Par Milan Busic, étudiant à la maitrise à l’UQAM et membre du Centre d’histoire des régulations sociales, en collaboration avec Caroline Robert, candidate au doctorat en histoire à l’UQAM, et membre du Centre d’histoire des régulations sociales
Thierry Nootens, membre du CHRS depuis 2017, est professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivière et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire du droit civil au Québec à l’époque contemporaine (XIXe et XXe siècle). Nous l’avons rencontré afin de discuter de son parcours en tant que chercheur de même que de son plus récent ouvrage paru en février dernier : Genre, patrimoine et droit civil : Les femmes mariées de la bourgeoisie québécoise en procès, 1900-1930.
Milan Busic: Parlez-nous un peu de votre parcours en tant que chercheur.
Thierry Nootens: Je me suis intéressé assez tôt à l’histoire de la famille et à la question des rapports de pouvoir à l’intérieur de celle-ci, et ce, dès ma maîtrise. J’ai alors travaillé sur des archives judiciaires civiles très spécifiques, c’est-à-dire les interdictions (retraits de la capacité civile) pour motif de maladie mentale ou d’alcoolisme. J’ai par la suite poursuivi mes recherches sur ce thème au doctorat; cela m’a conduit à m’intéresser au problème de l’échec des héritiers de la bourgeoisie, thème que j’ai continué d’explorer au postdoctorat. Lors de mes premières années en tant que professeur, je me suis penché sur une autre forme de conflit intrafamilial, c’est-à-dire les problèmes financiers touchant les femmes mariées de la bourgeoisie. C’est vous dire le caractère ancien de ce projet qui s’est traduit par le livre dont nous discutons aujourd’hui… Ensuite, je me suis attardé à l’appareil judiciaire comme outil de régulation sociale en propre, donc d’abord au rôle joué par un tribunal comme la Cour supérieure du Québec dans la régulation des rapports sociaux durant la transition au capitalisme industriel, sujet de mon prochain livre. Actuellement, enfin, je travaille avec des collègues du CIEQ sur la transition vers la vie urbaine et ouvrière dans les régions du Québec, sur la base d’archives notariales et judiciaires. On peut ainsi voir que je suis passé d’une histoire de la famille étudiée à partir de certaines archives judiciaires à une histoire du système judiciaire comme tel, avant de revenir à une histoire de la famille dont le judiciaire n’est qu’un des filons. Il s’agit en quelque sorte d’un retournement de perspective inconscient s’étant opéré au cours de mon cheminement de chercheur.
MB: Au regard de votre parcours, on remarque tout de suite que le nouveau projet du CHRS, «Régulations sociales et familiales dans l’histoire des problèmes sociaux au Québec», s’inscrit directement dans vos intérêts de recherche. En effet, la famille semble être au cœur de vos travaux depuis votre doctorat. D’où provient cet intérêt spécifique pour l’étude de la famille?
TN: Il est toujours difficile d’expliquer la naissance d’un intérêt scientifique, mais de manière globale, je crois que les questions de rapports de pouvoir et d’inégalité demeurent des questions historiennes centrales. Pour en venir à la programmation scientifique du CHRS, je dirais que, dès mon doctorat, je me suis intéressé à la place de la famille en tant qu’outil de régulation sociale, notamment en tentant de la situer par rapport à d’autres ensembles normatifs et pratiques institutionnalisées de régulation, dont la médicalisation et la judiciarisation des rapports sociaux. Le fait de poser la question en termes de régulations sociales vise notamment à identifier quels étaient les rapports de force entre la famille et ces autres acteurs de l’univers des régulations sociales que sont la médecine et le binôme droit-justice. Cela m’a permis, entre autres, de montrer que, malgré l’idée d’une médicalisation de la folie au 19e siècle, soit une appropriation de sa prise en charge par les médecins, et le développement de l’institutionnalisation de la déviance sous toutes ses formes, la famille demeurait à l’avant-plan dans l’activation et la mise en œuvre de ces autres types de réponses aux comportements déviants et aux accidents de la vie en général.