Par Piroska Nagy, Professeure d’histoire du Moyen Âge à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM)

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Les débats qui nous occupent jour et nuit depuis plus de 16 semaines, et particulièrement depuis la promulgation de l’odieuse Loi 78 qui fait même descendre, outre les grands-mères à casserole, les juristes en toge dans la rue, laissent de côté quelque chose d’essentiel, une réalité aussi fondamentale qu’historique. De quoi je parle? Arrêtons-nous un petit instant… et essayons, avec Jean Charest et ses ministres successifs de l’Éducation (et du Loisir et du Sport) qui nous y forcent, de concevoir une université sans grève, sans associations étudiantes, sans autonomie, tournant tout rond, telle une machine impeccable, sans la moindre intervention collective des étudiants et des professeurs !

Ce n’est pas moi qui fantasme. C’est bien ce que suggère l’attitude du gouvernement qui a refusé, pendant plus de 11 semaines, de parler aux étudiants en grève ; qui n’a pas hésité à faire (… ou laisser ?) intervenir les policiers sur les campus universitaires ; qui a convoqué une table de négociation composite le 4 mai, dont la Fédération québécoise des professeurs d’université était très curieusement exclue ; qui, même dans les dernières semaines, refuse encore de discuter du fond des questions avec les étudiants souhaitant un gel de la hausse et de convoquer les États généraux de l’Université, réclamés depuis si longtemps, pour réfléchir sur le devenir de l’université au Québec ; qui tente de réduire, par sa Loi 78, les associations d’étudiants à des clubs de rencontre de jeunes ; enfin qui prive par la même loi les professeurs, devenant alors de simples salariés d’entreprise, d’une part essentielle de leur autonomie intellectuelle en classe. Sans même parler de la violence policière et judiciaire, nous pouvons nous rendre à l’évidence : notre gouvernement souhaite orienter, gérer, administrer l’université sans demander leur avis à ceux-là mêmes qui la constituent et sans qui il serait difficile de donner un seul cours, ce qui reste, si je ne m’abuse – et malgré sa récente réorientation vers les activités de recherche, au nom de « l’excellence », du prestige et de la concurrence – la mission fondamentale de l’université.