  • Écrire un discours ou des notes d’allocution pour un acteur historique.

Développer ce genre de travaux ne devrait pas être très difficile. La toile est une source riche de modèles utiles qui peuvent être utilisés comme point de départ (voir, par exemple, le site Web du Conseil du Trésor du Canada). Compte tenu du regain de popularité de l’interdisciplinarité, il existe peut-être une plus grande occasion de collaborer avec des collègues qui œuvrent dans le domaine du commerce, des communications, des sciences politiques, de l’économie ou autres pour développer de telles affectations.


[1] Ministry of advanced education and skills development, « University Employment Outcomes, Graduation and Student Loan Default Rates », en ligne.

[2] Les domaines de spécialisation répertoriés étaient : Le droit administratif, les droits de la personne, le droit du travail, le droit, la statistique, les études des femmes, le droit international, l’administration des affaires, la vérification, le commerce, l’administration, la gestion de l’information, les finances, les finances publiques, la comptabilité financière, les relations industrielles, la gestion, le marketing, l’administration de bureau, la gestion de projet, l’analyse et gestion des risques, la fiscalité, la politique publique, la gestion logistique ou le commerce international, Gestion de la chaîne d’approvisionnement, les communications , les arts, l’éducation, les relations internationales, la politique sociale, la sociologie, la psychologie, l’économie et les finances, l’économie, la gestion des ressources humaines, l’administration industrielle, le commerce international et les relations industrielles, la gestion et systèmes d’information commerciale, le comportement et le développement organisationnel, l’administration publique, les sciences des médias, les sciences politiques, les sciences sociales, la publicité, la gestion logistique et le commerce international en ligne. Voir : http://jobs-emplois.gc.ca/psr-rp/index-fra.php?p=2

[3] Voir la proposition d’Adam Chapnik, « A Profoundly Immodest Proposal », Bulletin de la SHC, vol. 41, no 3, automne 2015, p. 25.