Recension de l’exposition Shalom Montréal – Histoires et contributions de la communauté juive

Publié le 22 mai 2018

Par Christine Chevalier-Caron, candidate au doctorat à l’Université du Québec à Montréal et assistante de recherche au Groupe de recherche Histoire, femmes, genre et migrations

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L’auteure et un guide du Musée McCord lors de la visite de l’exposition.

Dans l’ouvrage collectif Éducation et judaïsme, publié en 2016, Sivane Hirsch et Marie Mc Andrew nous informent que le programme d’Histoire et éducation à la citoyenneté aborde l’histoire de(s) la communauté(s) juive(s) du Québec en fonction de trois sujets précis, soit le parcours d’Ezekiel Hart, celui du poète Irving Layton, et le cadeau offert par des Juifs.ves britanniques à l’occasion de la fondation de la première synagogue de Montréal. Malgré le fait que je suis consciente de la marginalisation des communautés non-blanches et/ou non-catholiques du récit dominant de l’histoire québécoise, ce constat m’a tout de même surprise et choquée. En conséquence, j’ai tenté de comprendre, en vain, comment était-ce possible qu’il y ait si peu de contenus traitant de l’histoire de(s) la communauté(s) juive(s) dans l’enseignement de l’histoire, et comment pouvons-nous, de surcroit, invisibiliser les importants apports de(s) la communauté(s) juive(s) au développement et à la richesse culturelle de la métropole. Évidemment, rien ne peut expliquer ou légitimer ces occultations. Par contre, cette situation doit nous servir de prétexte pour surmonter ces lacunes dont est porteur le système d’éducation, et nous tourner vers d’autres canaux et lieux de savoir ayant un souci d’inclure dans l’histoire tous ceux et celles qui en ont été des acteurs.rices, mais qui se sont malheureusement retrouvés.es exclus.es du récit dominant.

Le Musée McCord, institution valorisant l’histoire sociale de la ville de Montréal, participe actuellement à remédier à cette situation, tout particulièrement avec la présentation, depuis le 3 mai dernier, de l’exposition Shalom Montréal – Histoires et contributions de la communauté juive. Pour la réalisation de cette exposition, le Musée a fait appel à des sommités en histoire juive, dont : Ira Robinson, Yolande Cohen, Steven Lapidus, et Pierre Anctil. Ces historiens.nes se sont intéressés.es, au fil de leur carrière, à des dimensions différentes de l’histoire juive montréalaise et québécoise; en conséquence, la mise en commun de leurs connaissances a mené à la réalisation d’une exposition captivante, et ne réduisant ni leur(s) histoire(s) à la dimension confessionnelle de leur identité, ni à une image porteuse des stéréotypes dominants. Bien au contraire, cette exposition permet au public de prendre connaissance des grandes lignes de l’histoire juive montréalaise, et de découvrir de nombreuses contributions de membres de(s) la communauté(s) juive(s) montréalaise(s) à la vie culturelle, politique, et sociale de la métropole.

Divisée en cinq zones, l’exposition débute avec la diffusion du témoignage de l’écrivaine d’origine hongroise Elaine Kalman Naves, ce qui met la table pour la deuxième section, Exodes, où les visiteurs.ses sont initiés.es à l’histoire des migrations juives en direction du Canada en général et de Montréal en particulier. Porter l’intérêt du public sur les différentes vagues migratoires qui a entrainé une croissance rapide de la communauté à partir de la fin du XIXe siècle, et sa consolidation au sein d’importantes structures communautaires, fourni les outils nécessaires pour apprécier le reste de l’exposition à sa juste valeur. Une des forces de cette section réside dans l’approche transnationale du récit : les vagues migratoires sont généralement mises en relation avec les contextes politiques régionaux des pays d’origine, et des contextes internationaux. Toutefois, j’ai eu l’impression que davantage d’intérêt a été porté aux communautés juives de souche européenne qu’à celles originaires des pays généralement qualifiés d’arabo-musulmans. Cette lacune en reflète une propre à l’historiographie juive québécoise dominée par l’histoire des Juifs.ves ashkénazes au détriment de celle(s) des Sépharades, soit les Juifs.ves originaires des pays à majorité musulmane[1].

La dernière partie de cette section est consacrée à l’antisémitisme qui est une réalité n’ayant pas échappé à la société canadienne, ni à la société québécoise catholique, particulièrement dans les années ’30 et ’40, décennies marquées par la crise économique, le fascisme et le nazisme. Présentant en rafale certaines manifestations de l’antisémitisme, cette partie aurait pu rendre davantage compte de l’importance du problème, et fournir plus d’informations permettant au public de saisir les rapports complexes entre les différentes communautés confessionnelles – catholique, protestante et juive – cohabitant à Montréal. Un de mes principaux champs d’expertise étant l’histoire de l’éducation des communautés juives marocaines – au Maroc et à Montréal – j’ai été surprise par le paragraphe consacré à la place des enfants juifs dans le système d’éducation. Le seul moment où il est question d’éducation primaire et secondaire s’inscrit dans la section sur l’antisémitisme et la situation est décrite avec une maladresse qui simplifie le débat sur la scolarisation des enfants juifs. À la lecture du paragraphe sur les enjeux scolaires, j’ai eu un pincement au cœur alors que je me suis rendu rapidement compte que si je n’avais pas les connaissances que j’ai à ce sujet, je me serais trouvée désinformée en acquérant des connaissances que je qualifierais de demi-vérités. Plus précisément, l’affichette à ce sujet indique que : « Le réseau des écoles catholiques est fermé aux enfants juifs à partir de 1903. Ceux-ci sont alors admis dans le réseau des écoles protestantes qui se réserve cependant le droit d’imposer des conditions à cette intégration ».

Toutefois, la situation est beaucoup plus complexe. D’abord, il semble pertinent de souligner que le système d’éducation était confessionnel : il y avait des écoles protestantes, généralement anglophones, et des écoles catholiques, généralement francophones. Où était donc la place des enfants juifs dans un système scolaire chrétien? Face à ce questionnement, et une croissance rapide de la population juive, le gouvernement provincial a adopté une loi scolaire en 1903 stipulant que les propriétaires juifs devaient payer une taxe scolaire à la commission des écoles protestantes qui, en retour, se devait d’assurer la scolarisation de ces enfants tout en les exemptant des cours d’enseignement religieux. Afin de rendre compte de l’antisémitisme dans le milieu scolaire, il m’aurait alors semblé que parler des débats entre les deux commissions scolaires quant à savoir qui allait avoir la responsabilité de l’éducation des enfants juifs aurait été davantage révélateur des discriminations vécues. Hormis cet aspect, cette partie de l’exposition est d’une importance capitale : elle contribue incontestablement à faire prendre conscience qu’au Québec l’antisémitisme a été une réalité qui s’est manifestée de nombreuses manières, dont dans le milieu scolaire.

Bien que brève, la troisième section, dont le titre est Souvenirs, comporte des objets apportés par des membres des communautés juives lors de leur migration et des photographies mettant de l’avant des nouveaux.elles arrivants.es. Quant aux objets présentés, nous retrouvons des artéfacts saisissants, notamment un Sefer Torah rapporté de Meknès par Aaron Cohen, et une lettre écrite par un jeune homme dans laquelle il décrit son lourd vécu en Europe de l’Est en tant que Juif. Ces quelques photographies et objets contribuent à préserver et diffuser la mémoire de ces communautés qui ont, en grande partie, été déracinées de leur lieu d’origine.

Dans la quatrième section, Vivre ensemble, voulant démontrer les nombreux apports de(s) la communauté(s) juive(s) à la vie politique, sociale, économique, et culturelle, ainsi que l’importance qu’elle accorde à la philanthropie, on nous présente des exemples concrets de réalisations de membres de(s) la communauté(s) dans divers domaines. Nombre de monuments que les Montréalais.es croisent quotidiennement, et de salles de spectacle qu’ils et elles fréquentent sont les fruits du travail de nombreux architectes de confession et/ou de culture juive. Dans un environnement visuel d’une esthétique impeccable, cette partie nous permet de découvrir le travail de ceux-ci, ainsi que certains projets qui ont mené été par certains d’entre eux et d’entre elles dans le but de préserver le patrimoine architectural de la ville, telle l’œuvre de Phyllis Lambert, fondatrice du Centre d’architecture canadien. S’ensuit une partie consacrée à la mise en place de l’Hôpital juif, et à l’apport de certains.es praticiens.nes du domaine de la santé quant à l’avancement du savoir scientifique. Dans la troisième partie de cette section, on nous présente comment des personnalités de(s) la communauté(s) ont pris part à des luttes et des mouvements sociaux, tels l’Affaire Sir George William et les mouvements féministes. Bien qu’il aurait été intéressant de creuser davantage quant à l’influence qu’a eue la(les) communauté(s) juive(s) dans l’émergence des mouvements syndicaux au Québec, les dimensions abordées nous permettent de saisir l’importance des valeurs que sont l’égalité et la justice dans la culture juive.

Qui n’a jamais entendu parler de Steinberg, des boutiques le Château, des bagels Fairmount ou Saint-Viateur, ou de l’iconique smoked meat de chez Schwartz? Ces commerces ont été ou sont toujours considérés comme des institutions de la métropole, et ont tous des personnalités de(s) la communauté(s) juive(s)s comme fondateurs.rices. Cette partie nous permet d’en connaitre davantage sur ces compagnies et commerces qui ont réussi à marquer le paysage québécois. La dernière section de cette zone est dédiée aux artistes cultes d’hier à aujourd’hui, notamment Mordechai Richler, Irving Layton, Leonard Cohen, Socalled, Samy Elmaghrebi, et bien d’autres. Les visiteurs.rices sont invités.es à s’assoir et à consulter les quelques dizaines de livres à leur disposition,  regarder des artéfacts, ou encore à enfiler des écouteurs leur permettant d’apprécier les performances musicales de différents artistes. Montréal a été l’un des importants centres de production et de diffusion du courant littéraire et culturel yiddish qui a émergé dans la première moitié du dernier siècle, et auxquels certains des artistes présentés ont participé activement. Il aurait été intéressant d’aborder plus explicitement ce courant littéraire qui nous a légué une littérature riche et mettant de l’avant de nombreux aspects de la vie montréalaise de l’époque[2].

L’exposition se conclut avec une cinquième section sur la diffusion de témoignages livrés par de jeunes adultes au sujet de Montréal. Cette installation numérique permet à la fois de rendre compte de l’hétérogénéité – linguistique, culturelle et religieuse – de(s) la communauté(s) juive(s) de Montréal tout en témoignant de leur attachement à cette ville qui ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui si ce n’était des contributions des membres de leur communauté. Le vivre ensemble et la gastronomie – notamment les bagels et le smoked meat – sont des dimensions largement abordées dans cette section passionnante, d’ailleurs, la conclusion de l’exposition vous laissera sur votre faim, au sens propre comme au figuré, alors que vous voudrez sans doute en savoir plus sur l’histoire de cette(ces) communauté(s) dynamique(s), et que vous vous demanderez si vous êtes plus Fairmount ou Saint-Viateur bagels.

Ayant eu la chance de visiter l’exposition avec deux amis.es, nous nous sommes par la suite interrogés sur l’absence de l’aspect religieux – tant au niveau des artéfacts, des institutions, des courants et des pratiques, telles les différentes fêtes – dans l’exposition. Une fois l’étonnement passé, nous en sommes finalement venus.es à apprécier cet aspect pour une raison bien précise. Le choix d’aborder l’histoire juive montréalaise en faisant abstraction des questions et enjeux religieux au profit des contributions de membres de(s) la communauté(s) juive(s) – mais pas en fonction de leur judaïsme nécessairement – permet de décloisonner l’histoire de ces Montréalais.es qui sont trop souvent réduits.es exclusivement à leur identité religieuse. Bien que j’aurais apprécié qu’on insiste davantage sur la diversité de(s) la communauté(s) et sur la mise en place de structures communautaires exceptionnelles, je recommande cette exposition que j’ai appréciée pour son contenu, ses multiples installations numériques, et une scénographique d’un grand esthétisme.

Pour en savoir plus

ANCTIL, Pierre et Ira ROBINSON. Les communautés juives de Montréal. Histoire et enjeux contemporains. Québec, Éditions Septentrion, 2010, 278 p.

ANCTIL, Pierre. Histoire des juifs du Québec. Montréal, Boréal, 2017, 504 p.

BERDUGO-COHEN, Marie, Yolande COHEN et Joseph  LEVY. Juifs marocains à Montréal. Témoignages d’une immigration moderne. Montréal, VLB Montréal, 1987, 211 p.

COHEN, Yolande, dir. Les Sépharades au Québec. Parcours d’exils nord-africains. Montréal, Del Busso, 2017, 190 p.

HIRSCH, Sivane. Judaïsme et éducation. Enjeux et défis pédagogiques. Québec, Presses de l’Université Laval, 2016, 236 p.


[1] Pour en savoir plus, consulter les derniers ouvrages sous la direction de Yolande Cohen : Les Sépharades du Québec. Parcours d’exils nord-africains, Montréal, Del Busso, 2017, 190 p.

[2] Pour en savoir plus, voir certaines des publications de Pierre Anctil.