Par Alexandre Klein, Université d’Ottawa
L’historien.ne – est-il nécessaire de le rappeler ici – est, à l’instar de tout autre chercheur.se (en particulier en sciences humaines et sociales), inscrit.e, immergé.e, bref élément à part entière de la société dans laquelle il ou elle vit, œuvre, cherche et travaille. Ille n’est pas, contrairement à la représentation traditionnelle que la société civile peut parfois en avoir, enfermé.e dans sa tour d’ivoire, détaché.e des enjeux sociaux et politiques de son temps, dédié.e uniquement à la recherche d’une vérité scientifique qui s’apparenterait à une objectivité neutre et désincarnée. Comme le rappelait récemment, dans un tout autre contexte, Steven High, le président de la Société historique du Canada : « Les historiens et la discipline de l’histoire ne sont pas à l’écart de la politique : toute histoire est politique »[1]. La recherche historique implique donc, depuis sa conception jusqu’à sa diffusion, un certain engagement citoyen, une réelle responsabilité à l’égard du monde social dans lequel elle prend forme et place. Et l’histoire de la psychiatrie ne fait pas exception.
À la fin du mois de juin dernier, j’ai été contacté par un producteur de documentaire basé à Québec. Il cherchait un historien francophone en mesure de parler de l’histoire du Allan Memorial Institute, le centre de recherche psychiatrique de l’Université McGill, et du très controversé programme MK-Ultra, qui s’y déploya dans les années 1950-1960, sous la direction du Dr Donald Ewen Cameron (1901-1967) et grâce au financement de la CIA[2]. Il souhaitait en effet donner du contenu « crédible » (je le cite), présenter des « faits », pour agrémenter et compléter la présentation du nouveau jeu vidéo de la compagnie Red Barrels intitulé The Outlast Trials. Car le cœur du projet (ainsi que le financement) était, comme je le compris rapidement, là : célébrer la parution à venir du quatrième[3] opus d’un jeu vidéo centré sur le monde psychiatrique et qui reprenait cette fois, du moins comme prémisse scénaristique, l’histoire des expérimentations de lavage de cerveau menées dans les sous-sols de McGill entre 1957 et 1964. Le documentaire envisagé n’était donc rien d’autre qu’un publi-reportage vidéo, financé par la compagnie de jeu vidéo, dans le but de faire la promotion de leur nouveau titre à paraître. Assumant sans complexe ce contexte de commande, le producteur cherchait donc un.e historien.ne pour contextualiser les références du jeu, mais aussi, par là même, donner du crédit à l’œuvre vidéo-ludique. Il me mettait ainsi dans une position délicate, encore jamais rencontrée dans ma courte carrière historienne.