Affiche du GHC – Librairies radicales à Montréal dans les années 1930

Publié le 11 septembre 2018

Affiche par Adèle Clapperton-Richard
Introduction par Andrée Lévesque

Au mois de janvier 2017, le Graphic History Collective (GHC) a lancé Remember | Resist | Redraw: A Radical History Poster Project, un projet destiné à offrir une perspective artistique et critique aux conversations entourant Canada 150. Le projet a continué et est encore en marche pour l’année 2018.

Au mois de juillet dernier, le collectif a fait paraître la seizième affiche, réalisée par Adèle Clapperton-Richard en collaboration avec Andrée Lévesque, qui s’intéresse aux librairies radicales communistes à Montréal dans les années 1930 comme des espaces d’éducation et d’organisation militantes.


Durant la Crise économique des années 1930, le Parti communiste du Canada occupe une place prééminente dans l’organisation des mouvements de protestations, en particulier dans l’organisation des sans-travail. Parmi leurs outils de mobilisation, la presse, les tracts, les livres, souvent venus de Moscou, jouent un rôle important alors que les librairies qui les distribuent s’exposent à la répression des forces de l’ordre.

Depuis des siècles les écrits contribuent à la conscientisation des travailleuses et des travailleurs, et les librairies de gauche forment un lieu privilégié de politisation et de réseautage. Ce qui a souvent poussé les autorités, soucieuses de protéger l’ordre social, à tenter de contrôler la parole écrite et les endroits qui la disséminent. Au Canada, entre 1919 et 1935, l’article 98 du Code criminel est invoqué contre la sédition ainsi que la littérature et les paroles séditieuses.

Dans les années trente, Montréal connait deux librairies de gauche soutenues par le Parti communiste. En 1933–1934, le Hidden Book Shop sur la rue Sainte-Catherine Est, est gérée par Ann Feigelman, 20 ans, et son frère Sam (Sol). Leur commerce ne peut fonctionner longtemps en toute impunité et en juin 1933 la police procède à l’arrestation du frère et de la sœur accusés de distribuer de la littérature séditieuse. Ils seront jugés et condamnés. Parmi le matériel saisi dans la librairie, on remarque le journal communiste francophone Vie ouvrière, publié par Paul Moisan, Évariste Dubé et d’autres militants communistes.

Quelques années plus tard, le Parti communiste ouvre une autre librairie, le Modern Book Shop sur la rue de Bleury près de la rue Dorchester. La militante Léa Roback, le camarade Jack Gold et le futur député Fred Rose assurent la permanence. Comme Léa a confié des années plus tard :« On a discuté de l’ouverture d’une librairie marxiste. Alors on m’a dit : “Léa, tu le prends.” On avait non seulement des livres marxistes et léninistes, mais on avait aussi d’autre littérature pour que les gens puissent lire autre chose que des romans à l’eau de rose ». On y trouve aussi des journaux comme le Daily Clarion de Toronto et Clarté, l’hebdomadaire fondé par Stanley Bréhaut Ryerson et quelques autres. Même si l’article 98 avait été abrogé en 1935, la répression anti-communiste n’était pas moins virulente au Québec depuis l’élection, en 1936, du gouvernement de l’Union nationale dirigé par Maurice Duplessis. Peu après son arrivée au pouvoir, le gouvernement, de concert avec l’Église catholique, lance une vaste campagne anti-communiste. Les endroits qui distribuent de la propagande et du matériel communistes sont dans la mire des autorités.

Léa Roback a plus d’une fois confronté la police et subi l’intimidation des groupes anti-communistes encouragés par la passivité des autorités en place. Le 13 octobre 1936, la vitrine est détruite par des vandales. Sans doute enhardi par l’indifférence des policiers, le 27 octobre un quidam envoie une lettre de menace en anglais, telle que rapportée dans Le Devoir : « Dernier avis. On vous donne trois jours pour tout fermer sinon nous mettrons de la dynamite autour du Modern Book Shop. La police est avec nous et vous le savez. Nous serons là cette semaine. Nous sommes et resterons fascistes ». Il n’y eu pas de dynamitage mais quelques mois plus tard, en mars 1937, l’Assemblée législative vote, à l’unanimité, la Loi du Cadenas qui permet la mise sous scellé de tous lieux utilisés pour propager le bolchévisme, c’est-à-dire les salles d’assemblée, les librairies et même les résidences personnelles qui peuvent servir de lieu de réunion.

Les librairies de gauche sont plus que des endroits où on vend des livres, elles ont toujours eu une fonction sociale: on y lance de nouvelles publications, on y tient des réunions et on y croise des clientes attirées pas les mêmes écrits. C’est là que Léa Roback rencontre le docteur Norman Bethune pour la première fois. Pendant ses tournées, quelle que soit la ville, on peut y voir le chanteur Paul Robeson venu bouquiner et voir qui il pourrait y rencontrer. Ces librairies, tout comme les auteures et les maisons d’édition, contribuent de façon importante aux mouvements sociaux. Et souvent en payent le prix.

Adèle Clapperton-Richard est étudiante à la maîtrise en histoire à l’Université du Québec à Montréal. Elle est coordinatrice de la revue en ligne HistoireEngagee.ca. Elle souhaite que sa pratique du dessin ait une portée sociale, historique, éducative et critique.

Andrée Lévesque, professeure au département d’histoire de l’Université McGill, est une historienne spécialisée en histoire du Québec contemporain, en histoire de la Gauche et en histoire des femmes. Elle dirige les Archives Passe-Mémoire consacrées aux écrits personnels de « gens ordinaires ».

Pour en savoir plus

Lacelle, Nicole. Entretiens avec Madeleine Parent et Léa Roback. Montréal: Éditions du Remue-Ménage, 1988.

Lévesque, Andrée. Red Travellers: Jeanne Corbin and Her Comrades. Translated by Yvonne Klein. Montréal and Kingston: McGill-Queen’s University Press, 2006.

Lévesque, Andrée. “Red Scares and Repression in Québec, 1919–1939.” In Canadian State Trials, vol. 4. Edited by Barry Wright, Susan Binnie, and Eric Tucker, 290–323. Toronto: University of Toronto Press, 2015.

Lévesque, Andrée. Scènes de la vie en rouge : L’époque de Jeanne Corbin (1906–1944). Montréal: Éditions du Remue-ménage, 1999.

Lévesque, Andrée. Virage à gauche interdit : Les communistes, les socialistes et leurs ennemis au Québec, 1929–1939.
Montréal: Boréal, 1984.

Weisbord, Merrily. The Strangest Dream, Canadian Communists, the Spy Trials, and the Cold War. Toronto: Lester and Orpen Dennys, 1983.