Par Zénaïde Berg, Martine El Ouardi et Anne Morais
On a d’autres préoccupations que de jouir de nos privilèges
Kery James, Vivre ou mourir ensemble, 2019
Philippe Lorange, étudiant en philosophie politique à l’Université de Montréal, signait le 31 janvier dernier, avec l’appui d’une soixantaine de personnes, son « Manifeste contre le dogmatisme universitaire ». Nous en avons produit une brève analyse critique, publiée dans Le Devoir, respectant un maximum de 5000 caractères et tentant également d’édulcorer notre pensée afin de la rendre acceptable pour cette plateforme. Le présent texte se veut donc être une extension de notre première analyse : il s’agit en fait, en quelque sorte, de notre propre manifeste, et non d’une réponse, comme l’a été notre précédent billet. Nous souhaitons aussi attirer l’attention vers le contexte sociopolitique présent de manière plus globale : notre texte s’inscrit dans ce contexte, et pas seulement dans une logique argumentative avec les tenants de la droite réactionnaire que sont Lorange et ses pairs. À noter que nous écrivons ce texte en nos noms personnels et n’engageons que nous à son adhésion.
Le « Manifeste contre le dogmatisme universitaire » postule que la « gauche » monopolise les lieux de pouvoir; qu’elle contrôle le monde, tant la société au sens large que l’académie; et que les théories et épistémologies critiques submergent les autres théories dans les milieux universitaires. Notre objectif a d’abord été de démontrer la fausseté de ces affirmations, ce que nous avons fait dans notre lettre ouverte. Nous proposons à présent de soulever la malhonnêteté derrière la mobilisation du concept de liberté d’expression, qui occulte les rapports de pouvoir sous-tendant les discours hégémoniques; et de reconnaître que le manque de représentation des groupes minoritaires n’est pas qu’à constater, mais aussi à combattre. Ces propositions nous mènent donc vers une orientation profondément militante du rôle des sciences sociales, pour laquelle nous prenons position. En d’autres termes, nous postulons que l’heure du débat est largement dépassée, et doit laisser la place à des changements structurels significatifs, afin d’espérer contrer les diverses violences auxquelles les groupes minoritaires sont exposés.