Christine Chevalier-Caron, candidate au doctorat en histoire à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), membre du groupe de recherche Histoire, femme, genre et migrations et membre du comité éditorial d’HistoireEngagee.ca

Lalla Aïcha en 1947.
Résumé
L’histoire du Maroc contemporain a été marquée par la mise en place du Protectorat français (1912-1956) dont le principal objectif était la modernisation le Royaume chérifien. L’édification d’un système scolaire, en partie calqué sur celui de la métropole, élitiste, laïque, et principalement réservé aux garçons, s’est avérée être l’un des moyens pris par le Protectorat pour réaliser ses objectifs. Voulant former les futurs cadres du pays, des écoles pour garçons marocains, dites « écoles indigènes », ont été fondées dès 1912. Il fallut attendre les années 1930, décennie marquée par l’émergence de mouvements sociaux qui allaient devenir des organisations de libération nationale, pour que deux écoles pour jeunes musulmanes soient fondées. Face à l’absence d’institutions scolaires pour les Marocaines musulmanes, des membres de la communauté musulmane ont pris l’initiative d’établir des lieux, souvent clandestins, d’enseignement pour les fillettes. Dans cet article, nous nous intéresserons aux revendications d’ordre scolaire définies par les militants-es anticolonialistes du Maroc, et plus particulièrement aux discours et aux réalisations des premières femmes ayant pris la parole dans l’espace public afin de promouvoir l’éducation des filles.
Mots-clés
Maroc; colonialisme; anticolonialisme; éducation; éducation coloniale; Islam; Nahda; Malika el Fassi; Lalla Aïcha; Quaraouiyne
Introduction
À l’occasion de l’Exposition coloniale tenue à Paris en 1931, la Direction générale de l’instruction publique (DGIP), organe gouvernemental du Protectorat français dans l’Empire chérifien, était invitée à publier un ouvrage historique au sujet de ses activités et de ses « accomplissements ». À travers celui-ci, les tenants-es de la DGIP faisaient les bilans des actions qu’elle avait posées au Maroc depuis une vingtaine d’années en matière d’instruction publique. Peignant le portrait, non pas du système scolaire, mais des systèmes scolaires fondés sur des critères raciaux, confessionnels, et genrés qu’elle avait mis en place, cette publication décrit l’éducation destinée aux musulmanes comme étant une préoccupation et un champ d’intervention en plein développement. Ce discours détonnait de la réalité. L’accès à ces institutions scolaires a été très limité pour les jeunes musulmanes : les écoles étaient peu nombreuses et les modalités d’obtention d’un certificat d’études primaires étaient complexes. Face à cette situation, les tenants-es des mouvements nationalistes et anticoloniaux ont entrepris la création d’institutions scolaires – nommées Écoles libres – permettant la scolarisation de jeunes Marocaines. Dans cet article, nous allons nous intéresser aux développements de lieux d’instructions destinés aux Marocaines de confession musulmane pendant la période coloniale (1912 à 1956), puis démontrer comment les premières Marocaines les ayant fréquentés se sont impliquées dans un mouvement, fortement influencé par le discours nationaliste marocain, en faveur d’une plus grande accessibilité des femmes à l’éducation.
Lire la suite