Par Céline Philippe, candidate au doctorat au département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM)
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Montréal dans les années 1960. Archives de la ville de Montréal. Source : Vintage Canadian Supermarkets and Discount Stores (Flickr).
DÉCOR / Le salon d’un appartement du Plateau Mont-Royal, été 1965[1].
DÉCOR / La salle commune d’une maison de campagne. Une porte donne sur cette salle commune. Saint-Ludger de Milot, Lac-Saint-Jean, avril 1965[2].
Au moment où la pièce commence, le 5 juillet 1967 à 10h30, l’interrogatoire dure depuis le matin du 4 juillet à 1h, sans interruption[3].
Il y a dans ces trois extraits des exemples parmi tant d’autres d’un phénomène qu’il reste encore à éclairer, entourant une grande part de la dramaturgie québécoise des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Bien des choses ont été écrites au sujet de cette « date charnière[4] » que représenterait 1980, une époque marquée notamment par l’avènement d’une nouvelle génération d’auteurs (les René-Daniel Dubois, Michel Marc Bouchard et Normand Chaurette, entre autres), dont l’écriture se démarquerait du théâtre québécois des décennies précédentes à la fois au niveau formel et thématique. Comme le résument Jean Cléo Godin et Dominique Lafon au sujet de la dramaturgie surgie à cette époque :
En ce qui concerne les composantes textuelles de cette dramaturgie, la critique a été unanime à lui reconnaître deux traits caractéristiques : l’abandon quasi total de la langue parlée populaire au profit d’une écriture plus standard (sans être « parisienne ») et la fin d’un théâtre spéculaire et identitaire, auquel succèdent des récits à la fois plus éclatés et plus introspectifs […][5].
Or, ce que peu de travaux ont souligné, c’est que plusieurs œuvres parmi celles-ci interrogent le Québec des années soixante en le représentant par un ancrage spatiotemporel (dans une partie du texte ou sa totalité). N’ayant aucunement la prétention d’en éclairer l’ampleur, ni la complexité ou les causes dans les limites de cet article, je compte à tout le moins offrir un aperçu des manifestations de ce phénomène dans quelques productions des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Comme je le montrerai, si cet ancrage spatiotemporel est explicitement annoncé dans une œuvre sous forme de mise en abyme comme Le vrai monde? de Michel Tremblay, dans des pièces des années quatre-vingt-dix, comme Celle-là de Daniel Danis, The Dragonfly of Chicoutimi de Larry Tremblay ou La face cachée de la lune de Robert Lepage, c’est sur un mode crypté, voire fantomatique, que cette époque du passé québécois fait retour.