Mémoire d’un souvenir, un film de l’historien Ronald Rudin

Publié le 17 juin 2011

Simon Jolivet, chercheur postdoctoral, Université d’Ottawa

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Croix celtique, Grosse-île

Le film Mémoire d’un souvenir, maintenant disponible en ligne (http://memoiredunsouvenir.concordia.ca), a d’abord été lancé lors du Congrès annuel de l’Association canadienne d’études irlandaises, en juin 2010. Depuis ce temps, cette production de quelque 25 minutes et traitant du centenaire de l’érection de la croix celtique de Grosse-Île, célébré le 15 août 2009, a été présenté lors de plusieurs congrès historiques et parfois lors de festivités irlandaises au Canada anglais et au Québec. Je vous propose ici d’aborder les principaux thèmes historiques de ce film.

L’histoire de la croix celtique, pour l’historien en moi qui s’intéresse aux liens entre le Québec et l’Irlande ainsi qu’aux relations parfois pénibles, parfois douces, vécues entre Québécois d’origines irlandaise et française, ne pouvait qu’attirer l’attention. Mais au fond, le film de l’historien Ronald Rudin, qui nous a d’ailleurs habitués à des travaux remarqués en histoire de la mémoire et des commémorations, est d’intérêt pour un public plus large. Ce que le film relate, c’est l’expérience d’intégration des Irlandais catholiques à la société québécoise.

L’érection de la croix celtique en 1909 avait été célébrée aussi activement par la communauté irlandaise catholique que par les élites associatives, religieuses et politiques francophones. Ce fut l’Ancient Order of Hibernians (AOH), une organisation catholique et nationaliste irlandaise comme il ne s’en fait plus de nos jours, qui prépara la célébration et qui octroya les fonds nécessaires à la construction du monument. En 1909, l’AOH, ou si l’on veut l’antithèse de l’Ordre d’Orange protestant, avait cru bon d’inviter la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec à l’événement, le drapeau du Carillon du Sacré-Coeur flottant également au pied du nouveau monument. On tenait alors à souligner l’amitié entre les deux groupes.

Les Canadiens français ne manquèrent pas de souligner que c’était grâce à leur générosité que des milliers d’orphelins de la Grande Famine d’Irlande (1845-1849) avaient pu grandir au sein de familles catholiques et aimantes. Il était donc tout naturel que les Irlandais les invitent à participer à cette célébration sur la Grosse-Île, selon eux. La croix celtique faisait bien sûr référence aux quelque 5 000 Irlandais qui furent enterrés sur l’île pendant l’hécatombe de la Famine, une hécatombe qui laissa des cicatrices dans les relations entre la Grande-Bretagne et l’Irlande. En 1909, les Canadiens français et leurs élites, loin de favoriser l’impérialisme britannique, eurent des raisons de s’associer aux revendications anti-impérialistes propagées par les chefs nationalistes d’Irlande qui vinrent d’ailleurs souvent haranguer les foules à Montréal et Québec.

En 2009, cent ans plus tard, aucun francophone ou presque ne se présenta à la commémoration du centenaire. Que s’est-il passé en 100 ans? Animée par des groupes irlando-montréalais et américains, que devait représenter la commémoration de 2009 au juste? Quelle place devait-on accorder aux Québécois d’origine irlandaise mais maintenant assimilés à la majorité francophone? Y en avait-il seulement qu’une?

Comme on peut le lire dans le site internet qui sert de plateforme gratuite au film : « … les célébrations du centenaire, à nouveau commanditées par l’AOH [en 2009], eurent lieu uniquement en anglais, et il fut à peine rappelé que les Canadiens français avaient fait partie des événements de la Grosse-Île. » Ronald Rudin nous offre ce film qui saura intéresser tous ceux et celles qui se sentent concernés par une relation interculturelle qui donna lieu aux premiers épisodes « d’accommodements raisonnables », si je puis dire…