Là où le présent rencontre le passé - ISSN 2562-7716

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« Histoire et éducation à la citoyenneté » : brève réflexion critique sur les contenus du programme et d’un manuel de 3e secondaire

Par Adèle Clapperton-Richard, candidate à la maîtrise en histoire à l’UQÀM et collaboratrice pour HistoireEngagee.ca

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Salle de cours vide. Crédit : Alexandre Laurin (Flickr).

Salle de cours vide. Crédit : Alexandre Laurin (Flickr).

On sait bien que l’histoire, particulièrement depuis son intégration officielle dans le champ des sciences sociales vers le milieu du XIXe siècle, a évolué en fonction de changements théoriques et épistémologiques majeurs. Corollaires d’un mode de pensée prôné par des courants historiographiques bien précis, ces renouvellements de la discipline historique ont orienté non seulement la manière de faire de l’histoire, mais aussi de l’enseigner. En Occident, particulièrement en France, la connaissance historique a été réfléchie dans les bureaux ministériels avant de se retrouver dans les salles de classe. On pourrait affirmer qu’il en a été sensiblement de même avec la réforme de l’école québécoise, amorcée au début du XXIe siècle et officiellement implantée dans la formation secondaire en 2005[1]. Ce renouveau pédagogique se voulait d’abord la concrétisation d’un projet éducatif national parrainé par l’État.

Par la priorisation des compétences et la valorisation des réalités sociales, le programme d’« Histoire et éducation à la citoyenneté » ainsi mis sur pied s’arroge la mission d’« […] aider les élèves à développer une éthique citoyenne considérée dans ses dimensions sociales et politiques[2]». Cet enseignement de l’histoire, à travers le primat de la pensée narrative, devient en quelque sorte une « […] propédeutique du social, de sa diversité, de ses structures et de son évolution[3]. » La mise en récit qui en découle semble parfois frôler l’apologétique, et cette apparence de consensus historiographique paraît obscurcir les réels débats entourant l’étude des phénomènes du passé. Cet énoncé polémique ne fait certes pas l’unanimité ; il n’en demeure pas moins qu’une réflexion critique à propos du contenu lié aux exigences dictées par le programme « Histoire et éducation à la citoyenneté » ne peut que soulever certains aspects problématiques, liés non seulement à des lacunes historiques dans la matière en tant que telle, mais également à la manière avec laquelle celle-ci est présentée.

Les labours de l’oubli. La Révolution tranquille dans le roman contemporain

Par Daniel Letendre, postdoctorant à l’Université Laval

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Crédit : Arslan (Flickr).

Crédit : Arslan (Flickr).

Devant le spectacle du démantèlement à coups de massue du « modèle québécois » mis en place dans les années 1960, comme devant celui des Belles-sœurs devenues comédie musicale rose bonbon, on peut légitimement se demander ce qu’il reste aujourd’hui des innovations sociales, politiques, littéraires et discursives qui forment le legs des acteurs de la Révolution tranquille. Toutefois, la question à poser est peut-être moins celle de ce qui reste de cette époque que ce qu’on en a conservé. Comme l’écrivait Bourdieu dans Les règles de l’art à propos du Frédéric Moreau de L’éducation sentimentale, c’est bien d’avoir un héritage, mais encore faut-il l’accepter, ou plutôt convenir d’en « être hérité », accepter que « le mort […] saisi[sse] le vif[1] ». Le nœud gordien de toute réflexion sur l’héritage est formé par l’entrelacement de ces trois composantes : celui qui lègue, l’héritage lui-même, et l’héritier, qui accepte ou rejette ce qu’il reçoit, qui le conserve tel quel ou l’assimile et le transforme pour le faire sien de manière à ce qu’il devienne une part inextricable de sa lecture du monde. « Être hérité » est donc autant le prédicat du legs (qui résiste ou non au travail de l’héritier) que de l’héritier lui-même, qui accueille cet héritage en consentant à sacrifier une part de lui-même pour lui ménager une place dans son expérience.

Le nationalisme arabe, l’islamisme et l’Occident : entrevue avec Rachad Antonius

Par Bernard Ducharme, historien et chercheur associé au Groupe de Recherche sur l’Islamophobie et le Fondamentalisme de l’UQÀM

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Le Général Bonaparte et son état-major en Égypte (1867), par Jean-Léon Gérôme.

Dans le cadre des conférences-midi organisées par le Groupe de Recherche sur l’Islamophobie, la Radicalisation et le Fondamentalisme, au sein de la Chaire UNESCO sur les fondements philosophiques de la justice et de la société démocratique, nous sommes allés écouter M. Rachad Antonius, sociologue à l’UQÀM, dans le cadre d’une conférence intitulée « Radicalisation et islamophobie : le débat est mal parti ». Chercheur au Centre de Recherche en Immigration, Ethnicité et Citoyenneté, Rachad Antonius effectue des recherches tant sur les processus d’intégration des minorités arabes et musulmanes au Canada et au Québec que sur les conflits politiques au Proche-Orient. Attentifs à la dimension historique de son argumentation, nous avons voulu nous entretenir avec lui sur ce thème. Le texte qui suit est le fruit d’un entretien d’une heure, retranscrit à l’écrit, puis révisé par les deux parties pour s’assurer de la précision des énoncés.


Bernard Ducharme : Monsieur Antonius, vous êtes sociologue à l’UQÀM, vous travaillez sur les questions liées à la géopolitique au Moyen-Orient et à l’émergence des mouvements de l’Islam politique. Après vous avoir vu en conférence, je voudrais revenir, pour HistoireEngagee.ca, sur les aspects les plus historiques de votre réflexion. Pour contextualiser votre réflexion, vous dites que les mouvements de gauche devraient développer une réflexion sur une opposition à l’islamisme ?

Rachad Antonius : Cela s’applique surtout aux mouvements de gauche européens ou occidentaux, parce que les mouvements de gauche arabes ont une réflexion très développée là-dessus. : ils n’hésitent pas à condamner. Et à analyser, pas juste à condamner : à analyser et à se positionner. Le problème avec une partie – je dis bien une partie – de la gauche, disons une partie du mouvement progressiste – parce que le mot « gauche », déjà, pose beaucoup de problèmes –, c’est la difficulté à se positionner clairement par rapport à l’islamisme pour deux raisons. La première est une raison vraiment historique : l’islamisme a été une réponse au colonialisme. Il a été une des réponses au colonialisme, devenant du coup une idéologie de résistance. Pas la seule, et en fait, une réponse au colonialisme qui a été aussi encouragée par les puissances coloniales. Ça, c’est un élément. Et l’autre élément, c’est qu’il existe un courant xénophobe, raciste, en Occident, qui est très hostile à tout ce qui se rapporte à l’islam et qui est devenu de plus en plus hostile au fur et à mesure que les mouvements islamistes ont émergé et se sont affirmés. Par conséquent, toute critique de ces mouvements devient récupérable et instrumentalisable par les mouvements de droite. C’est pourquoi une partie de la gauche, ou des mouvements progressistes, est convaincue que toute critique de l’islamisme finit par renforcer ce mouvement islamophobe et contribue à la stigmatisation des musulmans. Donc, ils choisissent non seulement de ne pas le faire, mais aussi d’attaquer vigoureusement ceux qui le font. Voilà les deux points de contextualisation que j’aimerais faire.

Les fondements historiques du racisme dominicain. Les origines de l’antihaitianismo

Par Alain Saint-Victor, enseignant et historien[1]

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Carte de Saint-Domingue (1858).

Carte de Saint-Domingue (1858).

« Si le racisme […] peut être globalement compris comme un essentialisme, s’il témoigne partout d’un comportement d’exclusion et d’objectivation d’un autrui collectif, ses manifestations sont si diverses qu’elles semblent relever d’un ordre particulier[2] (c’est nous qui soulignons).» Le racisme tel qu’il s’est développé dans la République Dominicaine illustre bien ces propos du sociologue Adam Michel. Il est, en effet, pour le moins surprenant qu’une société composée majoritairement de Mulâtres et de Noirs puisse développer au cours de son histoire un racisme que plusieurs chercheurs qualifient d’antihaïtianisme (antihaitianismo), racisme qui tend à trouver chez l’Haïtien l’essence même de la race noire, qui perçoit dans son attitude, sa manière d’être, sa culture, la «barbarie», le «primitivisme» et «l’archaïsme» africain.

On sait que le racisme se manifeste sous différentes formes, en particulier «le racisme colonial impliquant la division de l’humanité en races ‘supérieures’ et ‘inférieures’, ‘civilisées’ et ‘barbares’ [et] le préjugé de couleur lié à la ségrégation ou à l’institution de l’apartheid dans les sociétés postcoloniales qui assignent un statut inférieur aux descendants d’esclaves[3].» Néanmoins ce qui caractérise le racisme dominicain c’est le fait que ses principaux tenants qui reprennent les thèses du racisme européen de la fin du XIXe siècle (infériorité biologique du Noir, son incapacité à gouverner, etc.), sont eux-mêmes descendants de Noirs et d’esclaves. C’est là un paradoxe qui peut surprendre. Toutefois, lorsqu’on connait la fluidité de l’idéologie raciste, sa grande force de propagation, sa subtilité et son pouvoir de reproduction, on ne saurait s’étonner qu’elle ait imprégné l’imaginaire collectif d’un peuple, qu’elle le pousse à voir dans un autre peuple (qui pourtant lui ressemble à plusieurs points de vue) l’étranger absolu, l’ultime représentant d’une race barbare et rétrograde.

Les programmes d’histoire du Québec depuis la Révolution tranquille : une analyse exploratoire

Par Olivier Lemieux, Université de Sherbrooke

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C’est en 1998 que le ministère de l’Éducation du Québec (MEQ) annonçait la réforme du cours d’histoire du Québec et du Canada adoptant l’étiquette d’Histoire et éducation à la citoyenneté. Cependant, ce n’est que huit ans plus tard, soit le 27 avril 2006, qu’une polémique éclate à ce propos, soulevée par Antoine Robitaille, journaliste du quotidien Le Devoir[1]. À la lumière de nos lectures, le débat s’est articulé autour de deux grands axes : 1) la dialectique entre le discours historique, les visées nationales, les exigences de la société pluraliste et de la conscience citoyenne ; 2) la relation entre l’idéal de culture, l’acquisition de connaissances et le développement de compétences[2]. D’abord, les opposants du programme de 2007 affirment que ce dernier est en rupture avec ses prédécesseurs (les programmes de 1967 et de 1982), puisqu’il se réfère constamment au présent pour éclairer le passé et qu’une histoire visant prioritairement à fournir une éthique citoyenne n’a d’autre choix que d’en aplanir les aspérités[3]. Or, les partisans du programme défendent plutôt que cette rupture est justifiée, car, dans une société pluraliste, il ne faut pas s’attendre à ce qu’un programme officiel, destiné à appeler ses citoyens à vivre ensemble, cultive les tensions[4]. En ce qui concerne le deuxième axe, selon les opposants, cette approche est devenue omniprésente au sein du programme de 2007, ce qui serait une rupture avec les programmes précédents, et aurait pour effet d’occulter les connaissances historiques et l’idéal de culture pour favoriser une vision économicoutilitariste et individualiste[5]. Pour leur part, les partisans croient qu’aucune compétence ne peut être acquise sans connaissances et que la méthode historique est plus facilement développée par cette approche, laquelle s’inscrit d’ailleurs dans les intentions du Rapport Parent[6].

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