Par Véronique Dupuis, Université du Québec à Rimouski

Cet article est tiré d’une série de publications dirigées par Moments Déterminants Canada afin de commémorer les 100 ans de la pandémie de grippe espagnole au Canada.

France, printemps 1918. Les explosions, les batailles et l’horreur perdurent depuis maintenant quatre ans. Des milliers de soldats sont morts, mais encore plus en ressortent meurtris et garderont de sévères traumatismes de cette guerre interminable qui ne devait pourtant durer que quelques mois. Dans les tranchées, les conditions de vie exécrables minent le moral des hommes et rendent difficile l’atteinte de conditions d’hygiène acceptables. C’est dans ce contexte qu’arrive, au mois d’avril, un nouveau joueur au sein du grand champ de bataille qu’est devenue l’Europe. Cet intrus jette rapidement les bases d’un fléau appelé à transcender les frontières et décimer des communautés dans les mois à venir. Tant dans le camp des alliés que chez l’ennemi, la grippe espagnole fait des victimes; sans compter les ravages qu’elle crée dans la population civile. Si au front les troupes sont aux prises avec un nouvel adversaire, la zone arrière en subit inévitablement les contrecoups. Les hôpitaux militaires, déjà débordés par le nombre incessant de soldats blessés arrivant par convois, doivent maintenant accueillir des hommes souffrant d’une maladie virulente et agressive. Le corps médical, surchargé depuis des mois, doit une fois de plus s’ajuster et tenter de faire le maximum pour soigner une population déjà affaiblie, meurtrie et affectée par quatre années de combats. Inévitablement, certains de ces infirmières et médecins contractent eux aussi la maladie. Une centaine d’années plus tard, quelle place la mémoire collective réserve-t-elle au travail de ce personnel soignant qui a dû faire face à la grippe espagnole dans une Europe en guerre où à un certain moment, les échos de l’épidémie résonnent plus fort que ceux des canons?
La guerre est finie!
11 novembre 1918 : « The war is ended official announcement says armistice signed at 5 am and hostilities will cease at 11 am. »[1]
En novembre 1918, les derniers coups des canons se font entendre alors que l’on annonce l’Armistice. Pourtant, si l’heure est à la fête au lendemain de cette déclaration, le soulagement n’est pas complet. Depuis le printemps, la grippe espagnole a emporté dans son sillage 210 000 personnes sur le seul territoire de la France[2]. Civils et militaires sont en proie à cette maladie qui se propage à une vitesse fulgurante. Entre avril et la fin juin, une première vague de cas est signalée. Le mal semble avoir pris racine entre le 10 et le 20 avril dans les tranchées de Villers-sur-Coudun[3], où les soldats vivent dans des conditions extrêmement pénibles. La promiscuité favorisant la propagation du virus, il est facile d’imaginer le terreau fertile qui s’offre alors à lui. La maladie établit ainsi des foyers de tranchée en tranchée, se faufilant dans les zones dites « de l’arrière », pour terminer sa course dans les hôpitaux, les édifices publics et les chaumières. Les alliés ne sont pas épargnés, pas plus que les camps ennemis. Affecté par le climat plus chaud de la période estivale, le virus perd de son élan. Malgré tout, la fulgurante propagation connue au cours des derniers mois n’est qu’un épisode prémonitoire de la seconde vague qui demeure latente.
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