Marie-Dominique Asselin, Stagiaire postdoctorale au Polish Center for Holocaust Research à Varsovie, oursière postdoctorale pour la Fondation pour la mémoire de la Shoah à Paris
Les faits : Les anti-masques et les complotistes
Alors qu’en 2020 la pandémie de Coronavirus atteignait le Canada, la vie de tous et chacun a été abruptement transformée. De mars à juin Depuis le mois de mars, une grande partie du Québec a connu un confinement drastique que la population a somme toute accepté de bonne foi. Pendant trois mois, les Québécois sont restés à la maison, ont fait du télétravail, les enfants, l’école à distance, sans garderie. La fatigue a fini par faire son œuvre en même temps que les consignes de la santé publique se sont durcies : rassemblements interdits, déplacement entre région déconseillés, port du masque obligatoire dans les lieux publics clos. De façon surprenante, c’est ce dernier point qui a fait couler le plus d’encre. Plusieurs manifestations ont eu lieu à Montréal, à Québec, à Trois-Rivières et même devant la maison du directeur de la santé publique pour dénoncer les mesures mises en place par Québec qui, selon les manifestants, vont à l’encontre de la chartre des droits et libertés du Québec. Au-delà des manifestants anti-masques, il y a ceux et celles qui ne croient tout simplement pas à la Covid 19. Ces complotistes vont même jusqu’à clamer que la pandémie n’est qu’une invention des gouvernements afin de contrôler les populations et utilisent une rhétorique plus que dramatique pour tenter de faire valoir leur point. Dans la rue, comme sur l’Internet, les slogans et les images choquantes qui comparent la gestion de la pandémie à Hitler, aux Nazis et à l’Holocauste deviennent le point central de leur argumentation. Parmi ces métaphores, il y a la comparaison du gouvernement Legault au Troisième Reich.
Ce processus de réflexion, par lequel la comparaison avec Adolf Hitler, et plus particulièrement avec la mise en place d’un régime visant à exterminer les populations juives, dans le but d’illustrer et/ou de dénoncer la sévérité d’un évènement ou de politiques gouvernementales, n’est pas neuf. Face au recours fréquent à ce type de réflexion comparative, des universitaires en sont venu à développer une théorie connue comme étant le Point Godwin (Godwin’s law). Michael Godwin, un juriste américain, constata dans les années 1990 que « plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Hitler s’approche de 1 ».[1] Cette forme d’argument survient généralement lorsqu’un des interlocuteurs manque d’argument, justement, et se veut un point de rupture avec le débat en question. Je suis forcée de constater que, si dans les années 1990 le Point Godwin trouvait sa source dans une conversation agonisante, aujourd’hui, il arrive dans les balbutiements de certains débats. Dans l’état actuel des choses au Québec, et plus généralement en Amérique, la comparaison au nazisme est monnaie courante. Bien que la comparaison soit un élément de rhétorique justifiable, il ne faut pas comparer, comme le veut l’adage, des pommes à des oranges. Il n’est pas question ici de condamner l’utilisation de l’Holocauste comme comparant dans l’absolu[2], mais plutôt de chercher à comprendre pourquoi ce type de réflexion est erroné. Pour y arriver, nous devrons d’abord faire un peu d’histoire. Les prochaines pages tenteront de déboulonner quelques mythes entourant Hitler, les Nazis et les symboles qui y sont attachés. Cet article ne cherche donc pas à prendre position dans le débat actuel entourant les mesures sanitaires mises en place par Québec, mais bien de démontrer l’irrecevabilité de tels arguments dans la sphère publique grâce à une approche historique. Plus largement, ce texte se veut une réflexion sur la place de l’enseignement et de la connaissance de l’Holocauste dans notre système éducatif et dans les débats publics.
Le port de l’étoile de David et les Juifs durant l’Holocauste
Plusieurs comparaisons ont été faites durant les derniers mois pour dénoncer les mesures mises en place par le gouvernement québécois afin de contrer la pandémie de Covid-19. Le premier ministre, François Legault a, bien évidemment, été comparé à Adolf Hitler. L’analogie la plus fréquente sur les réseaux sociaux en temps de pandémie est celle du port du masque obligatoire imposé par le gouvernement Legault qui est comparé à l’obligation faite aux Juifs d’arborer l’étoile de David sous le régime nazi. De 1939 à 1945, l’Allemagne nazie s’était donnée pour mission d’éliminer toute trace de la judéité européenne. Pour que l’extermination planifiée de millions de Juifs soit possible, il fallait avant tout que les Nazis créent un sentiment d’altérité au sein de la population allemande et celle des pays occupés à l’endroit des juifs.ves. L’une des premières mesures mises en place fut le marquage des Juifs. Avant même de les séparer de la société par la création de ghettos et de les envoyer dans les camps, les Allemands imposèrent le port de l’étoile de David à tous les Juifs âgés de 12 ans et plus. La raison était simple, il fallait pouvoir identifier le Juif, l’autre, le différent, bref, l’ennemi. [4] À première vue, il y a une légère ressemblance entre les deux : le couvre-visage, comme l’étoile, est un élément qui modifie l’apparence physique et qui est imposé par les autorités à la population. Dans les deux cas, le non-respect de cette imposition peut entrainer des conséquences – la mort chez les Juifs qui omettaient de le porter, se voir montrer la sortie du lieu, au mieux, ou une amende, au pire, dans le cas du manquement au port du masque. Au-delà des degrés de pénalités inégales, la comparaison entre le port de l’étoile de David imposé par les Nazi et le port obligatoire du masque dans les lieux publics fermés non seulement ne tient pas la route, mais est grossière et indécente. Durant la Seconde Guerre mondiale, le marquage des Juifs servait à identifier l’ennemi et à le différencier des autorités et des autres membres de la communauté. Au-delà du port de l’étoile de David, les Nazis utilisèrent plusieurs formes de marquage pour identifier les êtres indésirables. À Auschwitz, par exemple, les prisonniers juifs portaient l’étoile de David, les homosexuels étaient affublés d’un triangle rose, les prisonniers politiques du triangle rouge alors que les criminels se distinguaient par un triangle vert.[5] L’idée derrière tous ces symboles était de compartimenter les individus en sous-groupes, de les lier par le plus petit dénominateur commun. Ce marquage servait évidemment à ce que les dirigeants allemands puissent reconnaître les prisonniers, mais aussi à les diviser afin de conserver un plus grand contrôle sur ces derniers. Aujourd’hui, au Québec, le port du masque est obligatoire pour tous : civils comme travailleurs de l’État. Le port du masque, que l’on soit d’accord ou non avec son imposition ou son efficacité, n’est pas une façon de diviser la société ou de marquer certains individus. Bien au contraire, si le but du masque est avant tout sanitaire, l’effet qu’il produit est plutôt d’uniformiser la société – y compris les travailleurs de l’État – plutôt que de stigmatiser un groupe en particulier.
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