Par Anne-Marie Buisson, membre étudiante du Centre d’histoire des régulations sociales[1]
Version PDF

Désormais, nous avons cessé de nous laisser modeler. Nous sommes Sourds et avons conscience de cette différence. Nous sommes nous-mêmes. Oui, nous avons cessé de faire semblant d’entendre
– Raymond Dewar[2]

Le 21 août dernier, Québec Solidaire annonçait qu’il s’engageait à reconnaitre le statut officiel des langues signées utilisées au Québec, l’American Sign Language (ASL) et la langue des signes québécoise (LSQ). Pour la première fois au Québec, la reconnaissance des langues des signes est intégrée au programme politique d’un parti qui fait de l’inclusion et de l’accessibilité des enjeux électoraux. Il n’en fallait pas moins pour que le chroniqueur du Journal de Montréal, Richard Martineau, tourne cette annonce en dérision, et ce, en ridiculisant tout simplement l’importance de la reconnaissance de la LSQ sur les réseaux sociaux. Outre l’ignorance crasse et le mépris que Martineau expose sans retenue envers les revendications des groupes minoritaires en général, ce sont surtout les commentaires méprisants des internautes devant un tel projet qui ont retenu notre attention.

Institution des Sourdes-Muettes 3725, rue St-Denis, Montréal, P.Q. (Crédit :Darois et Steben,1943/BANQ-numérique)

Si les langues des signes sont étudiées par les linguistes depuis les années 1960, l’histoire et la culture Sourde[3] sont des objets d’études encore récents. Au Québec, depuis le début des années 1990, elles retiennent l’attention de nombreux sociologues, d’anthropologues et d’historien-ne-s et ont fait l’objet de bon nombre d’ouvrages, de documentaires et même d’expositions. Pourtant, cette communauté est encore invisibilisée et ses revendications restent toujours sans grand écho, et ce, même si les premières associations canadiennes de personnes sourdes[4] ont vu le jour vers la fin du XIXe siècle.­­ L’étude de ces associations reste difficile, notamment à cause de la rareté des sources. Les documents témoignant de leur développement ont été en majeure partie détruits ou perdus. Reste les traces conservées par certaines institutions charitables de l’époque ainsi que les sources orales. De plus en plus en plus exploitées, ces dernières permettent d’intégrer à l’histoire culturelle et institutionnelle des Sourd-e-s du Québec une histoire sociale qui fait ressortir la spécificité de la communauté Sourde québécoise. Le et la Sourd-e deviennent ce faisant des acteurs sociaux qui s’organisent devant les inégalités et les oppressions auxquelles ils et elles font face dans leurs rapports avec les classes dominantes de la société audiocentriste.

La reconnaissance officielle des langues signées est l’une des principales revendications portées par les groupes de personnes sourdes et malentendantes à travers le monde. Au Québec, la reconnaissance officielle de la LSQ est évoquée lors du premier Sommet sur la déficience auditive de 1986 et est au centre des revendications portées par ces associations depuis. Il s’agit d’éliminer les obstacles limitant la participation sociale des gens ayant une déficience auditive, obstacles qui provoquent des situations handicapantes. Directement liée au droit à l’éducation, à l’information et à la liberté d’expression, la reconnaissance officielle de la LSQ s’inscrit également dans la lutte beaucoup plus large de la reconnaissance d’une communauté sourde, spécifiquement québécoise et pleinement citoyenne. La LSQ, qui diffère de l’ASL (langue des signes américaine), de la LSF (langue des signes française) et de la langue française, est une langue à part entière telle que l’ont démontré Colette Dubuisson et Marie Nadeau en 1993[5]. Évidemment, cette reconnaissance de la LSQ vise aussi à faciliter l’accès des personnes sourdes à une éducation bilingue, où l’enseignement du français écrit se fait en langue des signes. Contrairement à l’idée répandue, la langue des signes n’est ni un transfert linéaire de mots d’une langue à un mime ni un « langage de Sourd-Muet ». C’est bel et bien une clé d’accès à la langue française, un outil de communication et un marqueur identitaire.