Par Marc-Antoine Belzile, Université Laval

Allen Theatre de Toronto, construit en 1917 (Hilary Russell, All that glitters : a memorial to Ottawa’s Capitol Theatre and its predecessors, Ottawa, National Historic Parks and Sites Branch, Parks Canada, Indian and Northern Affairs, 1975, p. 41)
Les archives nous permettent de voyager. Arlette Farge affirme dans son ouvrage Le goût des archives que « celui qui travaille en archives se surprend souvent à évoquer ce voyage en termes de plongée, d’immersion, voire de noyade… la mer est au rendez-vous »[1]. Les premières plongées dans des sources primaires peuvent provoquer plusieurs sentiments : excitation, inquiétude, voire même une sensation de vertige devant une quantité importante de documents. Ayant examiné les photographies des salles de cinéma du Canada du 20e siècle contenu à l’intérieur d’ouvrages sur le sujet, un sentiment de curiosité m’a incité à imaginer l’expérience cinématographique proposée au public de l’époque. Je définis l’expérience cinématographique comme étant tout ce qui englobe l’ensemble des sensations provoquées par la consommation des films au cinéma. Les expériences cinématographiques peuvent être influencées par le contenu des vues animées, mais également par les émotions causées à l’extérieur et à l’intérieur des cinémas. Elles peuvent également être influencées par les rencontres faites à l’intérieur du cinéma. Après la curiosité, c’est un sentiment d’insatisfaction qui a pris le dessus. En effet, il me semblait que les photographies utilisées à l’intérieur des ouvrages secondaires[2] servaient principalement d’appuis visuels. Je trouvais donc que ce corpus recueilli par ces auteurs.trices n’était pas exploité à son plein potentiel et qu’il pourrait constituer un objet d’étude sérieux.
La période comprise entre 1905 et le début des années 1940 correspond au Canada à une phase exploratoire durant laquelle le cinéma s’affirme comme une forme d’art à part entière et qui, à ce titre, se dote de ses propres lieux de diffusion[3]. En observant des photographies des nickelodeon, les premières salles permanentes, munies de chaises de bois et d’un drap blanc, construites entre 1905 et 1915 un peu partout à travers le Canada, j’imagine un public hétérogène, constitué d’enfants et d’adultes de la classe ouvrière qui échappent pour quelques minutes à leur quotidien devant des vues animées qui leur font entrevoir des mondes qui leur seraient autrement inaccessibles. En examinant des photographies des movie palaces construits principalement entre 1915 et 1930, décorés de fresques grandioses ou d’éléments orientaux et égyptiens, je visualise un public beaucoup plus aisé qui désirait pousser l’expérience des vues animées encore plus loin.