Là où le présent rencontre le passé - ISSN 2562-7716

Catégorie : Patrick Lacroix

Inviter pour intégrer : l’implication politique des groupes minoritaires en Franco-Amérique

Patrick Lacroix, Université du Maine à Fort Kent

Source : https://digitalcommons.assumption.edu/usjb-photographs/19/

François Legault a touché une corde politique sensible en associant un fort taux d’immigration à la chicane et à la violence. La controverse qu’il a suscité en pleine campagne électorale et les propos d’autres chefs s’inscrivent dans un climat d’inquiétude à l’égard des nouveaux arrivants et de l’avenir du peuple québécois. De telles déclarations nous invitent à repenser l’accueil que nous offrons aux gens d’ailleurs et leur rapport à la sphère politique au Québec.

Si Legault a dit regretter ses propos, il hérite tout de même d’un mouvement qui, à l’époque de l’Action démocratique du Québec, agitait la question des accommodements raisonnables et qui s’est de nouveau penché sur le rapport des groupes minoritaires à la culture dominante. Les lois 21 et 96 touchent directement au vécu québécois de plusieurs nouvelles communautés culturelles. Les gens dont le port d’objets religieux est une expression fondamentale de leur identité sont, à moins d’un « droit acquis », exclues de toute position d’autorité. Puis, après six mois au Québec, les allophones ne pourront communiquer avec le gouvernement qu’en français, peu importe leur niveau de compétence, ce qui pourrait limiter leur accès à des services d’accompagnement. À ces politiques aux effets bien concrets, ajoutons le discours d’exclusion qui amplifie le climat d’insécurité et d’hostilité.  Selon le chroniqueur Mathieu Bock-Côté ainsi que Frédéric Lacroix, dont le livre s’est mérité le Prix de la présidence de l’Assemblée nationale [1], l’immigration est une menace : s’ils ne craignent pas la violence, ces personnalités y perçoivent un déluge à caractère existentiel pour le Québec.

La crainte d’un Autre qui ne peut ou ne veut pas se fondre dans le creuset québécois n’a rien de nouveau. Or, l’immigration ne doit pas nécessairement se traduire par l’effilochage du tissu social. Dans certains milieux, on s’inquiète d’une adaptation culturelle qui semble se faire trop lentement et on a choisi le bâton plutôt que la carotte, refusant d’investir dans des moyens d’accompagnement et de soutien pourtant si prometteurs. En réalité, l’intégration ne dépend pas seulement des nouveaux arrivants : elle requiert aussi une volonté politique dans la société d’accueil. On doit lancer une invitation et créer des espaces porteurs d’échanges fructueux entre majorité et minorité. Heureusement, le monde francophone nord-américain offre lui-même des exemples d’acculturation réussie. L’expérience des familles franco-américaines dans le nord-est des États-Unis peut servir de guide à ce débat de société québécois.

Reconnaissons d’emblée que la vie franco-américaine du siècle dernier peut sembler bien loin du cas québécois; comme toujours, en histoire, l’analogie n’est pas parfaite. Le parcours historique des groupes d’ascendance canadienne-française diffère à plusieurs égards des obstacles rencontrés par les nouveaux arrivants au Québec, particulièrement si ceux-ci ne sont pas d’héritage catholique et francophone ou s’ils ne peuvent pas se fondre dans une société où la blanchité domine. Bref, cette comparaison ne vise aucunement à dresser une équivalence dans l’expérience de divers groupes ou à dissimuler l’aspect racial du débat actuel. L’accent est placé plutôt sur un moyen d’inclusion qui promet de porter fruit pour la société d’accueil ainsi que pour les gens venant d’ailleurs et cherchant à s’intégrer.

Vers une représentation politique des « Francos »

L’épisode de la « grande saignée », qui s’étend des années 1840 à l’entre-deux-guerres, est bien connu; le processus d’intégration chez les Canadiennes et Canadiens français établis aux États-Unis l’est moins. On ne doit pas croire que cette population a vécu dans de petites forteresses étanches à l’abri de toute influence de la société d’accueil—forteresses qui se seraient effondrées soudainement après la Deuxième Guerre mondiale. D’une génération à l’autre, l’influence des institutions religieuses, des syndicats et des divertissements de masse accélèrent l’acculturation des familles franco-américaines. L’intégration civique et culturelle de celles-ci passent aussi par la politique, ce que l’écriture de l’histoire franco-américaine a souvent ignoré[2].

La génération immigrante interprète ses nouvelles conditions de vie et son nouvel environnement à partir de son vécu au nord de la frontière—rien de plus naturel. D’ailleurs, « ils sont bien rares ceux qui sont partis du Canada avec l’intention de ne jamais y retourner », soutient Hugo Dubuque, natif du Québec et l’un des pionniers de l’engagement politique franco-américain[3]. Le sentiment d’aliénation est amplifié par un discours d’intolérance. La population irlandaise craint la menace économique que semblent poser les nouveaux arrivants; les « Yankees » s’inquiètent du danger culturel créé par cette masse de gens qu’on croit inassimilable. Parfois exclu et marginalisé, le groupe canadien-français tend à se replier sur ses institutions ethniques.

Visions dystopiques d’un monde sans histoire

Par Patrick Lacroix, Université Bishop’s[1]

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Affiche pour le film Farhenheit 451 de François Truffaut, 1966.

Ce texte a précédemment paru en anglais sur ActiveHistory.ca.

« Je dois reprendre le fil du passé! »[2]

– Montag, Fahrenheit 451 (1966)

Au cours des deux dernières années, l’émergence des fake news et des « faits alternatifs » a soulevé la crainte d’une dérive autoritaire aux États-Unis et ailleurs. La manipulation de la vérité et certaines campagnes visant à discréditer le journalisme de profondeur sont effectivement troublantes, surtout lorsqu’elles se manifestent dans les plus hautes instances politiques. Ainsi, il semble que nous sommes engagés dans une lutte épistémologique où se joue l’avenir de nos principes démocratiques.

D’importants rappels historiques publiés sur le présent site (ici, par exemple) et ailleurs sur le web révèlent que les fausses nouvelles ne sont pas chose aussi récente qu’on pourrait croire. Mais, paradoxalement, c’est dans l’imaginaire de la fiction qu’on trouve les cas les plus éclairants de manipulation des faits et de la vérité.

De grandes figures littéraires ont saisi, il y a plusieurs décennies, l’essentiel de ces questions épistémologiques : la fiction dystopique du vingtième siècle permet de mieux comprendre la pertinence de l’histoire – et la préservation d’un terrain commun de vérité – à nos destinées politiques. Le Meilleur des mondes de Aldous Huxley, 1984 de George Orwell et Fahrenheit 451 de Ray Bradbury méritent une attention particulière en raison de leur traitement de l’histoire. Ces romans permettent de relier l’approche historique de nos dirigeants à la sauvegarde d’une société ouverte, délibérative et démocratique.

La fiction dystopique nous invite à une étude soutenue du passé et assigne aux historiens un rôle politique important. Dans les circonstances actuelles – dans lesquelles les coupures en arts et sciences humaines aux États-Unis semblent annoncer une situation semblable au nord de la frontière – nos compétences historiques semblent aussi utiles qu’elles sont rares.

Ce que les années 1850 peuvent nous enseigner

Par Patrick Lacroix, candidat au doctorat à la University of New Hampshire

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Chemin de fer du Grand Tronc. Source : Wikimedia Commons.

Carte du chemin de fer du Grand Tronc, 1885. Source : Wikimedia Commons.

Lors d’une session spéciale du dernier congrès de l’Institut d’histoire de l’Amérique française, un groupe de jeunes leaders québécois.es réuni.es par Gérard Bouchard ont exprimé de très différentes visions du passé et de l’avenir du Québec[1]. Or ces jeunes ont fait consensus en déplorant, ensemble, le triomphe de « l’économisme » dans les dernières décennies. Les historien.nes de l’auditoire auraient pu leur souffler les exemples nécessaires : une stricte politique budgétaire introduite au cours des années 1990, l’approche néolibérale sous-entendue dans la « réingénierie de l’État » de 2003, puis l’arrivée des « Lucides », dont les injonctions sont encore avec nous. À ceci, on pourrait ajouter, plus récemment, la collusion dans le secteur de la construction, indice d’une trop grande proximité des autorités civiles aux agents de développement économique.

Selon certain.es militant.es nationalistes et sociaux-démocrates, ce sont là les signes d’un nouveau conservatisme – né d’une apathie politique croissante – qui tend à réduire les grandes questions de société à leur aspect économique, voire fiscal. Il y a, déclarèrent les jeunes leaders réuni.es par l’IHAF, le déclin d’un militantisme politique qui mènerait de grands projets nationaux et sociaux à terme. Suite au plus récent moment-charnière du Québec, le référendum de 1995, il s’est produit une « repriorisation » des enjeux économiques.

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