Par Övgü Ülgen, doctorante en sociologie à l’Université de Montréal
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Issu de dix années de recherche ethnographique et archivistique, le livre Memories of Absence : How Muslims Remember Jews in Morocco, paru en 2013, se concentre sur les perceptions générationnelles des Musulmans, comprenant des Arabes et des Berbères, à l’endroit des Juifs dans une région rurale du sud du Maroc appelée Akka. L’altérité éprouvée par les deux communautés religieuses, induite par l’intrusion du pouvoir étatique marocain et colonial français divisant les communautés, les peuples, détruisant les solidarités existantes, est le cœur de l’ouvrage de Aomar Boum. C’est pourquoi il demeure un sujet d’actualité depuis sa parution en 2013.Professeur agrégé en anthropologie à l’Université de Californie à Los Angeles, il est spécialiste de l’étude des minorités religieuses et ethniques en Afrique du Nord, des relations judéo-musulmanes et de l’antisémitisme. Boum, dans son ouvrage, souligne que l’historiographie marocaine s’est principalement intéressée aux questions de nationalisme et de panislamisme et aux perspectives islamiques des sociétés nord-africaines et remarque que, à l’inverse, la position des Juifs vis-à-vis des Musulmans en tant que minorité religieuse dans la société marocaine a été négligée la plupart du temps[1]. Par conséquent, l’objectif principal de ce livre est de mettre en évidence les histoires censurées, dépréciées et dévalorisées des Juifs ruraux construits par les perceptions des Musulmans et leurs relations complexes avec les Musulmans dans l’arrière-pays marocain méridional[2]. La thèse de l’auteur est la suivante: alors que les membres plus âgés de la communauté musulmane expriment avec nostalgie leurs sentiments d’amitié et de relations intimes avec les Juifs, les plus jeunes, âgés de 20 à 30 ans, les considèrent comme leurs ennemis politiques et sociaux[3]. Ayant publié des articles sur l’histoire et l’anthropologie des relations judéo-musulmanes du 19e siècle à nos jours, sur l’historiographie judéo-marocaine, la Shoah et les migrations de même que sur sa position de chercheur autochtone d’Akka (où il est né et a grandi), tout porte à croire qu’il a les connaissances et l’autorité nécessaires pour écrire ce livre[4].