Super-héro.ïnes africain.es de Marvel à Comic Republic : politiques internationales de décolonisation des images et imaginaires (1934 – 2016)*

Publié le 14 décembre 2016
Pierre Cras

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Cras, P. (2016). Super-héro.ïnes africain.es de Marvel à Comic Republic : politiques internationales de décolonisation des images et imaginaires (1934 – 2016)*. Histoire Engagée. https://histoireengagee.ca/?p=6090

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Cras Pierre. "Super-héro.ïnes africain.es de Marvel à Comic Republic : politiques internationales de décolonisation des images et imaginaires (1934 – 2016)*." Histoire Engagée, 2016. https://histoireengagee.ca/?p=6090.

Par Pierre Cras, docteur et chargé de cours en civilisation américaine et cinéma à l’Université Paris III – Sorbonne Nouvelle et collaborateur pour HistoireEngagee.ca

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Les « African Avengers ».

Résumé

Qu’on se le dise : les super-héro.ïnes noir.es ont non seulement du livrer bataille à la fois contre des hordes de super-méchants machiavéliques, mais aussi contre des ennemis encore plus insidieusement glissés au cœur de leur quotidien comme le racisme, l’exclusion ou encore l’oppression systémique induite par des dynamiques coloniales et impérialistes. Qu’elles et qu’ils soient originaires du continent africain, de sa diaspora ou afro-descendant.es, les super-héro.ïnes en question se sont graduellement vu attribuer – en sus de leur qualité de bienfaiteurs de l’humanité – un statut de résistant.es dont le combat s’inscrit à l’aune des luttes sociales et culturelles du monde réel.

Mots clés

super-héros ; marvel ; comic cepublic ; décolonisation ; altérité ; wakanda ; Jide Martin ; Roye Okupe ; guardian prime ; avengers africains


Introduction

C’est assez dire que pour notre part, nous ne voulons plus nous contenter d’assister à la politique des autres. Au piétinement des autres. Aux combinaisons des autres. Aux rafistolages de consciences ou a la casuistique des autres. L’heure de nous-mêmes a sonné.

Aimé Césaire, Lettre à Maurice Thorez, 24 octobre 1956.

Lorsqu’il rédige la lettre de rupture à l’encontre du Parti Communiste Français (PCF), d’où est issue cette citation, le poète et homme politique martiniquais Aimé Césaire exprime sa volonté d’éloignement vis-à-vis d’une idéologie qu’il juge trop empreinte de « fraternalisme ». Ce dernier, empruntant à la fois au paternalisme et à la fraternité, porterait selon lui atteinte à une véritable politique de convergence des luttes qui aurait su combiner les revendications particulières des peuples colonisés et celles du Parti Communiste.

Cette revendication par la séparation d’Aimé Césaire s’inscrit dans un contexte international de Guerre froide et de décolonisation au sein duquel l’écho des velléités d’indépendance des pays/états colonisés est de plus en plus prégnant. Cette vague d’indépendances qui connaît son apogée durant la décennie 1960 possède non seulement un caractère politique, mais également culturel. L’indépendance prônée par Césaire et incarnée par l’aphorisme « l’heure de nous-mêmes a sonné » sied assurément à un certain nombre de disciplines artistiques et culturelles au sein desquelles les populations colonisées se réapproprient leur image et livrent au monde leur propre vision de leurs combats, de leur condition et de leur existence.

Dans les domaines de la culture populaire, la réappropriation progressive de l’image des colonisé.es par elles et eux-mêmes passe également par un processus de déconstruction, suivi d’une redéfinition esthétique et idéologique des canons proposés par l’industrie du divertissement grand public. Afin de revenir sur ce mécanisme de réappropriation et sur les considérations historiques et culturelles qui le régissent, nous allons tenter de déterminer dans quelle mesure la création, l’introduction et la diffusion progressive de personnages super-héroïques africains et/ou afro-descendants dans les comics des XXe et XXIe siècles reflètent des prises de position politiques et sociales en faveur d’une décolonisation de l’imaginaire et de l’inconscient collectif.

Notre article se propose d’appliquer cette grille d’analyse au médium du comics et aux deux formats du comic book[1], ainsi que du comic strip américains[2] puis nigérians. Nous étudierons tout d’abord la matérialisation des relations entre Occident et continent africain effectuée à travers les parcours des personnages de Lothar et du Fantôme du Bengali. Puis, nous tâcherons de déterminer comment l’élaboration de personnages de héros et de super-héros africains afro-descendants s’est inscrite en miroir de luttes sociales et/ou politiques et en ont été des illustrations. Pour illustrer cette théorie nous nous livrerons à une analyse comparative entre Black Panther/T’Challa et son équivalent afro-américain Luke Cage, pour ensuite nous pencher sur le cas des super-héros et héroïnes nigérian.nes de la maison d’édition Comic Republic, également nigériane.

Lothar et le Fantôme : personnifications des relations entre l’Afrique et l’Occident au prisme de relations interpersonnelles

Photo couverture d’un comic book Mandrake.

Assez tôt dans l’histoire des comics, les représentations des personnages noirs sont associées à des stéréotypes. Ces personnages sont des caricatures[3] qui reprennent des lieux communs couramment usités par d’autres disciplines du divertissement grand public. Au début des années 1930, nombreuses sont les représentations inspirées par les spectacles de Blackface Minstrelsy[4]. Les protagonistes de ces illustrations se parent d’attributs graphiques typiquement associés au maquillage des comédien.ne.s de Blackface Minstrelsy, à savoir : une bouche immense aux lèvres démesurément larges, des yeux ronds exorbités et des vêtements le plus souvent en haillons. Toutefois, cet état de fait connaît une évolution perceptible à partir de 1934 au sein du médium. C’est cette même année que voit le jour un duo d’aventuriers assez incongru pour l’époque. Ledit duo est composé d’un prestidigitateur et héros blanc nommé « Mandrake le Magicien »[5], et d’un autre personnage, noir, à la carrure impressionnante et à la force colossale : Lothar.

Lothar, de « Prince des Sept Nations » à garde du corps d’un magicien

Régulièrement décrit comme l’homme le plus fort du monde, Lothar accompagne dans ses aventures le magicien Mandrake, héros du comic strip éponyme. La première apparition du duo a lieu le 11 juin 1934 sous la plume de Lee Faulk et à l’initiative du syndicat « King Features » appartenant au groupe de presse Hearst, l’un des pionniers en matière de publication de comic strips (le groupe a notamment publié le célèbre Yellow Kid de Richard Felton Outcault à la fin du XIXe siècle). La publication des aventures de Mandrake et de son fidèle acolyte se poursuit jusqu’en 2013, date à laquelle Harold Fredericks – alors scénariste et dessinateur de la série – prend sa retraite.

La présence récurrente du personnage de Lothar revêt un caractère tout à fait inédit dans les années 1930. Lothar fait effectivement partie intégrante d’un duo à visée non humoristique à une époque où les représentations noires au sein des comics américains sont encore rares et se limitent à des apparitions fugaces, reprenant pour la plupart des fonctions principalement héritées d’autres disciplines du divertissement populaire comme le vaudeville américain ou la littérature[6].

Un autre élément inédit réside dans l’ascendance royale de Lothar. Ce dernier n’est pas un simple domestique servant de ressort comique et de faire-valoir à son acolyte blanc comme c’était généralement le cas dans bon nombre de productions culturelles de l’époque. Lothar possède en effet le titre de « Prince des Sept Nations », une fédération fictive de tribus africaines également fictives. C’est au cours de l’un des voyages de Mandrake en Afrique que les deux hommes se rencontrent et se lient d’amitié. À la suite de cette rencontre, Lothar, qui était promis à devenir roi, choisit de renoncer à ses fonctions et reste volontairement aux côtés de Mandrake en qualité de subalterne et de garde du corps. La relation qui unit ces deux personnages est particulière à plus d’un titre, mais n’est pas pour autant singulière et se retrouve dans d’autres productions culturelles comme nous allons à présent le voir.

Le critique littéraire et auteur Leslie Fiedler qualifie les rapports qui revêtent une configuration similaire « d’archétypes d’une affection réciproque d’un homme blanc et d’un autre de couleur » ou encore de « myth of the dark beloved » visible dans des ouvrages de la littérature enfantine/adolescente américaine classique, comme Moby Dick, Le dernier des Mohicans ou encore Huckleberry Finn[7]. Toujours selon lui : « Ce modèle d’affection se manifeste par exemple dans les relations entre Ismaël et Queequeg, entre Huck et Jim, entre Oeil-de-Faucon et Chingachgook, entre John Carter et Tars Tarkas ainsi qu’entre Lone Ranger et Tonto »[8].

Bien que Lothar soit un personnage secondaire récurrent bénéficiant d’une histoire personnelle relativement travaillée et développée[9], ses rapports avec Mandrake ne sont pas sans rappeler les relations particulières qui existent entre « patron » blanc et « employé » non-blanc, à l’instar de ceux décrits par Leslie Fiddler. Le fait que Lothar ait volontairement abandonné son titre de futur roi pour être le garde du corps d’un magicien, aussi épris de justice qu’il soit, peut être interprété comme un acte de soumission volontaire à une autorité jugée supérieure. Le contexte colonial qui prévaut à l’époque de la publication des aventures de Mandrake et de Lothar est par ailleurs empreint d’ambiguïtés similaires à celles des relations entre le magicien et son acolyte. Qu’il s’agisse de l’Afrique du Nord ou des pays d’Afrique subsaharienne, le statut juridique des individus est encore soumis, dans les années 1930, à un ensemble de considérations qui témoignent d’une séparation protéiforme au sein de la société coloniale régie par les empires européens. Ainsi, à l’intérieur d’un espace commun se côtoient différentes entités juridiques – que l’on peut schématiquement scinder en deux catégories de population : les « colonisés » et les « colons » – qui hiérarchisent les individus et sociétés selon un postulat ethnoracial et social. Cette hiérarchisation, qui établit une classification-échelle de valeurs, consacre les colons européens en position de domination face aux colonisés reconnus comme « inférieurs » et répartis entre les statuts de « citoyens », de « sujets », et/ou d’« indigènes » (le premier étant sensiblement plus avantageux que les deux autres en raison du plus grand nombre de droits qui lui sont accordés[10]).

L’existence du statut de « l’indigène » est encore d’actualité lorsque le scénariste Lee Falk décide du sort de Lothar. Bien qu’il n’eut probablement pas connaissance de l’existence de la hiérarchie coloniale juridique et des multiples formes de citoyenneté « secondaire » mises en place par les Empires européens en Afrique, Lee Falk s’inscrit dans cette même dynamique de catégorisation. Le choix de Lothar – souverain en devenir – de devenir le subalterne de Mandrake, un homme, riche, occidental et blanc de surcroît, n’est pas neutre et porte la trace d’une mentalité structurelle coloniale qui considère que la gouvernance indigène de royaumes autochtones serait irrémédiablement moins gratifiante qu’une place de subalterne auprès d’un individu occidental.

L’évolution de Lothar au fil des décennies.

Cependant, la relation entre ces deux personnages évolue peu à peu au fil des changements sociaux rencontrés par la population africaine-américaine et les anciennes colonies africaines conjointement à la publication du comics[11]. Il convient par ailleurs de noter que cette évolution se manifestera autant dans le fond que dans la forme, puisque l’allure de Lothar se fera de moins en moins caricaturale et « exotique »[12] avec le temps (voir illustration ci-dessus). Initialement vêtu d’une simple peau de bête, d’un fez et parlant un anglais approximatif, Lothar délaissera progressivement ses habits et ses mauvaises manières grammaticales pour finalement arborer des tenues plus occidentales et parler couramment l’anglais à partir de 1965[13]. D’aucuns pourraient par ailleurs y voir une tentative d’assimilation aux valeurs et au mode de vie « à l’européenne » qui tendent à ce que Lothar quitte le statut d’indigène pour celui de citoyen, à l’instar de la hiérarchie prégnante dans les colonies africaines quelque temps plus tôt. Nous pouvons cependant supposer que la vague des indépendances du continent, qui débute à partir de la fin des années 1950, a probablement inspiré les auteurs dans leur volonté de conférer à Lothar une attitude moins stéréotypée et plus égalitaire.

Le Fantôme du Bengali et l’avènement du super-héros « mythico-paternaliste »

Le Fantôme du Bengali.

L’analyse du personnage du Fantôme est pertinente à réaliser dans le cadre de cet article, car elle n’illustre pas à proprement parler le cas d’un super-héros noir africain/afro-descendant, mais plutôt celui d’une évolution des dynamiques relationnelles entre un personnage occidental – pensé comme une figure mythique – et des populations « autochtones » du continent africain.

Ce personnage fit sa première apparition le 17 février 1936 à l’occasion d’un comic strip journalier en noir et blanc scénarisé et dessiné par Lee Falk lui-même. Le premier élément marquant du Fantôme qui tranche radicalement avec ses concurrents héroïques est son costume. Il est en effet vêtu d’une combinaison violette et d’un masque assorti dont les pupilles sont invisibles. Un tel déguisement s’inscrit totalement a contrario de la tendance qui prévaut à l’époque et pose les bases des conventions vestimentaires de ce nouveau type de personnage.

Le Fantôme est, en outre, souvent perçu comme un « héros de transition » entre les récits de la littérature pulp et les super-héros et héroïnes tels que nous les connaissons aujourd’hui. En effet, c’est le personnage de Faulk qui introduit le premier le fait de porter un masque dissimulant son identité secrète, ce qui le différencie fondamentalement de Mandrake qui, par son costume et son surnom de  »magicien », marque quant à lui une hybridation entre le domaine du spectacle vivant et les aventures vécues par les héros au sens classique du terme : « Mandrake ne porte pas de masque pour dissimuler son identité. Voilà un apport que le genre du super-héros doit au Fantôme du Bengale, nom français du héros de Falk et Moore (sic), ancêtre évident de Batman[14]. »

Il convient de préciser d’ailleurs que ce n’est pas le seul point commun entre le Fantôme et Batman, puisqu’à l’origine Lee Falk avait envisagé d’en faire un personnage de riche noceur le jour combattant le crime la nuit venue[15]. Cette idée fut finalement abandonnée au profit de celle d’une figure quasi mythologique et invincible surnommée « Le Fantôme Qui Marche ». Il est d’ailleurs intéressant de noter l’ambition de créer non un  »simple » super-héros, mais bel et bien un mythe tel que l’entend Carlo Ginzburg : « Ce qui rapproche mythes et tableaux (et en général les œuvres d’art), c’est, d’une part, leur naissance et leur transmission dans des contextes culturels et sociaux spécifiques ; de l’autre, leur dimension formelle[16]. »

Si nous appliquons cette définition au cas du Fantôme, celui-ci est bien une figure mythique non seulement par sa nature (son identité est inconnue et il est l’héritier d’une lignée de Fantômes protecteurs/gardiens de Bengali, ce qui le rend virtuellement immortel à l’instar d’un mythe), mais également par son environnement et le regard que ce dernier lui porte en retour  : les habitants de Bengali voient en lui un spectre justicier en raison de la longévité de son existence et de l’aspect héroïque de ses actions. La vivacité du mythe est entretenue par la croyance des natifs qui n’ont de cesse de transmettre les récits des exploits du Fantôme de génération en génération.

Un autre point qui nous semble pertinent dans le cadre de l’étude des relations du pouvoir entre le Fantôme occidental et les natifs africains provient de l’influence littéraire du personnage.

Le Fantôme du Bengali et des « indigènes ».

La genèse du Fantôme s’inspire grandement du roman Tarzan d’Edgar Rice Burroughs. Le lecteur averti prendra effectivement bonne note des similitudes entre les deux ouvrages en termes de rapports entre l’Occident et le continent africain puisque le Fantôme était à l’origine défini comme le « Seigneur de la Jungle » et régnait sur cet environnement qu’il protégeait avec fermeté, bienveillance et justesse[17].

Au fil des parutions, les auteurs du Fantôme auront su progressivement déconstruire cette relation hiérarchique verticale, et transférer la relation de pouvoir visiblement inspirée par la situation coloniale de l’époque à une relation horizontale plus en phase avec les volontés d’indépendance des pays et peuples africains qui culminèrent au début des années 1960. Lee Falk précise d’ailleurs à ce sujet, dans une entrevue accordée au L.A Times en 1996, que la décolonisation progressive du Bengali s’imposait d’elle-même et ne se limite pas qu’au personnage principal : « Le chef de la ‘Patrouille de la Jungle’ était autrefois Blanc ; désormais, tout du moins dans le comic strip, il est Noir[18]. »

Désireux de s’adapter aux changements sociaux de l’après-guerre, Lee Falk remit ainsi lui-même en cause la position dominante du Fantôme envers les locaux et fit évoluer celle-ci vers un rapport plus égalitaire. En revanche, contrairement au personnage de Lothar dans Mandrake, les natifs du continent ne bénéficièrent quant à eux que d’une évolution graphique très partielle. L’essentiel des changements provint d’une modification invisible et implicite, mais néanmoins palpable : la décolonisation des rapports entre le super-héros blanc et ses contemporains noirs.

Cette volonté affirmée de rétablir une égalité de traitement permit aux auteurs du Fantôme de s’éloigner peu à peu de la représentation stéréotypée de l’altérité, et de tendre progressivement vers un changement de paradigme, soit une dé-mythification (toute relative) du Fantôme réalisée au profit d’une décolonisation de l’imaginaire intrinsèque de l’œuvre.

Il existe d’autres cas dans lesquels les super-héros incarnent un idéal de lutte contre l’injustice qui se conjugue à des prises de position contre l’impérialisme ou l’exploitation humaine. Dans ceux-ci, le super-héros transfigure le cadre du sauveur pour s’inscrire dans celui du résistant, et ce, quelle que soit la nature de son combat ou sa nationalité.

Le (super-)héros : une parabole de la résistance culturelle et politique internationale aux États-Unis, Wakanda et Nigéria

Avant toute chose, il convient de définir plus en profondeur le vocable qui nous permettra de répondre à cette question essentielle à la suite de notre analyse : qu’est-ce qu’un super-héros ? Dans son ouvrage spécialement dédié à la définition du genre du comics de super-héros, Peter Coogan propose la définition suivante de ces individus hors du commun :

C’est un personnage héroïque investi d’une mission altruiste et/ou sociale […] possédant une identité super-héroïque matérialisée par un nom de code et un costume iconique qui expriment généralement son vécu, ses caractéristiques, super-pouvoirs ou ses origines (par la transformation depuis un humain ordinaire au super-héros)[19].

Umberto Eco effectue quant à lui une distinction nettement marquée entre les différents types de super-héros : « Les super-héros se divisent en deux catégories : ceux qui sont dotés de pouvoirs surhumains et ceux qui sont doués de facultés terrestres normales, potentialisées au maximum[20]. »

L’auteur ne fait toutefois pas de différence entre super-héros terrestres, comme Black Panther, Batman ou Spiderman, et extra-terrestres comme Superman. Il est toutefois assez significatif de noter qu’un certain nombre de ces mêmes super-héros et super-héroïnes – qu’ils soient terriens ou non – s’inscrivent simultanément dans la continuité de thématiques et d’inspirations mythologiques et répondent à une demande de justice sociale plus prosaïque, mais tout aussi importante.

Le super-héros américain : un travailleur social mythologique

Superman.

Comme le met notamment en lumière Peter Coogan, la genèse de nombre de super-héro.ïnes de comics tire sa source de récits à la fois mythologiques, épiques et légendaires[21]. Néanmoins, il convient de préciser un point d’une importance capitale pour la suite de notre analyse : l’ensemble de ces récits appartient à une culture et un folklore majoritairement occidentaux. En effet, Jerry Siegel citait lui-même les influences qu’il mobilisa lors du processus de création de Superman, héros américain par excellence : « Je l’ai conçu comme une combinaison de personnages forts, puissants comme Samson, Hercule, et de tous les hommes forts que je connaissais et ai poussé leurs caractéristiques à l’extrême[22]. »

Superman a donc été conçu par ses créateurs comme une figure mythologique enracinée dans un cadre pétri de références culturelles antiques apparemment occidentales. Notons également que cette parenté mythologique se manifeste également visuellement chez certain.es autres super-héro.ïnes et s’exprime au travers de l’esthétique de leur costume. Citons à cet égard les personnages de Flash dont le costume au chapeau et aux bottes ailées n’est rien moins qu’une retranscription modernisée des attributs visuels du dieu Hermès/Mercure, ou encore le costume de Thor, fortement inspiré par la mythologie nordique.

L’hybridation entre mythologie et personnages aux capacités extraordinaires s’avère couronnée de succès puisque ce type de héros – désormais appelés super-héros car étant supérieurs aux simples héros – est au faîte de sa popularité dans les années 1940. Son existence entérine un nouveau genre à part entière qui possède désormais ses propres codes graphiques et idéologiques et ses univers à la fois empreints d’éléments fantastiques et réalistes comme nous allons le voir dès maintenant.

À l’origine, le genre du comics de super-héros visait un lectorat essentiellement enfantin, mais s’inspirait également des récits d’aventures plus adultes issus de la littérature pulp[23]. Cette dernière source d’inspiration conduisit le médium à intégrer des problématiques qui faisaient appel à des sous-textes politiques et sociaux plus profonds[24]. Une fois de plus, Superman incarnait cette ambivalence thématique :

[…] Superman représentait la quintessence des possibilités offertes par le genre du fantastique : il était le seul survivant de l’apocalypse de la planète Krypton […] qui sous sa forme humaine pouvait voler plus vite qu’une balle, voir à travers des bâtiments […] et soulever des objets incroyablement lourds à mains nues. […] Il était également un genre de super-travailleur social, […] un ‘Champion des opprimés’ qui reflétait les idéaux libéraux de la politique du New Deal de Roosevelt. Les hommes alcooliques qui battaient leur femme et autres accrocs aux jeux d’argent recevaient une correction de sa part […][25].

Le Superman des premiers temps était donc à la fois un sauveur de l’humanité et un défenseur des classes sociales les plus modestes qui se livrait à des actions de proximité dans le but d’œuvrer utilement pour le bien de la communauté avant de se ranger, dans les années 1950, du côté du gouvernement américain et de servir celui-ci à des fins plus patriotiques[26].

D’autres super-héros se sont également illustrés, quelques années plus tard, par la teneur sociale de leur combat qui trouvait un écho particulier dans les luttes politiques du monde réel. Tel est notamment le cas de la galerie de super-héros/mutants de Marvel, les X-Men, dont la scission en deux camps idéologiques distincts – certains cherchent à vivre en paix avec l’humanité tandis que d’autres cherchent à affirmer leur existence par la force – était en réalité une retranscription en filigrane de la situation vécue par la population noire américaine à partir de la moitié des années 1960.

X-Men.

En effet, Stan Lee a choisi de transposer au sein de l’univers des X-Men l’opposition entre des figures modérées et assimilationnistes, comme Martin Luther King, et des individualités plus radicales et partisanes des idées du Black Power, comme Malcolm X ou Stokely Carmichael[27]. Chris Clairemont étaye cette interprétation lorsqu’il affirme que la série X-Men traite essentiellement des thématiques de l’exclusion et du combat contre celle-ci :

Les X-Men sont détestés, craints et rejetés en bloc par l’humanité pour la simple raison qu’ils sont des mutants. Ce à quoi nous avons affaire ici, que les créateurs en soient conscients ou non, c’est à un ouvrage qui traite du racisme, de l’intolérance et des préjugés […] Il s’agit d’une histoire où des individus opprimés se battent pour changer leur situation, ce qui je crois favorise l’empathie du plus grand nombre[28].

De fait, nous pouvons avancer l’hypothèse selon laquelle les X-Men, en dépit de leurs orientations et leurs choix respectifs (assimilationnistes ou séparatistes) combattent un système d’oppression qui cherche à supprimer leur existence par tous les moyens nécessaires. C’est en cela qu’ils entretiennent une relation conflictuelle avec le gouvernement et les populations humaines et se trouvent placés dans une position semblable à celle des Noirs américains que Frantz Fanon qualifie de colonisés de l’intérieur dans son ouvrage Les damnés de la terre.

De Harlem au Wakanda : protection de la communauté et résistance à l’impérialisme

Luke Cage.

Luke Cage est un super-héros noir américain assez particulier qui doit probablement son existence tout entière à la vague cinématographique de la Blaxploitation. Ce courant, né au début des années 1970 et initié par le film de Melvin Van Peebles Sweet Sweetback’s Baadasssss Song (1971)[29], mettait en scène des films de tous genres (horreur, action, drame social, film indépendant, etc.) ayant pour dénominateur commun la présence au casting d’acteurs et d’actrices quasiment tous africain.es-américain.es.

Certaines de ces réalisations contenaient un sous-texte social et politique délivrant un message généralement à la population noire : face aux oppressions de toutes sortes mises en place par l’establishment/« the Man », des héros et héroïnes se dressent afin de protéger leur communauté[30]. Les films de la Blaxploitation, dont la majorité de la production se situe en 1969 et 1974[31], sont d’après Tia Tyree et Liezille Jacobs nés d’une volonté de contrebalancer un ensemble de mesures politiques adoptées dans les années 1960 et doivent autant à l’essor public d’une certaine forme de critique sociale qu’au mécontentement grandissant de la population noire face aux représentations négatives d’eux/d’elles-mêmes dans les films[32].

Luke Cage : Hero for Hire voit officiellement le jour en juin 1972 à l’initiative de John Romita et d’Archie Godwin. Il possède nombre de caractéristiques communes avec beaucoup de héros de films de la Blaxploitation. Originaire d’Harlem, Lucas, de son vrai nom, grandit dans un environnement gangréné par la corruption et le crime organisé[33]. Il incarne un archétype de héros masculin viril d’une force surhumaine[34], a côtoyé de près la pègre de New York – la Blaxploitation étant un phénomène essentiellement urbain, la plupart des films se déroulent dans les grandes agglomérations du Nord des États-Unis[35] – et se dresse seul contre tout un système oppressif. Ses super pouvoirs, quant à eux, proviennent d’une expérience scientifique qui a considérablement accru sa force et sa résistance physiques.

Si Luke Cage marque un tournant assez notable dans l’histoire du médium du comic book en raison du fait qu’il soit l’un des tout premiers héros noirs grand public, il ne bénéficie cependant pas de la primeur de ce statut puisque celui-ci est détenu par le célèbre super-héros connu sous le nom de « Black Panther ».

La première apparition de Black Panther a lieu lors de la publication du numéro 52 des aventures des Quatre Fantastiques en juillet 1966. T’Challa de son vrai nom est – tout comme Lothar et contrairement à tous les autres super-héros de Marvel – un descendant d’une lignée royale. Il est le fils de T’Chaka, souverain d’un pays indépendant fictif d’Afrique subsaharienne appelé Wakanda.

La singularité de la situation géopolitique du Wakanda est notable dans le cadre de la représentation du continent africain par la culture populaire et le comic book en particulier. Le pays est intégralement indépendant et vit en autarcie grâce à sa principale source de revenus qui constitue également un enjeu de conflits stratégiques internationaux. La richesse du pays repose sur l’exploitation d’un minerai/métal précieux appelé vibranium dont les propriétés sont multiples. Les possibilités offertes par l’exploitation de ce métal suscitent la convoitise de nombreux pays extérieurs comme internes au continent africain.

Dans le cadre de l’univers Marvel, deux différents types de vibranium existent : le premier fut découvert en Antarctique et possède la capacité de dissoudre le métal ; le second au Wakanda. L’existence de ce dernier fut longtemps dissimulée au monde extérieur par les dirigeants successifs du Wakanda en raison de sa puissance et de sa possible exploitation à des fins militaires ; le vibranium du Wakanda absorbe puis accumule l’énergie vibratoire afin de renforcer sa structure jusqu’à atteindre une quasi-invulnérabilité[36].

Carte du Wakanda.

Outre le fait de conférer une avancée technologique et stratégique au Wakanda par l’attribution d’un tel avantage, les auteurs de Black Panther ancrent également leur univers dans une dimension proche du réel. La présence d’un métal précieux et la richesse du sol minier du Wakanda peuvent être comparées à la situation géologique de certaines régions de l’Afrique centrale et du Sud, et plus particulièrement à la production d’uranium. Lors de la course à l’armement propre à l’affrontement de la Guerre froide, la Commission de l’Énergie Atomique Américaine (U.S. Atomic Energy Commission) acquiert près de 85 pour cent de la totalité de l’uranium mondial qu’elle obtient auprès de l’Afrique du Sud, du Niger et de la Namibie[37]. J.D.L Moore estime ainsi qu’une écrasante majorité de l’uranium produit avant les années 1960 a été utilisée dans le cadre de l’armement nucléaire et fut stockée par les États détenteurs de ces armes. En revanche, la tendance s’inverse après les années 1960 avec l’exploitation de plus en plus importante des capacités énergétiques de l’uranium[38].

L’aspect physique de T’Challa s’inscrit pour sa part en faux contre les archétypes génériques diffusés par les comics des années 1930 et d’une partie des années 1940. Le personnage de T’Challa/Black Panther est complexe et dense, car il doit composer avec de nombreuses dynamiques personnelles : il est à la fois un chef d’État, un super-héros, un guerrier et artiste martial, un représentant officiel d’un pays africain, etc. Bien que toutes ses facettes soient multiples, le personnage possède une certaine constance et une puissance physique et mentale qui inspirent encore aujourd’hui un certain respect, tout spécialement auprès du lectorat africain, de la diaspora et afro-descendant de ses aventures[39].

Black Panther.

Black Panther incarne, plus que tout autre super-héros, le concept même de résistance. Par ailleurs, la lutte de Black Panther pour la sauvegarde des stricts intérêts économiques et territoriaux du Wakanda se double assez rapidement d’un combat contre l’impérialisme international guidé implicitement par les principes fondateurs du mouvement du Black Power qui émergeaient aux États-Unis à l’époque de la première apparition du super-héros. Ces principes reposaient sur deux idées maîtresses : la volonté des peuples noirs à disposer d’eux-mêmes[40] – soit l’autodétermination – et le renforcement de la communauté à travers des programmes sociaux qui se proposaient de répondre aux besoins immédiats de celle-ci[41].

Au fil des nouvelles itérations de Black Panther, ce message particulier se fait de plus en plus visible. En 2005, lorsque la série est reprise par le directeur du département de divertissement de la chaîne Black Entertainment Television Reginald Hudlin, l’articulation entre héritage idéologique du Black Power et considérations super-héroïques devient prégnante. La nouvelle version de Black Panther met explicitement en lumière la difficile tâche qui incombe à T’Challa : il doit conserver la position d’indépendance du Wakanda vis-à-vis des nations occidentales et maintenir son statut ambivalent de super-héros et de roi au sein de son propre pays. Il incarne une fois de plus parfaitement cette hybridation d’idées séparatistes, nationalistes et anti-impérialistes théorisées par certains partisans du Black Power, dont les Black Panthers[42].

Black Panther Party.

Non contents de partager un nom commun au super-héros de Marvel, les Black Panthers possédaient également toutes les caractéristiques dignes de « super-héros du quotidien » ; ils promouvaient un idéal de justice sociale et de défense des opprimés – en l’occurrence les populations économiquement défavorisées – ils véhiculaient également une imagerie puissante matérialisée au travers de symboles forts[43], et portaient un nom qui entrait en résonance avec le concept même du super-héros tel qu’il est défini par Peter Coogan[44].

Pour conclure ce point, nous pouvons relier indirectement Luke Cage à Black Panther. Bien que tout semble les séparer – leur origine, leur genèse, leur éducation et le contexte social dont ils sont issus divergent – leurs motivations recouvrent une volonté de résistance assez similaire et qui vise avant tout à la protection de leur communauté. Tandis que Luke Cage veille sur New York et tente d’éliminer la criminalité grâce à ses propres armes, Black Panther tente de protéger les siens des tentatives d’incursions coloniales occidentales à l’encontre du Wakanda. Les deux super-héros se sentiraient donc investis d’une mission qui consiste à respectivement rendre New York plus sûre et plus agréable à vivre pour ses habitant.es dans le premier cas, et à maintenir l’indépendance d’un pays et un équilibre géostratégique de sa puissance dans le second. Les buts à atteindre des deux protagonistes sont donc relativement proches, seules diffèrent les dimensions de la tâche à accomplir.

Les super-héros africains à l’assaut des représentations mainstream de l’Afrique

Comme nous l’avions déjà dit plus haut, nombre de super-héros et super-héroïnes empruntent à des récits mythologiques et des contes et légendes divers. Nous avons notamment convenu que la très grande majorité de ces récits appartient à un folklore culturel occidental. Cette présence de super-héros dans le comic book inspirés par la mythologie « européenne » est un fait désormais attesté et reconnu par les spécialistes du médium[45]. En revanche et comme ce fut le cas du monde du cinéma lors de la période qui précéda la Blaxploitation, il existe un manque réel de super-héros authentiques originaires du continent africain, voire issus de la diversité. Interrogé au sujet de ce manque, le dessinateur nigérian Roye Okupe déclare :

Si vous êtes un fan de comics et/ou des super-héros, il y a de grandes chances pour que vous ne puissiez nommer un super-héros africain. Même certains fans inconditionnels ne sont pas capables d’en citer hormis Black Panther et Storm des X-Men[46].

En d’autres termes, le constat est sans appel pour cette nouvelle vague de créateurs et artistes africains et afro-descendants : hormis les personnages qui proviennent de l’imaginaire et des canons de représentation américains, aucun super-héros issu du continent ou de sa diaspora n’a su s’exporter durablement à l’international. Actuellement, la nécessité d’élaborer des histoires faisant appel à des référents culturels africains authentiques[47] et de créer des super-héro.ïnes africain.es ou afro-descendant.es se fait cruellement ressentir. C’est pour répondre à ce besoin grandissant du public aussi bien international qu’intracontinental[48] que Roye Okupe propose aux créateurs de développer une approche qualitative formelle reposant sur une hausse globale des standards de production, ainsi que sur la mise en place d’une narration et d’un univers plus en phase avec les réalités africaines actuelles :

Je suis convaincu que l’heure du changement est arrivée. En tant que créateurs africains, nous devons hausser la qualité de nos créations pour ne pas nous contenter d’une production africaine lambda – nigériane pour ma part – qui intègre maladroitement des personnages africains ; nous devons créer des protagonistes forts et les mettre au service d’histoires dantesques[49].

Cette proposition s’inscrit dans une démarche à la fois artistique et sociale dont l’auteur précise le but :

Je veux que les lecteurs et lectrices découvrent une image différente du Nigeria, notre industrie technique en plein essor, notre culture unique, notre sens de l’humour, « l’Afrofuturisme »… qui ne sont jamais mis à l’honneur par les médias grand public traditionnels[50].

Comme nous pouvons le constater, il émane de cette initiative une volonté affirmée de montrer aux yeux du monde entier une image de l’Afrique – du Nigéria plus précisément dans le cas d’Okupe – qui vise à déconstruire l’imagerie dominante, biaisée et perçue au travers du prisme des relations complexes entre l’Afrique et l’Occident encore assez souvent imprégnées de considérations héritées de stéréotypes diffusées par la littérature coloniale populaire[51]. À ce propos, la dessinatrice Afua Richardson[52] constate que la représentation du continent et de ses habitants varie peu ou prou, et est la plupart du temps au désavantage de ce dernier :

Généralement, on n’offre au public qu’une série d’images faites de famines, de pays en guerre, de grandes étendues stériles ou de jungles emplies de moustiques tueurs d’Afrique centrale. On ne lui donne que des éléments vagues sur les vies simples des hommes de tribus et de seigneurs de guerre parce que quelqu’un n’a pas voulu effectuer une recherche rapide. Ou bien encore, dans le cas de récits de fiction qui se déroulent dans la hiérarchie africaine, ceux-ci sont réservés à une sur-exploitation dramatique des dynasties égyptiennes, occultant au passage les accomplissements que le continent a réalisé ce dernier millénaire. Cet état d’esprit relève de la paresse[53].

Guardian Prime.

Guardian Prime.

C’est donc dans ce contexte de relative frilosité artistique et intellectuelle que l’initiative de la structure de production nigériane Comic Republic prend tout son sens. Cette dernière connait actuellement une croissance relativement importante en regard de son statut de nouveau-né du marché du comic book : la première publication de son super-héros « porte-étendard » nommé Guardian Prime (équivalent nigérian du Superman de Marvel) est assez récente à l’heure où nous écrivons ces lignes puisqu’elle remonte à 2013.

Lorsque Jide Martin, le co-fondateur de Comic Republic décrit la motivation profonde à l’origine de la création de Guardian Prime, il fait appel à une logique clairement définie et qui complète les propos positifs de Roye Okupe :

J’ai voulu montrer aux Nigérians, et plus généralement aux citoyens de ce monde, que nous sommes capables de devenir bien plus que ce que nous pensons être […][54]. Le personnage de Guardian Prime est essentiellement basé sur la foi que chacun doit avoir en ses propres capacités […]. Si vous croyez en vous, alors vous pouvez tout faire. La seule limite qui existe est celle que vous vous fixez […] Guardian Prime est aussi fort, rapide et invulnérable que ce qu’il pense être[55].

Cette philosophie serait donc voisine des notions d’empowerment et d’autodétermination que nous avons détaillées plus tôt dans cet article. L’existence du personnage de Guardian Prime et sa raison d’être feraient alors écho aux préoccupations de la jeunesse nigériane d’aujourd’hui, tout comme le fut celle de Superman en son temps.

La parenté entre le personnage de Superman et celui de Guardian Prime se retrouve également dans le caractère divin des deux super-héros. Alors que Superman est entre autres perçu par les lecteurs américains comme une figure christique et sacrée en raison de sa propension naturelle à aider les plus faibles et à défendre les opprimés[56], Guardian Prime est quant à lui l’incarnation d’une force divine ancienne profondément liée aux éléments terrestres : « [….] Tous les 2000 ans, Gaya, la Mère nature réveille le Gardien présent dans son hôte. Cette fois-ci…le Gardien est nigérian »[57].

C’est très précisément cette approche divine du super-héros qui sépare un personnage comme Lothar (en dépit de sa force physique incommensurable, Lothar reste avant tout un être humain) d’un héros comme Guardian Prime. C’est la raison pour laquelle le fait de créer un super-héros nigérian authentique revêt un caractère de revendication du fait de l’établissement de personnages qui transcendent leur humanité, soutenant ainsi le propos de Jide Martin sur le pouvoir et l’étendue des capacités de chacun et offrant aux lecteurs nigérians la possibilité de s’identifier à un super-héros qui partage avec eux des référents culturels africains communs.

La dimension héroïque est également importante, car elle s’accompagne ici de la volonté de création d’un mythe, d’un modèle (souvent alternatif) pour les générations présentes et futures. Cette revendication militante de pérennisation par la création prend un sens bien particulier dans le cas des populations africaines et afro-descendantes qui cherchent dans le cas présent à construire leurs propres modèles et sources d’inspirations en réponse à une industrie majoritairement blanche et qui minore – de façon consciente ou inconsciente – la portée des super-héro.ïnes noir.es.

D’autres super-héros et super-héroïnes de Comic Republic transfigurent également leur humanité et proposent un ensemble de contre-modèles alternatifs aux X-Men et autres Avengers.

Parmi elles et eux, nous pouvons citer le jeune Joshua Martin connu sous le nom de Nutech et qui se sert de ses capacités de « télétechnopathie » et de maîtrise du magnétisme[58] ; Ireti qui est issue du « royaume Yoruba » et est une figure féminine guerrière forte qui se rapproche de Black Panther en ceci qu’elle est en charge de la protection de son peuple[59]. Mentionnons également Eric Kukoyi, professeur à l’Université de Lagos le jour, et incarnation terrestre de la peur une fois la nuit tombée, qui revêt le nom d’Eru, ou encore Hilda Avonomemi Moses, une super-héroïne amnésique née en 1937 dans le village d’Etunor et qui possède la capacité de voir les esprits[60].

Comme nous pouvons le constater, le panthéon super-héroïque de Comic Republic se distingue nettement du reste de la production mondiale par plusieurs points. Tout d’abord, l’intégralité de sa chaîne de production de comic books est gérée par des artistes, illustrateurs et scénaristes nigérians, plus à même d’insuffler des éléments culturels traditionnels authentiques – notamment linguistiques – au sein de leurs œuvres. Ensuite, la mixité en termes de genre et la proportion de personnages féminins est beaucoup plus importante au sein de la galerie de super-héro.ïnes de Comic Republic qu’elle ne l’est ailleurs.

Nous pouvons également supposer que cette décision est le résultat d’une démarche visant à retranscrire au mieux la problématique de la place des femmes au sein de la société nigériane. Enfin, et comme il a été écrit précédemment dans cet article, l’acte de réappropriation de la figure du super-héros et des thématiques connexes telles que le transhumanisme, le dépassement de ses propres limites ou la foi en ses capacités se double d’un discours de valorisation culturelle qui met en lumière les aspects positifs du Nigéria actuel et contribue à dessiner progressivement de nouveaux schémas de représentations émanant des principaux intéressés.

Pour conclure, nous pouvons dire que le chemin parcouru fut long entre les premières formes de représentations noires populaires stéréotypées diffusées largement par l’industrie du divertissement occidental et la fondation de maisons d’édition indépendantes valorisant des aspects positifs du continent africain et de ses populations.

Le processus de décolonisation des images et imaginaires s’est essentiellement manifesté en réaction à un contexte historique et social particulier. Les dessinateurs et scénaristes américains et africains de comic books ont su retranscrire visuellement leur volonté de changement à travers la création, la diffusion et la pérennisation de figures super-héroïques noires, symboles d’idées parfois révolutionnaires, égalitaristes, voire anti-impérialistes et anticoloniales dans certains cas.

 

*Cet article est paru une première fois sur Histoire Engagée le 14 décembre 2016.

Pour en savoir plus

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[1] Nous utilisons ici le vocable de comic book tel qu’il était envisagé lors de la première publication d’Action Comics en 1938 et qui vit naître les premières aventures de Superman. Nous utilisons également ce terme au sens ou l’emploie Liam Burke, soit : « une publication sérielle qui repose sur le langage utilisé par le  »comics » ». Voir : Liam Burke, The Comic Book Film Adaptation : Exploring Modern Hollywood’s Leading Genre, Jackson, University of Mississippi Press, 2015, p. 13.

[2] Il convient de préciser que nous employons à dessein le terme de comic strip pour son inextricable attachement à la sphère anglophone qui nous préoccupe ici. Nous reprenons ainsi la définition donnée par Eric Maigret et Matteo Stefanelli : « Toutes les caractéristiques remarquables du genre comic strip, vers 1900 – les bulles parlantes, l’évocation du mouvement chronophotographique, le tracé schématique, le slapstick, les traits du ‘’mignon’’, etc. – ont été forgées, testées et combinées dans ce laboratoire […] bien particulier. Personne ne peut douter que R. F. Outcault, F. B. Opper, James Swinnerton, Rudolph Dirks – comme tous les autres pionniers du comic strip américain – étaient avant tout des illustrateurs humoristiques (ce que souligne le terme même de comic strip) ». Voir : Eric Maigret et Matteo Stefanelli, La bande dessinée : une médiaculture, Paris, Armand Colin, 2012, p. 51.

[3] Nous employons ici le terme de « caricature » selon la définition que lui confère Annie Duprat : « […] dessin polémique qui utilise soit la déformation des corps, soit l’animalisation, soit une mise en scène irréelle avec l’irruption d’un élément incongru dans la scène. Si elle n’a pas toujours vocation à déclencher le rire, elle cherche à ridiculiser, à provoquer, ou encore à stigmatiser une situation ou une personne ». Voir : Annie Duprat, Images et Histoire. Outils et méthodes d’analyse des documents iconographiques, Paris, Belin, 2007, p. 143.

[4] Performances scéniques durant lesquelles des comédiens blancs grimés en Noirs parodiaient en chanson les attitudes supposées des populations noires. Le genre né en 1828 opère son « transfert » au cinéma en 1927 suite à la sortie du film d’Alan Crossland, The Jazz Singer (Le chanteur de Jazz), qui met en scène un artiste se faisant connaître grâce à ses numéros de Blackface Mintsrelsy.

[5] Dont les traits du visage seraient, d’après Yves Frémion, directement inspirés de ceux de Lee Falk. Voir l’entrée « Falk Lee (1905-1999) » du Dictionnaire de la Bande dessinée de l’Encyclopaedia Universalis, en ligne.

[6] Notamment la série Musical Mose (1902) de George Herriman ou Sambo and His Funny Noises de William Mariner (1905) dont le nom fait référence à l’ouvrage de littérature enfantine écrit par Hélène Bannerman, The Story of Little Black Sambo (1899).

[7] Leslie Fiedler, Come Back to the Raft Ag’in, Huck Honey, cité dans Peter Coogan, Superhero. The Secret Origin of a Genre, Austin, Monkeybrain Books, 2006, p. 119.

[8] Respectivement présents dans Moby Dick, Huckleberry Finn, Le Dernier des Mohicans, Une princesse de Mars et dans l’émission radiophonique éponyme diffusée sur la station WXYZ à partir de 1933. Ibid.

[9] Il est donc sur ce point diamétralement opposé à des archétypes tels que Sambo ou Musical Mose qui ne sont que des personnages-fonctions comiques sans personnalité propre.

[10] Ce à quoi nous pouvons également ajouter que le traitement juridique des colonisés se différencie de celui des citoyens français de la métropole. L’instauration d’une réglementation particulière connue sous le nom de « Code de l’indigénat » en Algérie à partir de 1881 témoigne d’une étape déterminante dans le processus de colonisation. En effet, ce code prévoit notamment des peines spécifiques pour les délits propres aux colonisés, l’instauration de taxes particulières, la mise en place de travaux obligatoires sous forme de corvées et accorde aux administrateurs coloniaux un droit d’application juridique. Pour en savoir plus, on s’en réfèrera entre autres à : François Dumasy, Odile Goerg et Xavier Huetz de Lemps, Les sociétés coloniales à l’âge des Empires. Afrique, Antilles, Asie (années 1850 – années 1950), Saint-Mandé, Bréal, 2012, 400 p. ; Olivier Le Cour Grandmaison, De l’indigénat. Anatomie d’un « monstre » juridique : le droit colonial en Algérie et dans l’Empire français, Paris, La Découverte, 2010, 204 p. ; Emmanuelle Saada, « Citoyens et sujets de l’Empire français : Les usages du droit en situation coloniale », Genèses, vol. 53, no 4, 2003, p. 4-24.

[11] Les deux périodes-clés de Mandrake marquées par l’évolution du personnage de Lothar sont généralement situées après la Seconde Guerre mondiale et durant la seconde moitié de la décennie 1960. Ces deux périodes correspondent respectivement à une hausse des protestations du Mouvement pour les Droits civiques aux États-Unis envers l’industrie hollywoodienne et son manque de rôles positifs accordés aux Noir(e)s, et à la naissance du mouvement du Black Power.

[12] Nous entendons par là que l’apparence de Lothar fera de moins en moins montre d’une altérité noire africaine telle qu’envisagée voire fantasmée par les créateurs des aventures de Mandrake.

[13] Lorsque l’artiste Fred Fredericks prendra la suite de Phil Davis après son décès survenu en 1964. Nous pouvons également noter que l’année 1965 correspond, aux États-Unis, à un tournant marquant pour la population africaine-américaine. L’assassinat de Malcolm X, les émeutes du quartier de Watts (Los Angeles), la naissance du mouvement du Black Power et le désistement progressif des jeunes militant.es noir.es envers l’idéal d’intégration et de non-violence prôné par Martin Luther King Jr. et le Mouvement pour les Droits civiques sont quelques-uns des événements majeurs qui entérinent ce changement.

[14] Jean-Marc Lainé, « Le coup de génie de la presse américaine », Historia. Les super-héros, sentinelles de l’histoire du XXe siècle, Spécial no 18, juillet-août 2014, p. 31.

[15] On pourra noter à ce titre que cette description est à l’identique de celle de Bruce Wayne et de son alter-ego héroïque Batman.

[16] Carlo Ginzburg, Mythes, emblèmes, traces, Paris, Verdier, 2010, 336 p.

[17] Ce qui rapprocherait le Fantôme de la rhétorique et des éléments de langage étatiques propres à l’entreprise coloniale européenne du XIXe siècle. La mission civilisatrice qui en découlait s’était en en partie basée sur cette approche paternaliste des relations de pouvoir entre colons et colonisés.

[18] Jonathan Mandell, « The Phantom’s Father Is a Pretty Legendary Figure Too », Los Angeles Times, 10 juin 1996, en ligne.

[19] Peter Coogan, Superhero. The Secret…, p. 30.

[20] Umberto Eco, De Superman au surhomme, Paris, Grasset, 1993, 252 p.

[21] Peter Coogan, Superhero. The Secret…, p. 116.

[22] Ibid., p. 117.

[23] Selon la définition proposée par Laurence Consalvi : « dans la tradition littéraire populaire américaine, les « Pulp Magazines » sont des publications en format 9×6 pouces, imprimées sur papier en pulpe de cellulose traitée chimiquement (d’où le nom) ». Voir : Laurence Consalvi, « Des écla…boussures de rire », dans Mongi Madini, dir., 2000 ans de rire : permanence et modernité. Colloque International GRELIS-LASELDI/CORHUM, Besançon, 29-30 juin, 1er juillet 2000, Besançon, Presses Universitaires Franc-Comtoises, 2002, p. 335-354.

[24] Roger Sabin, Comics, Comix & Graphic Novels. A History of Comic Art, Londres, Phaidon, 1996, p. 57.

[25] Idem.

[26] Pour en savoir plus sur cette évolution du personnage, voir : Joe Sergi, «  The Amazing Adventure of The Man of Steel and the Psychiatric Censor – Superman vs. Doctor Wertham », Comic Book Legal Defense Fund, 19 septembre 2012, en ligne.

[27] Pour approfondir cette opposition et les thématiques sous-jacentes à la série, voir : P. Andrew Miller, « Mutants, Metaphor, and Marginalism : What X-actly Do the X-Men Stand For ? », Journal of the Fantastic in the Arts, vol. 13, no 3, 2003, p. 282-290.

[28] Chris Claremont, cité dans Will Jacobs et Gerard Jones, The Comic Book Heroes. The First History of Modern Comic Book from the Silver age to the Present, New York, Crown Publishers, 1985, p. 251; P. Andrew Miller, « Mutants, Metaphor, and… », p. 283.

[29] La parenté de la Blaxploitation reste encore soumise à débats. D’aucuns affirment qu’elle remonterait à l’adaptation des aventures de Fossoyeur Jones et Ed Cercueil Johnson écrites par Chester Himes, Cotton Comes to Harlem (1970). D’autres situent plutôt sa naissance avec le film de Melvin Van Peebles.

[30] On retrouve entre autres cette configuration dans les films Shaft (1971), Gordon’s War (1973), Coffy, la Panthère noire de Harlem (1973), Foxy Brown (1974), ou plus récemment Black Dynamite (2009).

[31] Ed Guerrero, Framing Blackness : The African American Image in Film, Philadelphie, Temple University Press, 1993, p. 69.

[32] Tia C.M Tyree et Liezille J. Jacobs, « Can You Save Me ?: Black Male Superheroes in Film », Spectrum : A Journal on Black Men, volume 3, no 1, automne 2014, p. 8.

[33] Il convient d’ailleurs de noter que cette situation trouve un écho dans le contexte social et économique du Harlem réel des années 1970. Ce dernier est en proie à des troubles majeurs qui se manifestent, entre les années 1960 et 1970, par une dégradation des conditions de vie des résidents du quartier. Durant cette période, on estime que la moitié des 216 000 immeubles qui le composent se situent en dessous du seuil de salubrité et que le Department of Buildings de la ville recevait près de 500 plaintes quotidiennes des locataires de ces mêmes immeubles et qui concernaient essentiellement les conséquences de la vétusté des logements. À ceci, nous pouvons ajouter que le crime organisé croît de façon exponentielle et qu’à l’orée des années 1970, le nombre de délinquants juvéniles interpelés a triplé du fait de la présence de plus en plus importante des gangs dans Central Harlem. Pour en savoir plus, voir : Jonathan Gill, Harlem. The Four Hundred Year History from Dutch Village to Capital of Black America, New York, Grove Press, 2011, 448 p.

[34] Son équivalent cinématographique pourrait d’ailleurs être incarné par les acteurs africains-américains Jim Brown ou Fred Williamson.

[35] Pour en savoir plus, voir : Paula J. Massood, Black City Cinema. African American Urban Experience in Film, Philadelphie, Temple University Press, 2003, 280 p.

[36] Le bouclier de Captain America et le costume de Black Panther sont par exemple faits de vibranium.

[37] J.D.L Moore, South Africa and Nuclear Proliferation. South Africa’s Nuclear Capabilities and Intentions in the Context of International Non-Proliferation Policies, New York, Macmillan, 1987, p. 72.

[38] Idem.

[39] Pour approfondir cette question de la réception, voir : Andrew Wheeler, « Trace The Lineage of Black Super Heroes », Marvel, 28 février 2014, en ligne.

[40] On pourra par ailleurs noter que ce droit des peuples à disposer d’eux-mêmes constitue l’un des fondements de la Charte des Nations Unies et a constitué un enjeu de la décolonisation à partir des années 1960. Sur la complexité de cette problématique évolutive, voir : Philippe Moreau Defarge, « L’Organisation des Nations unies et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », Politique étrangère, vol. 58, no 3, 1993, p. 659-671.

[41] Pour aller plus loin, voir : Stokely Carmichael, Stokely Speaks. From Black Power to Pan-Africanism, Chicago, Chicago Review Press, 2007, 256 p.

[42] Keith P. Feldman, « Reviewed Work: Black Panther by Reginald Hudlin, John Romita », MELUS, vol. 32, no 3 : Coloring America : Multi-Ethnic Engagements with Graphic Narrative, automne 2007, p. 256.

[43] L’uniforme unique à connotation de tenue de combat et le choix de la panthère comme symbole sont autant d’attributs qui établissent une parenté entre les membres du Black Panther Party et l’idée de super-héro.ïnes.

[44] Le Parti était originellement appelé le « Black Panther Party for Self-Defense » lorsqu’il fut fondé, traduisant ainsi une volonté affirmée de défendre la communauté noire d’Oakland (Californie) face aux brutalités policières. Le nom fut raccourci en « Black Panther Party » au fur et à mesure de la mise en place de programmes sociaux.

[45] Afin de revenir plus en détail sur cette observation, voir : Alex Nikolavitch, « Et l’Homme créa le surhomme », Historia. Les super-héros, sentinelles de l’histoire du XXe siècle, Spécial no 18, juillet-août 2014, p. 11-13

[46] David Barnett, « African Avengers : the comic book creators shaking up superhero genre », The Guardian, 3 février 2016, en ligne.

[47] Nous entendons par là non situés dans une temporalité et/ou localisés géographiquement dans un univers éloigné du monde réel.

[48] « Le lectorat de Comic Republic se compose de 40 pour cent de lecteurs américains, 30 pourcent de Nigérians, 20 pour cent d’Européens, le reste du monde partage les 10 derniers pour cent », dans Kenny Sokan, « African Avengers : The Comic Republic is creating a new world of superheroes », PRI, 26 février 2016, en ligne.

[49] David Barnett, « African Avengers : the… ».

[50] Idem.

[51] Pour en savoir plus, voir Alain Ruscio, Le crédo de l’homme blanc. Regards coloniaux français. XIXe – XXe siècles, Paris, Complexe, 2002, 410 p.

[52] Qui a entre autres travaillé avec Marvel à l’occasion de la mini-série Half Dead.

[53] David Barnett, « African Avengers : the… ».

[54] Propos de Jide Martin recueillis par Sandra Wolmer, « Comic Republic ou l’art de donner à l’Afrique ses super-héros », 54 états : le magazine de l’Afrique, n° 26, avril 2016, p. 94.

[55] David Barnett, « African Avengers : the… ».

[56] Carl Boehm, « Superman : The Myth Through the Christ and the Revelation », Journal of the Fantastic in the Arts, vol. 11, n° 3, 2000, p. 237.

[57] Page Facebook officielle de Comic Republic.

[58] Site officiel de Comic Republic, catégorie « Characters ».

[59] Idem.

[60] Idem.