Là où le présent rencontre le passé - ISSN 2562-7716

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Les abus de la mémoire-bouclier

Par Catherine Larochelle, membre du comité éditorial d’HistoireEngagée.ca, historienne et professeure à l’Université de Montréal

Le 2 février dernier, La Presse a publié une chronique intitulée « Nos souffrances la font vomir », signée de son collaborateur Maxime Pedneaud-Jobin. Si M. Pedneaud-Jobin veut s’improviser historien, je lui conseille de parfaire sa formation d’abord. Son texte est un parfait exemple d’instrumentalisation pernicieuse de l’histoire.

L’histoire d’une société ne s’explique pas en alignant deux trois faits et en leur faisant dire ce que l’on veut. Sa manipulation est dangereuse et avec elle viennent des responsabilités, car la mémoire collective qui en sort peut nourrir la solidarité sociale, comme elle peut faire l’inverse[1].

Des grands-mères bien utiles

En débutant la lecture de cette chronique, je me suis vite demandé en quoi les aïeules de M. Pedneaud-Jobin étaient liées à toute la controverse entourant la nomination de Mme Elghawabi. Le chroniqueur instrumentalise l’histoire pour nous faire croire que c’est aux souffrances de ses grands-mères aux mains de l’Église que s’est attaquée Mme Elghawabi. Il crée ainsi l’illusion d’un lien causal unissant toutes les souffrances de tous les Canadien.ne.s français.es du passé. Le chroniqueur pousse l’audace jusqu’à aborder le niveau d’instruction des Québécois francophones du milieu du 20e siècle, le comparant à celui des Noirs américains. Non seulement ce genre d’affirmation aurait mérité une référence directe à l’étude qui démontre ce fait, mais surtout ce procédé vise à brouiller les esprits : dans l’histoire du racisme, en fait, les Canadien.ne.s français.es sont surtout (seulement) du côté des victimes, nous dit-il. Qu’il n’y ait aucun lien logique entre la domination britannique à laquelle le tweet de Mme Elghawabi faisait allusion et le niveau d’instruction des Canadiens français en 1960 n’y change rien, le message est passé.

Comprendre les racines historiques du rapport entre le Québec et l’islam

Si on veut mobiliser le passé et l’histoire pour mieux comprendre les enjeux actuels, il serait beaucoup plus productif pour le dialogue (que disent souhaiter plusieurs commentateurs), de regarder le passé québécois non pas pour brandir ses souffrances, mais pour comprendre comment l’islam et le monde musulman ont été représentés historiquement, et quel rôle cet imaginaire a joué dans la construction de l’identité canadienne-française[2].

L’histoire des pensionnats de l’Ouest est une histoire québécoise

Par Catherine Larochelle, membre du comité éditorial de la revue HistoireEngagée.ca

Le passage de l’identité canadienne-française à l’identité québécoise au tournant de la Révolution tranquille et dans le contexte des décolonisations a été un prétexte parfait pour enterrer le plus profondément possible l’histoire partagée de la province francophone avec l’Ouest du pays. Au même moment, le recentrement de l’histoire dite nationale à l’intérieur des frontières provinciales a accentué ce phénomène, de sorte qu’aujourd’hui, une bonne part de la population éduquée depuis cette époque ne fait pas le lien entre le Québec et la colonisation de l’Ouest.

Si les médias commencent à parler des pensionnats établis au Québec au 20e siècle, trop souvent encore, lorsqu’on évoque le rôle joué par les “Québécois” dans des tragédies comme celles de Kamloops, dans les pensionnats de l’Ouest, on reçoit ce genre de réponses:

  • “C’était le fédéral” (comme si la population québécoise n’élisait pas des députés fédéraux qui participaient au gouvernement … rappelons-nous Hector-Louis Langevin)
  • “C’était l’Église et l’Église a aussi opprimé la population canadienne-française” (comme si les religieux et religieuses n’étaient pas canadiens-français… rappelons-nous Albert Lacombe)
  • “On a subi tout autant le joug britannique. Les Français étaient amis avec les Autochtones” (comme si la volonté d’éliminer ces populations n’avait pas commencé au 17e siècle… rappelons-nous le récit de l’âge d’or de la Nouvelle-France).

Du haut de sa tribune populaire, Mathieu Bock-Côté écrivait précisément ceci il y a quelques jours.

Et pourtant.

L’histoire des pensionnats de l’Ouest est une histoire québécoise. L’histoire du génocide canadien est une histoire québécoise.

Émanciper l’histoire. Pour une histoire de la Multitude

Par Catherine Larochelle, Université de Montréal[1]

Je sortais tout juste de la lecture du livre de Laurence De Cock, de Mathilde Larrère et de Guillaume Mazeau, L’histoire comme émancipation[2], dont je devais faire une recension, lorsque je suis tombée sur ce livre – jamais ouvert, malgré les années – dans ma bibliothèque : Grammaire de la multitude, de Paolo Virno[3]. Ce mot – multitude – m’a tout de suite semblé être le morceau manquant du projet d’histoire émancipatrice défendu par cette triade d’historien.ne.s engagé.e.s. Dans son essai, Virno s’attarde au couple peuple/multitude comme conceptualisation du corps social, le second terme devant remplacer le premier, selon lui, pour comprendre les formes contemporaines de la vie sociale. « Le peuple est le résultat d’un mouvement centripète : à partir des individus atomisés vers l’unité du « corps politique », vers la souveraineté. L’Un est l’issue extrême de ce mouvement centripète. La multitude, par contre, est le résultat d’un mouvement centrifuge : de l’Un au Nombre[4] », écrit Virno, mentionnant au passage le beau défi que pose la « multitude » à l’analyse, concept sans lexique, sans codes, et – presque – sans histoire[5]. Il y a là une dialectique fondamentale entre d’une part, l’Unité, l’universel et, d’autre part, la Multitude, la singularité. L’histoire, comme discipline, incarne cette injonction dialectique : astreinte à produire un récit apte à inclure et à rendre lisible la cacophonie de l’expérience humaine singulière et universelle, individuelle et collective, intime et partagée.

On retrouve dans le livre de De Cock, Larrère et Mazeau, cette tension entre un appel en faveur d’une émancipation collective et l’engagement pour une historicisation des expériences de la « multitude », forme historique et contemporaine du corps social, qui permet de porter enfin la voix des oublié.e.s de l’histoire. En revenant sur les différents thèmes abordés dans ces deux ouvrages, je proposerai l’établissement d’un nouveau paradigme pour la discipline historique – une histoire de la multitude – qui s’attaque aux différentes dimensions de la praxis historique universitaire : le récit national et l’écriture de l’histoire, les conditions du travail historien et l’histoire dans la cité. 

Ce texte ne constitue pas une recension de L’histoire comme émancipation, on l’aura compris. Inspirée par la lecture de ce livre et d’autres, je présente plutôt ici un essai sur l’imbrication entre l’écriture des histoires et les formes actuelles de leur fabrication universitaire[6]. Les historiographes me donneront raison, je l’espère : il est impossible de faire l’économie de la relation étroite qui lie le contenu de l’énonciation des conditions matérielles de sa production.

L’«Histoire Engagée» comme relecture de l’actualité – Entretien avec Catherine Larochelle

Catherine Larochelle, professeure au département d’histoire de l’Université de Montréal et membre du comité éditorial d’HistoireEngagée.ca, était de passage à l’émission Phare-Ouest à Radio-Canada Première en Colombie-Britannique dans le cadre du printemps de la francophonie. Elle y a discuté de la notion d’histoire engagée et des objectifs et motivations derrière notre plateforme. Aujourd’hui, nous vous proposons donc d’aller écouter cette entrevue de dix minutes, disponible en balado-diffusion sur le site internet de Radio-Canada via le lien suivant:

L’histoire engagée comme relecture de l’actualité – Entretien avec Catherine Larochelle

Chronique éditoriale 5. Participer au dynamisme de la discipline et commenter une humanité en mouvement : HistoireEngagée.ca à la croisée des chemins

Par Adèle Clapperton-Richard (UQAM) et Catherine Larochelle (Université de Montréal), co-coordonnatrices d’HistoireEngagée.ca

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Une nouvelle phase… déjà bien entamée

Chaque nouveau trimestre amène l’occasion à la fois de dresser un bilan de ce qui a été fait, créé et pensé à HistoireEngagée.ca au cours des quatre derniers mois et d’énoncer et d’imaginer les possibles à venir pour la revue. Si, depuis deux ans, HistoireEngagée.ca a considérablement augmenté et régularisé son rythme de publication, l’automne 2018 et le début de l’hiver 2019 ont nettement confirmé ces tendances. Seulement de septembre à décembre derniers, ce sont plus de 32 000 consultations qui ont eu lieu sur le site de la revue, soit près de la moitié du total des consultations pour l’année 2018. La revue a aussi élargi son mandat et a reçu de multiples retours et reconnaissances de la communauté académique et de la société. Nous commençons donc l’année, et cet éditorial, en clamant avec une fierté et une confiance assumées qu’HistoireEngagée.ca est entrée dans une nouvelle phase de son histoire : elle est désormais un lieu incontournable de l’histoire publique pratiquée en français.

Il faut dire que cet automne, l’équipe d’HistoireEngagée.ca s’est à nouveau renouvelée avec l’intégration de Florence Prévost-Grégoire au sein du comité éditorial, permettant ainsi à la revue d’élargir ses attaches jusqu’à l’University College Dublin, en Irlande. Histoire Engagée.ca a aussi étendu et consolidé des liens avec des collaborateur.trice.s de divers milieux. Nous avons publié, pour la seconde fois sur notre plateforme, une affiche qui fait partie du projet Remember | Resist | Redraw, mené par le Graphic History Collective, un collectif d’artistes, de militant.e.s et d’historien.ne.s basé dans l’ouest du Canada. La revue s’est également associée au blogue anglophone Borealia : A Group Blog On Early Canadian History pour diffuser en français et en anglais un débat historiographique sur le système seigneurial en Nouvelle-France. Ces collaborations permettent de faire le pont entre plusieurs publics, historiens et non-historiens, ainsi que francophones et anglophones.

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